1800-Nantes





NANTES PORT MARITIME HISTORIQUE



La découverte de la branche Nantaise, un pur hasard. Deas recherches effectuées sur Internet, en 2008, identifient un premier membre, passager à bord du navire à vapeur, le City of Adelaide, entre Melbourne et Sydney en 1867.

De « fil en aiguille » nait un noyau familial dont les membres, pendant près de cent ans travaillent pour ou en périphérie des chantiers navals. Dans le but de mieux connaitre leur milieu social, sont détaillés certains actes d’état-civils.

Grâce à la mise en ligne des périodiques Australiens et Nantais, en 2009, nous allons découvrir la « campagne » du trois mâts Le Lucie, parti de Saint Nazaire en 1866 à destination de l’Océan Indien, avec à son bord, Pierre Neyssensas, capitaine au long cours, et Hippolyte, son frère, matelot et le tragique dénouement de cette aventure humaine avec la disparition du navire et de son équipage


L'implantation Nantaise









Pierre Neyssensa, menuisier Nantais


Pierre Neyssensac nait le 5 avril 1811 à Montanhac de Cremsa, arrondissement de Bergerac, dans l’une des 5 habitations du hameau de la Simonette. Pierre est présenté par son père Michel, menuisier, 44 ans, la profession de sa mère Marie Montférier, n’est pas spécifiée. Le couple s’est marié le 12 mai 1807 à Saint-Jean d’Estissac.







Les témoins, Louis Delord, aubergiste, 43 ans, et Antoine Faure, maître taillandier, 32 ans, habitants du bourg, signent l’acte, Michel ne sait signer.




Le taillandier fabrique des outils tranchants tels que ciseaux, cisailles, haches pour les artisans, serpes pour les vignerons. Le métier s'exerce dans une taillanderie, qui exploitait souvent des moulins à eaux.

Le père de Pierre, menuisier, descendant de feu Jean, cultivateur, et Toinette Micat, originaires de Saint-Aquilin en Périgord fut accusé, à tort, d’un vol de chevaux en 1796 à Saint-Aquilin.

Une enfant nait le 16 juillet 1815 à Saint-Jean d’Estissac prénommée Marie, puis, c’est au tour d’un autre Pierre, le 4 aout 1819, toujours à Saint-Jean d’Estissac.

Montagnac est donc une parenthèse pour le couple ; il est possible en effet que Michel soit venu quelques mois, travailler dans la grande maison de maître du hameau de la Grange, dotées de dépendances, métairies, et granges-étables en cours de restauration.




Saint-Jean d’Estissac, le village de Jean-Baptiste-Augustin de Salignac-Fénelon (1714-1794), abbé de Fénelon et petit-neveu de Fénelon, né au manoir de la Poncie.





Après le décès de son père, à l’âge de 56 ans, le 31 juillet 1822, à « 4 heures du matin dans sa maison », Pierre quitte Saint-Jean d’Estissac. Les témoins, Pierre Dessaigne, cultivateur, 55 ans, et Jean (nom illisible) sonneur de cloche, 36 ans, ne savent signer.




Quels évènements décident Pierre, puis bientôt son frère Pierre, à quitter le Périgord entre 1823 et 1830 ?

En 1822, un militaire en reconnaissance dans le pays note « Le Périgord ne récolterait point assez de grain pour sa consommation, s’il n’y avait point de châtaigneraies, du maïs, desquels les habitants des campagnes se nourrissent. A dater du mois d’octobre on ne voit plus paraître de pain chez eux jusqu’au printemps. Dans les mauvaises années ces deux productions l’ont souvent sauvé des horreurs de la famine ».

C’est la période choisie par Eugène le Roy quand il créé le personnage de Jacquou le Croquant, sur fond de précarité permanente des métayers ; car ceux sont eux qui basculent dans la pauvreté à la moindre petite récolte et augmentent le nombre de mendiants pendant les saisons d’hiver.

Pour Pierre, la Restauration, entre 1814 et 1830, ne diffuse pas les progrès techniques et économiques suffisamment rapidement en Périgord, la révolution gronde depuis quelques mois, juillet 1830 déclenche en Périgord une vague d’attaques et de pillages de château……

La population Périgourdine s'accroit rapidement et la densité de « plus de 60 habitants par km2 est nettement supérieure à la moyenne nationale. Mais le Périgord est dans le lot des plus pauvres avec un revenu moyen imposable par tête de 25 francs contre 46 francs pour la France. La forte poussée démographique augmente le nombre des miséreux. Les ruraux s’entassent dans les bâtisses existantes pour partager le plus souvent la même pauvreté ». Les Campagnes du Périgord - Christian Marty.

C’est après la grande épidémie de choléra en 1832 que Pierre arrive à Nantes.

Le voyage à Nantes


Pierre Neyssensac, « mineur de 24 ans », habite 5 rue Cassini. Avec l’autorisation de sa mère, habitant encore à Saint-Jean d’Estissac, Pierre se marie le 1er aout 1835 avec Marie Louise Prudence D’Lainé, tailleuse, fille de Georges Louis D’Lainé, mentionné « absent sans nouvelle ».

Les témoins de la mariée déclarent d’ailleurs ne pas connaitre ni le lieu de décès ni l’adresse de son père.

L’orthographe de notre patronyme diffère, dans la presse quotidienne, les almanachs Nantais, à partir de 1835 et devient Neyssensa sous la plume de Pierre qui signe « Neyssensa ».



Les témoins sont : Gabriel Brajeau, menuisier, 24 ans, demeurant rue Cassini, André Faye, propriétaire, domicilié rue de la Contrescarpe, Jean L’hermies, né en 1796, menuisier, 39 ans, demeurant rue du Calvaire, et François Giovanetty, mouleur, âgé de 34 ans, rue du Calvaire.

Le 26 avril 1836, la sœur de Pierre, Marie, se marie à Saint-Jean Estissac avec Pierre Benessi, charpentier cultivateur ; Pierre n’apparaît pas sur l’acte.

En 1839, le couple donne naissance à la petite Rose-Marie, puis Pierre en 1840, futur capitaine, et Alfred en 1843, futur armateur.

Pierre fait paraître, entre 1841 et 1844, des annonces commerciales pour la vente de « jalousie à la mécanique » dans les journaux l’Union Bretonne, principal organe bonapartiste de province, et le National de l’Ouest, opposé au régime impérial et soutien des thèses libérales et républicaines de l’époque.

NANTES COMMERCES NEYCENSAS NEYSSENSAS



Traditionnellement formée de lames horizontales de sapin suspendues dans un réseau de chaînettes et de cordes, son mécanisme caché dans un lambrequin, la jalousie s'est généralisée sur les immeubles du centre-ville de Nantes au 19ème siècle. En 1856, on note dans « Description des Machines et Procédés » que les jalousies ordinaires opposent une certaine résistance quand on veut les relever ; le plus souvent elles ne remontent pas parallèlement. Le jeu des cordes et des poulies employées se fausse à chaque instant instants ; elles pendent alors avec inégalité aux croisées, et le menuisier est souvent appelé pour les réparer.

En 1843, provisoirement, Pierre et sa famille quitte le 5 rue Cassini pour le 6 rue Copernic.








De retour 2 rue Cassini, Pierre, à nouveau, fait paraitre de nouvelles annonces dans l’Union Bretonne.







Le 8 juin 1846, Pierre fait paraître ce qui sera la dernière annonce sur l’Union Bretonne. En effet, on apprend la liquidation du fond de commerce. « Ne voulant plus tenir cette partie, Monsieur Neyssensa fera un grand rabais. S’adresser à sa fabrique, 2 rue Cassini ».

Quelques mois après, le 19 octobre 1846, Pierre est élu caporal de la 3ème compagnie de pompiers de Nantes. Pierre appartient à la même compagnie que le 1er lieutenant Pineau, habitant au 3 rue Cassini. Le lieutenant Tirot, de la 1ère compagnie, quant à lui, habite au 2 rue Cassini.

La Garde Nationale de Nantes se compose d’un escadron d’artillerie, d’un bataillon de sapeurs-pompiers, de deux compagnies de marins, quatre bataillons d’infanterie, et d’un escadron de cavalerie.

Nous allons cependant, à nouveau, suivre le trajet professionnel de Pierre. Le recensement de population de 1846, donne la composition du foyer : Pierre est mentionné « menuisier », 35 ans, Louise Lainé, 32 ans, Marie, 7 ans, Pitre, surnom de Pierre, futur capitaine, 5 ans, Alfred, 3 ans, et Marie Montferrier, 68 ans. Marie a quitté le Périgord, Pierre, son frère, menuisier, habite aussi Nantes, rue Cassini. Il se marie le 3 janvier 1846, avec Lisa Malcombe, tailleuse, habitant rue Cassini, née le 6 décembre 1823, fille de Joseph Malcombe, cordonnier, et de Jeanne Verdat, tous domiciliés rue Cassini. Les témoins sont François Giovannetty, mouleur, 45 ans, Jean L’hermies, propriétaire, âgé de 50 ans, tous deux demeurant Place de l’Orme, Auguste Pineau, menuisier, 43 ans, habitant rue Cassini et Pierre Neyssensa, son frère, 33 ans, domicilié rue Cassini.






Ce même Pierre décède le 13 octobre 1852, 24 rue de Gigant, à l’âge de 32 ans. Le décès est déclaré par son frère Pierre âgé de 39 ans. Sa succession est évaluée à 1992,50 francs, destinée à son épouse Lisa, sa fille mineure, Élisa Marie, sous tutelle de sa mère, hérite de 996 francs.


Le troisième fils de Pierre et Marie Louise Prudence, Hippolyte, au destin tragique, nait le 3 mars 1847. Le 26 juillet 1848, la petite marie Marie nait, cinq mois après le début de la troisième révolution française de février 1848. En fin d’année, le 25 septembre 1848, Marie Montferrier décède à l’âge de 79 ans rue Cassini.

1849, une nouvelle épidémie de choléra sévit à Nantes.

Extrait du rapport du médecin nantais Eugène Bonamy concernant le décès de la veuve Chevallier, habitant à quelques centaines de mètres de la famille Neyssensa.

« La veuve Chevallier, âgée de 65 ans, matelassière, demeurant rue de la Rosière, près la place Gigant, était d'une forte constitution, d'une bonne santé, pleine de gaîté et de courage, peu disposée à prendre souci, bien qu'elle fût pauvre et forcée de se nourrir assez mal. Généralement elle prenait une tasse de café au lait le matin, puis elle restait sans manger jusqu'à 3 ou 4 heures du soir ; sa santé, du reste, ne souffrait point de ce régime. Quelques jours avant sa maladie, elle mangea du melon, qui ne l'incommoda en aucune manière. La rue de la Rosière et le quartier dans lequel elle est située ont presque été épargnés pendant l'épidémie ; dans aucun temps de la durée de celle-ci, on n'y a observé ces ondées cholériques si funestes dans certains quartiers. Tout au plus s'y est-il manifesté quelques cas isolés de choléra, et au moment dont il est question et depuis longtemps il n'en existait aucun. C'est dans ces circonstances que, le 7 septembre 1849, la veuve Chevallier alla au matin sur le quai de l'IIe-Gloriette, lieu où l'épidémie sévissait, chercher le matelas de Mme C, jeune femme morte la veille du choléra. Elle le rapporta dans sa chambre, où elle se mit à le dépecer pour le refaire. Elle y travailla le 7 et le 8 ; dans les deux nuits du 7 au 8 et du 8 au 9, elle dormit, la fenêtre fermée, dans la chambre où étaient les matériaux épars de ce matelas ; elle éprouva une impression un peu pénible de ce voisinage, et exprima aux habitants de la maison le désir qu'elle avait d'être débarrassée de cette besogne. Le 9 septembre, qui était un dimanche, à six heures du matin, elle se rendit à jeun à l'église et communia. Rentrée chez elle, elle prit, comme à l’ordinaire, sa tasse de café au lait, puis à 10 heures retourna à l'église. Jusque-là elle n'était nullement incommodée ; elle avait paru, ce même matin, aussi bien portante que de coutume. Mais pendant la grand'messe elle fut prise, tout-à-coup de diarrhée et de vomissements, puis de crampes violentes. On la ramena chez elle, où les accidents augmentèrent et en très-peu de temps elle fut dans l'état suivant : teinte violacée d'une grande partie de la surface de la peau, particulièrement des bras et du visage ; yeux excavés, peau glacée, pouls déplus en plus effacé, puis totalement insensible. Anxiété précordiale extrême, agitation, mouvements incessants des bras pour repousser les couvertures, tentatives fréquentes pour se mettre à son séant et même debout sur son lit. Dans la journée, les vomissements s'arrêtèrent. Le 10 septembre, à 6 heures du matin, la malade succomba, après 24 heures de maladie ».
Ferdinand Favre


Le 28 avril 1849, Pierre et de nombreux artisans Nantais signent une pétition sous la bannière « Aux hommes d’ordre et de travail », en faveur de l’élection de Maurice Duval à l’Assemblée Nationale Législative. Cet ancien préfet, nommé en 1832 sous la monarchie de Juillet, sera révoqué en 1840. En 1851, après le coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, Maurice Duval est nommé « Commissaire extraordinaire pour les départements de l'Ouest » ; il rétabli l’industriel et homme politique, Ferdinand Favre, comme maire de Nantes. Au même moment, la ville de Nantes parle d’une possible épidémie de choléra …..










Pierre et ses rencontres rue Cassini


Tout d’abord au numéro 1, le boucher Mellier.

Au numéro 2, le lieutenant Tirot, 1er compagnie du bataillon de sapeurs-pompiers. En 1867, toujours au numéro 2, le nommé Brischarre obtient un brevet de 15 ans pour « l’application de deux moyens d’utiliser les recoupes des fonds et couvercles de boîte en fer blanc destinées à renfermer les conserves alimentaires et autres substances ».

Au numéro 3, Aristius Louel, musicien français et professeur de musique. Il publie une œuvre musicale didactique, intitulée « Grammaire musicale ou Abrégé des Principes de Musique ».

Toujours au numéro 3, le lieutenant Pineau, de la 5ème compagnie du bataillon de sapeurs-pompiers, mais aussi le menuisier Pineau.


Pierre-Constant Letorzec

Au numéro 4, l’explorateur et capitaine au long cours Pierre-Constant Letorzec, né à Rochefort le 24 février 1798, mort le 27 avril 1857 à Nantes.

Aspirant de marine quand l'égyptologue Frédéric Cailliaud monte sa seconde expédition en Égypte de 1819 à 1822, Letorzec parvient à se faire désigner par le géographe Jomard pour accompagner Cailliaud afin d'effectuer des relevés météorologiques et surtout astronomiques qui lui serviront à dresser avec une précision remarquable la carte de la vallée du Nil. Letorzec tient en quelque sorte le journal de l'expédition et reporte les évènements du jour, et ce malgré le paludisme qui l'épuise. Habile dessinateur, il reproduit les dessins et fresques des monuments découverts. De ses nombreux voyages vers l'océan indien et la mer de Chine, il ramène des plants ou animaux empaillés afin d'étoffer les collections du Muséum d'histoire naturelle de Nantes - Wikipédia.

Au numéro 8, le tourneur-tabletier, Anizan fils, le menuisier Toupé, et le capitaine au long-cours Chevalier, ainsi qu’un certain Rabineau, ingénieur de la voirie, puis au 10, le professeur Rabineau de l’Ecole de la Société Industrielle, école dont la vocation est de « préparer à l’industrie des ouvriers probes et intelligents. C’est sur la classe indigente que s’étendent ses bienfaits. La Société Industrielle donne à chaque apprenti 3 kilogrammes de pain par semaine et 3 francs par mois dont elle l’oblige à déposer la moitié à la caisse d’épargne ».

Au numéro 12, le propriétaire rentier Danton.

Un autre prénommé Jarnou, officier visiteurs des bâtiments de commerce du port de Nantes, et le boulanger Pouponneau.

Au 12 rue Cassini, Juhel, colonel du génie et directeur des fortifications, le médecin, Gilée qui consulte de 2 heures à 4 heures.

C’est en fin d’année 1848 que Louis Napoléon Bonaparte est élu président de la République.

Entre 1849 et 1850, puis 1851 à 1856, Pierre est inscrit sur les listes électorales de Nantes.



Le 2 décembre 1851 le père de Georges Clémenceau, Nantais, est arrêté comme opposant au coup d’Etat. En violation de la légitimité constitutionnelle, Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République Française depuis trois ans, conserve le pouvoir à quelques mois de la fin de son mandat, alors que la Constitution de la Deuxième République lui interdisait de se représenter.

En 1852, Pierre est présent sur l’almanach Nantais en qualité de menuisier mais il ne fabrique plus de jalousies. Pierre s’approvisionne en « pointes en fer, un baril, en provenance du navire la Confiance, capitaine Moreau venant de Nantes ».

1854 : une épidémie de choléra sévit à Nantes, après Madrid et Athènes, Sébastopol, l’eau était alors fournie par des puits ou achetée à des porteurs. Le service d’eau est créé en 1854 par une compagnie privée.



Pierre possède une terre, peut-être un jardin d'agrément, au nord de la rue Cassini, à environ 2 km, citée dans l’Union Bretonne, lors de la vente d’un terrain rue de la Saulziniere le 16 décembre 1858.


Georges Clemenceau, une jeunesse Nantaise




Georges dit à son père, en 1858, lors de sa 2ème arrestation à Nantes : « Je te vengerai ». Une pensée qui ne cessera de le hanter. Le docteur Benjamin Clemenceau fit toujours preuve de convictions révolutionnaires passionnées. Lors de la Révolution de 1848, il apparut aux premiers rangs des républicains et fit partie de la Commission démocratique qui prit le pouvoir à Nantes.

Pierre, bientôt capitaine au long cours nait en 1840, une année avant Georges Clemenceau. Ils habitent à peine à 300 mètres l’un de l’autre, en effet, enfant, Georges Clemenceau habite au 8 rue du Calvaire, où son père est médecin. Tous deux fréquentent le quai de la Fosse dès leur plus jeune âge. Pierre croisa-t-il le jeune Clemenceau sur le quai de la Fosse ? Voici le récit de Clemenceau décrivant le quai dans son ouvrage « Au fil des jours » :

« chez Monsieur Chandeleur …..  Un grand appartement tout nu, au sol carrelé, avec de larges baies de lumières sur la Loire, où les lourds navires ventrus déchargeaient dans des odeurs de mélasse et de goudron, mille choses étranges venues des îles. Nous eûmes la de beaux jours ».


Clemenceau obtient son bac le 1er aout 1859 puis réussit le concours d'externat des hôpitaux de Nantes. Il rejoindra Paris en fin d’année 1861 et continuera ses études de médecine.


1861 - l'année essentielle


Pierre va travailler entre 1861 et 1867 avec l’un des grands architectes Nantais, Joseph-Fleury Chenantais qui réalisa quelques-uns des équipements civils et religieux majeurs de Nantes :
L’église Notre-Dame du Bon-Port, la Manufacture des Tabacs ainsi que certains édifices aujourd’hui disparus comme le théâtre de la Renaissance.




La Manufacture Impériale des tabacs




15 mars 1861, Pierre est retenu en qualité de seul adjudicataire, avec une réduction de 11 pour cent, pour effectuer les travaux de menuiserie de la nouvelle manufacture royale de tabac de Nantes. « Succédant à des ateliers provisoires installés en 1857, la manufacture de Nantes est conçue entre 1861 et 1865 pour répondre à l’accroissement de la consommation des cigares en France ».









L’Exposition Nationale Nantaise









14 juillet 1861, c’est en pleine révolution industrielle que l'exposition Nantaise ouvre ses portes au public. Pierre fait partie des 2 000 exposants pour la partie industrielle et agricole.

« La première révolution industrielle débute en Angleterre au milieu du 18e siècle. Elle est fondée essentiellement sur l’utilisation de la vapeur comme source d’énergie permettant de faire fonctionner des bateaux et, un peu plus tard, des locomotives. Une autre énergie est également développée, plus marginalement, durant cette période : le gaz. L'industrie textile est la première, avant l’utilisation pour les besoins de l’agriculture, à être mécanisée. La seconde révolution industrielle a lieu en France dès le début du 19ème siècle, et opère la transition d’une société à dominante agricole et artisanale à une société commerciale et industrielle. Cette seconde révolution est surtout basée sur l’emploi de l’électricité, la chimie et la métallurgie. L’exposition nationale de Nantes accueille donc en cette année 1861 les inventions les plus novatrices du siècle, qui concernent essentiellement l’industrie et l’agriculture mais aussi les transports, la sécurité, l’hygiène, le confort. Soit tout ce qui permet l’augmentation de la force de travail et des rendements, et ce qui améliore le quotidien. Ainsi, de tous les coins du pays les industriels et commerçants ont apporté avec eux une multitude de produits ». Archives municipales Nantaises.

Les produits présentés sont classés en 7 groupes et 27. Ainsi le septième groupe, et dernier, auquel appartient Pierre, avec l’ameublement et la décoration, la mode, le dessin industriel, l’imprimerie et la musique. Pierre dans la rubrique « ameublement et décoration, meubles et ouvrages d’ébénisterie d’un usage courant », obtient une médaille de bronze pour son travail sur « boiseries et lambris ».








L’Hôtel-Dieu





Union Bretonne le 27 septembre 1862

Nouvelle adjudication pour Pierre, cette fois pour la fourniture du mobilier du nouvel Hôtel-Dieu, peut-être confectionna-t-il le mobilier de la pharmacie ci-dessous ?

Pierre est adjudicataire moyennement un rabais de 8 pour cent.

C’est entre 1856 et 1863 que le nouvel hôpital, localisé place Alexis-Ricordeau, est construit par l’architecte Joseph-Fleury Chenantais, avec près de 900 lits ; le bâtiment comporte deux groupes de cinq pavillons parallèles, de trois niveaux, reliés par de longs couloirs vitrés. La façade, coupée en deux par la chapelle, abrite l'école de médecine et l'administration. L’Hôtel Dieu se situe à 1,5 kilomètres de la rue Cassini.

Joseph-Fleury Chenantais

Lors de la Seconde Guerre mondiale, les bombardements alliés du 16 septembre 1943 détruisent près de 60 % des bâtiments.






17 mai 1864 : décès de la belle-sœur de Pierre, Lisa Malcombe, 46 ans, veuve de Pierre, menuisier lui aussi, domiciliée boulevard Saint-Aignan.

A cette époque les rues de Nantes sont en pleine effervescence … « ouverture de la rue de l’Hôtel de ville, vente de matériaux de la maison rue Saint Léonard, numéro 33, prolongement de la rue de l’Evêché, pavage de la rue d’Orléans, et de nombreuses grandes percées, avec ventes des maisons Bataille et Jalabert, Gallard et Thibault ».

C’est dans ce contexte que le 9 novembre 1864, Pierre et Marie Louise Prudence D’Lainé cèdent une portion de leur terrain, d’environ 162 mètres de long, au 22 rue de Gigant, afin de faciliter l’élargissement de la voie publique. La famille Mangin, père et fils dirigeants du journal le « National de l’Ouest », habite aussi rue de Gigant.

Pierre est peut-être présent lors de l’inauguration de l’hôpital-dieu le 15 novembre 1864, sis sur l’ile Gloriette, avec ses dix bâtiments modernes, clairs, avec de larges couloirs vitrés, c’est donc un hôpital moderne qui accueille dans sa partie centrale, cuisines, lingerie, et logement des religieuses.

Le 11 mars 1865, Pierre fait partie du comité de souscription pour les études d’un canal maritime de Nantes à l’océan. Pierre fait un don de 5 francs. Toujours pour l’année 1865 Pierre est inscrit « menuisier en bâtisses » sur l’almanach Nantais. A cette époque, on distinguait la menuiserie dormante, tels que parquets, planchers, buffets, lambris, cloisons, boiseries, bibliothèques, la plupart de ces objets étant destinés à être recouverts de peinture, et la menuiserie mobile, tels que les portes, charnières, volets et persiennes, jalousies, la spécialité de Pierre.

Le 28 septembre 1866, une date importante pour Pierre Neyssensa et son fils, à présent capitaine.

L’Union Bretonne note, « A la pleine mer de ce matin, il a été lancé des chantiers de Messieurs Guibert et Blondel, à Chantenay, le trois-mâts Lucie, de la portée de 450 tonneaux, construit pour le compte de Monsieur Briand, capitaine et armateur ». Sur le quai de l’ile Videment, toute la famille Neyssensa regarde s’éloigner le trois-mâts, le temps est orageux et à grain.



En effet, Pierre s’est engagé en qualité de quirataire à hauteur de 300 quirats, Lucien Briand, armateur, 310 quirats, Auguste Brindeau, capitaine au long cour, 300, Jean Baptiste Musquier, voilier, 40, Jean Pignot, cordier, 40 et Aristide Blindeau, maturier, 40 quirats. Ils confient le commandement du trois-mâts au tout jeune capitaine, Pierre Neyssensa.






Un quirat correspond à une part de propriété du Lucie en indivision. Le Lucie est ainsi divisé en quirats, parties égales. Chaque propriétaire détient un ou plusieurs quirats selon la somme déboursée. Le quirat et soumis au droit maritime. Pierre est donc indéfiniment et solidairement responsables des dettes de la copropriété.




Le 14 décembre 1866, le trois-mâts quitte Saint-Nazaire pour l’ile de la Réunion.


Théâtre-Cirque





Quelques mois après, le 25 décembre 1867, Pierre est présent lors de l’ouverture du Théâtre-Cirque ou « Théâtre de la Renaissance », avec toute la haute société Nantaise. Il est vrai que la menuiserie du Théâtre a été confiée à Pierre Neyssensa et Fournier. La salle est transformée en cirque par le simple arrangement du parterre en piste et contient environ 3000 places. L’architecture est confiée à Chenantais.



Le Théâtre, située place Brancas, accueille la troupe royale Italienne sous la direction de Mr Achille Ciotti, écuyer honoraire de sa majesté le roi d’Italie.

 « L'édifice construit en quelques mois possède un développement de façade modeste, mais une salle a dimensions considérables. Des stalles larges et commodes d’où l’œil peut embrasser entièrement soit l’artiste, soit la scène. Il renferme en outre deux vastes foyers, un fumoir, un café, un buffet. Derrière la salle, se trouvent les écuries pour 60 chevaux, d’immenses greniers à foin, des aménagements aussi complets que possible. Le propriétaire de ce cirque-théâtre est Mr Touchais, riche et intelligent négociant de Nantes. Les collaborateurs de Mr Chenantais, architecte, sont notamment, Neyssensa et Fournier pour la menuiserie …. » article d’Armand Dulac en 1867.



1868 la terrible année


Le trois-mâts est à quai à Saint-Benoit le 16 février 1868, avec le restant de riz, puis se dirige vers Saint-Pierre le 22 février 1868 chargé de diverses marchandises, le 26 février le navire est en vue du port de Saint-Benoit. Le 7 mars, le trois-mâts, avec à bord, 13 hommes d’équipages quitte Saint-Benoit pour le port de Saint-Paul. L’ouragan dévastateur emporte le Lucie le 12 mars 1868. Le fils plus jeune, novice, Hippolyte, né le 1er mars 1847 à Nantes et âgé de 21 ans disparaît emporté par les flots de la baie de Saint-Paul.

Le commissaire de l’inscription maritime à Saint-Nazaire, en juin 1868 s’adressant au commissaire de l’inscription maritime de Nantes :

« Le trois-mâts Lucie de Nantes, capitaine Neyssensa, est déradé de Saint-Paul (Réunion) le 12 mars 1868, lors de l’ouragan qui a eu lieu à cette époque et n’a pas reparu depuis : avis de Saint-Paul du 7 avril 1868. Il est donc présumable que ce navire est perdu corps et biens.

Dans cette situation, j’ai l’honneur de prier Monsieur le Commissaire de l’Inscription Maritime à Nantes, de vouloir bien porter le fait ci-dessus, à la connaissance des familles des marins ci-après désignés, qui se trouvaient à bord lors du déradage :

1er - Neyssensa Pierre, capitaine au long cours inscrit à Nantes sous le numéro 372, capitaine de la Lucie.

2ème - Mossu Pierre Gustave, matelot de 2ème classe, inscrit à Nantes sous le numéro 367, cuisinier.
3ème - Neyssensa Hippolyte Léon, novice inscrit à Nantes sous le numéro 1278, novice.

4ème - Dioré Joseph Marie Edgard, maître au cabotage, inscrit à Nantes sous le numéro 367, 2ème capitaine.

J’ai également l’honneur de prier Monsieur le Commissaire de l'Inscription Maritime à Nantes, de vouloir bien informer Monsieur Briand, armateur de la Lucie, de la disparition de ce navire, en lui annonçant que je vais faire procéder au désarmement administratif afin d’arrêter les salaires et la navigation des hommes présents à bord le 12 mars 1868, et à vouloir bien m’indiquer à qui je devrai m’adresser à Saint-Nazaire pour avoir les feuillets de désarmements nécessaires et verser les montants de l’arrêté du rôle. Saint-Nazaire le 19 juin 1868 ».

Le 28 juillet 1868, selon le Commissaire de l’Inscription Maritime à Saint-Nazaire, « on serait porté à croire, selon le rôle figurant à l’article de ce capitaine, qu’il se trouvait à bord le 12 mars 1868, jour où le navire a déradé à Saint-Paul (Réunion) mais il n’en serait rien si l’avis que m’a donné le courtier de la Lucie, que le Sieur Neyssensa est en ce moment à Nantes est exact. Merci de bien vouloir m’indiquer si le capitaine Neyssensa est effectivement à Nantes ? ».

Réponse du Commissaire de l’Inscription Maritime à Nantes : « j’ai l’honneur de vous informer que le capitaine Neyssensa Pierre est à Nantes, et que, s’il a échappé au malheur de perdre, c’est uniquement parce qu’au moment du coup de vent qui a fait dérader son navire la Lucie, il se trouvait à terre, à Saint-Paul, pour les affaires de son armateur. Nantes le 31 juillet 1868.

En réalité, Pierre échappe au naufrage. Il est rapatrié par le Saïd courant mai 1868.




Dès son retour du Cap de Bonne Espérance, le 15 juin 1868, il se marie avec Adèle Lotz, mineure et rentière. Une publication de mariage suivie d’une « promesse de mariage » parait le 31 mai 1868 dans l’Union Bretonne. Un contrat de mariage est dressé le 11 juin 1868 chez maître Eugène Riom, notaire à Nantes. Nous retrouvons ci-dessous les signatures de Pierre le menuisier, Pierre le capitaine, et de sa mère.




En 1870, l’entreprise Neyssensa se développe encore, Pierre fait alliance avec François Salmon, fabricant de conserves alimentaires, demeurant à Nantes 36 rue de Gigant. La raison sociale de la société en nom collectif se nomme F. Salmon et P. Nessensa. Elle aura pour objet l’établissement et l’exploitation du commerce des conserves alimentaires et salaisons. L’adresse de la société se situe à Villeneuve de Lalande, commune de Chantenay.




1870 - effervescence rue Cassini :

« Le soir de la déclaration de la guerre à la Prusse, une centaine de jeunes gens et de cocottes sortant du café-chantant de la rue Cassini entonnent la Marseillaise sur la place Delorme. Le lendemain, le dimanche 17 juillet, des bandes nombreuses parcourent les rues de la ville en chantant la Marseillaise et en criant « à Berlin », le 28ème de Ligne quitte Nantes le mardi 19, le 23 juillet c’est le tour de l’escadron de lanciers ». Une cocotte est une prostituée de luxe sous le Second Empire.

En milieu d’année 1872 Pierre et sa femme habite toujours au 2 rue Cassini avec sa fille Emilie âgée de 28 ans - recensement de 1872. Emilie épousera Jean Joseph Alexandre Jacob le 20 octobre 1880.
L’activité de salaisons et de conserves continuent en 1872, la société de Pierre Neyssensa et Salmon se fait livrer 2 caisses de conserves de tomates, par la compagnie des paquebots de l’ouest et du midi, paquebot Loire et Bretagne, capitaine Philippi, en provenance de Bordeaux.




En 1873 la société est domiciliée rue Fouré. La société semble disparaître peu de temps après. Nous allons comprendre qu’elle en est la raison.

Nous retrouvons Pierre « menuisier en bâtisse et pour la marine » sur l’almanach des 40 000 adresses et fabricants de Paris en 1873. En 1875 Pierre est toujours menuisier au 2 rue Cassini. Il est âgé de 56 ans.

En 1876, Louise, fille de Pierre le menuisier, habite au 22 rue de Gigant, appartement 83, propriété de ses parents. Louise se marie le 20 octobre 1880 avec Jean-Joseph-Alexandre Jacob.



Les années noires 1875 - 1877


Tout semble commencer, pour Pierre, peu de temps après les drames personnels et déboires professionnels de son fils Alfred Neyssensa, armateur, habitant au 53 quai de la Fosse.

Le 13 septembre 1871 dans « Jurisprudence et Jugement du tribunal maritime de Nantes - volume 13 », Salagnac assigne Alfred Neyssensas, pour non livraison de 1500 kilos de vieux cordages.

Marié depuis trois années, Alfred, habitant 53 quai de la Fosse, perd son épouse, Jeanne-Marie Monnier, âgée de 19 ans, « une messe chantée à l’intention de Madame Neyssensa est célébrée dans l’église Notre-Dame de Bon-Port le vendredi 12 janvier 1872, en présence des familles Champenois, Bonté, Lhermies et Guillemet ».

Un mois après, sa fille, Marie, âgée de 2 ans décède le 14 février 1872. Sur le recensement de population en 1872 Alfred, 28 ans, vit à présent seul au 52 quai de la Fosse. Une domestique est au service d’Alfred, Marie Rio, âgée de 30 ans logée dans le même appartement.




Alfred de son appartement assiste impuissant à la montée des eaux sur le quai de la Fosse en décembre 1872.


Le grand port maritime de Nantes-Saint Nazaire, histoire et généalogie, presse locale ancienne


En 1875 Alfred se marie à nouveau. Il habite avec Joséphine Pajeot à présent au 19 rue Voltaire.

Alfred s’allie le 13 janvier 1875 avec Eugène Colson en vue d’armer des navires à fret, avec comme condition qu’Alfred ne puisse affréter, vendre ou acheter des navires pendant cinq années, clause qu’Alfred ne va pas respecter et l’entrainer vers de nombreux procès.

Puis la presse annonce la faillite d’Alfred Neyssensa le 26 avril 1876, faillite qui fera jurisprudence et illustrera bien comment les relations entre armateurs et copropriétaires ont été jugées entre 1876 et 1877. Peu à peu, Alfred perd ses navires, les trois mats, l’Auffredy, l’Argus, l’Edith, le Sirius et l’Antoinette, le lougre le Bienfaisant.

Joséphine Pajeot, à sa demande, afin d’éviter elle aussi d’être impactée par la faillite de son mari, est séparée de biens par acte de justice en mai 1876.

La faillite de l’entreprise de menuiserie de Pierre est prononcée par le tribunal de commerce de Nantes le 13 novembre 1876.

La faillite entraine les saisies des biens immobiliers de Pierre et sa femme situés 2 rue Cassini et 22 rue de Gigant, mis à prix respectivement 50 000 francs et 110 000 francs.





 

























1879 : Pierre Neyssensa est encore associé, pour la dernière fois, avec Salmon Salaisons. Sur l’annuaire Nantais Alfred, Pierre et Pitre capitaine de navires habitent tout trois le 5ème canton.





1891, Pierre décède à l’âge de 78 ans, à l’hôpital Saint Joseph, 15 rue des Orphelins. Aucune succession n’est mentionnée sur les registres de Nantes en 1891.

Pierre Neyssensa ne verra pas les dernières années du 19ème siècle, l’arrivée des magnifiques derniers grands voiliers sortis des chantiers Dubigeon à destination des plus grands ports du monde, l’animation toujours incessantes du quai de la Fosse.

Pierre, sera le dernier témoin des « longs serpents de cordages ou de lourdes voiles bien serrées, des navires en perpétuels mouvement, …. Des lourds chariots attelés de robustes percherons venant prendre, à la sortie des cales, les marchandises débarquées, marins long-courriers roulant des hanches et des épaules, pas très solides sur leurs jambes, rejoignant leurs navires, escortés de joyeuses filles et de l’inévitable accordéon, …… tout ce monde juché parfois dans un sapin au cocher coiffé d’un monumental et solennel gibus, …… badauds en promenade, …. Sentant monter en eux cette indescriptible griserie s’échappant, invisible, des navires en provenance des contrées tropicales. Commandant Aubin.


Son départ, un jour du Périgord, permit, quelques années plus tard, à son fils Pierre de devenir capitaine au long-cours, « profonde vocation maritime inspirée là sur ce vieux quai de la Fosse… ».






Pierre et Marie Louise Prudence D'Laine et leurs enfants : Rose Marie en 1839, Pierre, en 1840, futur capitaine, Alfred en 1843, futur armateur, Hippolyte en 1847, Marie en 1848, et Louise.



Dans un premier temps nous allons découvrir le parcours de Pierre, capitaine au long cours, d'Alfred, armateur, puis d'Hippolyte, matelot.






Marguerite Françoise l’Hermies
Marguerite Françoise l’Hermies


Rose se marie avec Adolphe Jean Marie François L’Hermies, né en 1834, chapelier.

Le 25 juillet 1865, leur fille Marguerite Françoise l’Hermies nait à Nantes.

Elle se marie le 25 aout 1885 avec Tatius Renier - ci-dessous



Voici deux superbes photos du couple Marie Eugénie Berthe JULY née en Guyanne, deuxième épouse de Tatius Valentin Aimé Renier « Maurice », directeur d’agence publicitaire à Paris, mariés le 15 février 1899.
  
Marie Eugénie Berthe JULY

TatiusValentin Aimé Renier

  
 
Photos transmises par Monsieur Y. Chevalier en 2011 arrière-arrière petit fils de Rose












Pierre Neyssensa, (1840-1901) capitaine au long cours

Au Cap de Bonne Espérance




Pierre nait, 2 rue Cassini, dans le 5ème canton de Nantes, le 17 septembre 1840, fils de Pierre Neyssensa, menuisier aux chantiers navals, et de Louise D’Lainé. La rue Cassini est située à environ 400 mètres des bords de Loire, et du quai de la Fosse.

Jules Verne (1828-1905)

« Je revois la Loire, dont une lieue de ponts relie les bras multiples, ses quais encombrés de cargaisons, sous l'ombrage des grands ormes, et que la double voie de chemin de fer, les lignes de tramway ne sillonnaient pas encore. Des navires sont à quai (quai de la Fosse) sur deux ou trois rangs, d'autres remontent ou descendent le fleuve.

Pas de bateaux à vapeur à cette époque, ou très peu. En ce temps-là, nous n'avions que de lourds bâtiments à voile de la marine marchande. Mais que de souvenirs ils me rappellent ».

Année 1867, Pierre, 27 ans, capitaine depuis le 22 mai 1865, passe le Cap de Bonne Espérance, au large de l’Afrique du Sud, à bord du trois mâts Le Lucie.

Les périodiques Australiens The South -Australian Advertiser Adelaide, The Sydney Morning Herald, et le périodique Nantais, l’Union Bretonne, nous permettent de retracer le voyage du Lucie dans l’Océan Indien. (7).

Le Lucie quitte le port de Saint Nazaire en décembre 1866, à destination de l’ile de la Réunion.
Le nouveau port dépasse en trafic le port de Nantes et ne connait pas de risque d’ensablement. La construction des chantiers navals développe considérablement le port, Nantes conservant le centre d’affaires et de formalités douanières.

Avant de quitter le port d’armement, le capitaine fait visiter Le Lucie, afin d’obtenir un procès verbal déposé au greffe du tribunal de commerce. Le lundi 17 décembre 1866 à 10h07, le trois mâts sort du bassin de Saint-Nazaire, par vent d’ouest, sous un ciel couvert et brumeux, légèrement pluvieux.

Le jeudi 20 mars, la température est de 12 degrés, le temps calme et beau, Le Lucie prend la mer à 15h00. Le voyage dure environ 42 jours, jusqu’à 70 jours si le navire effectue une ou deux escales. L’Union Bretonne ne nous renseigne pas sur le contenu de la cargaison, l’année 1867 n’étant pas numérisée aux AD de Nantes. Le Lucie transportait peut être une cargaison de salaisons Nantaises et autres marchandises, il a pu accoster en Grande Bretagne, dans le port de Cardiff, les navires chargeaient du charbon d’excellente qualité, à destination des sucreries de la Réunion, et bénéficiaient d’un régime fiscal favorable, le Lucie  a peut-être fait escale à Bordeaux, puis sur la côte africaine.
 
LA REUNION GENEALOGIE CLICANOO SAINT PAUL EMBARCADERE

Le Lucie parvient à la Réunion courant mai 1867 au moment de la saison fraîche, avec un minimum de 6 degrés certains jours. Après la grave crise du sucre de 1865, le gouverneur de l’ile de la Réunion écrit le 19 novembre 1867 «ici la récolte sera très réduite et l’an prochain beaucoup plus encore. Ces malheureuses colonies sont bien éprouvées. L’Europe ne peut désormais compter sur ces seules productions. L’Australie augmente chaque jour sa consommation. La production de l’Ile de la Réunion ne peut satisfaire les besoins même de l’Australie, où les sucres se paient sensiblement plus cher qu’en France ». Extrait de «La Sucrerie Indigène et Coloniale -  1883.


 Le Lucie quitte Saint Denis de la Réunion, le 2 juin, à destination de l’Australie avec un chargement de 11 532 petits sacs de sucre, les sacs sont  destinés à l’importateur H Fourcade, domicilié en Australie. Le sucre provient de la récolte de l’année précédente, récolte satisfaisante, acheté à un prix moindre, juste avant la nouvelle récolte de juillet 1867, qui, à nouveau, est atteinte par la maladie de la canne à sucre.

Le Lucie passe au large de l’Ile Maurice, vers le 3 juin 1867, une épidémie de malaria sévit. On dénombre environ 20 000 décès à Port Louis.

Le Lucie passe au large de l’Ile Maurice, vers le 3 juin 1867, une épidémie de malaria sévit. On dénombre environ 20 000 décès à Port Louis.

Vers le 26 juillet 1867, le Lucie est amarré au port de Queens Wharf d’Adélaïde, Sud de l’Australie. La société John Newman and Son assure l’administration des douanes du port. La cargaison est déchargée sur les docks du port d’Adélaïde fin juillet 1867. C’est la saison d’hiver en Australie avec des températures ne dépassant pas les 15 degrés.

Un journaliste indique « Il y a très peu d’activité dans le port de commerce, et beaucoup de souffrance. Une grande détresse, se manifeste parmi les hommes des docks, faute d’emploi, des centaines d'entre eux n’ont rien gagnés depuis plus de dix jours. Seuls ont été organisés les chargements de quelques bateaux de cabotage. Une douzaine de bateaux à destination des colonies sont à quai et les quais presque désertés.



L'arrivée du navire Le Lucie, avec une cargaison de sucre en provenance des iles Bourbon, hier, a causé un grand enthousiasme parmi les agents, les commerçants et les ouvriers. Des centaines d’hommes entouraient le navire à son arrivée dans le port, les ouvriers espérant un emploi pour le déchargement.


La situation est malsaine, et si de nouveaux arrivages ne sont pas prévus pour conforter les intérêts du Port d’Adelaïde, il incombera au gouvernement d'apporter une aide ».

Le 31 juillet 1867 The South Australian Advertiser Adelaide mentionne dans ses pages, « la vente aux enchères chez Townsend, Botting and Kay, de la cargaison de sucre du Lucie. Fine ration, Extra fin légèrement cristallisé, Extra fine Bright, Fine Brown etc. …. ». Les acheteurs potentiels sont brasseurs, épiciers, agriculteurs. Voir contenu de l’annonce en annexe.

Le 3 aout 1867, on note dans The Maitland Mercury  « Le temps est beau, mais très froid. La cargaison de sucre en provenance des Iles Bourbons a été vendue aujourd’hui et retirée. Le marché du mais est calme et les prix inchangés ».

Le 7 aout 1867, Pierre Neyssensa, est passager à bord du Coorong, commandé par le Capitaine W Mc Lean, à destination de Melbourne via Port Victor, pour une prise de contact avec des acheteurs potentiels. Mr et Mrs Edouin (Le capitaine Hedouin, de Lorient, est capitaine de l’Auguste Gache en 1868), sont parmi les passagers du steamer. Le Coorong a été construit par la société J.G. Lawrie à Port Glasgow pour J Darwent d’Adélaide. C’est un vapeur de 391 tonneaux : Sources : Mariners and ships in Australian Waters.

Le 14 aout 1867, Pierre Neyssensa, quitte Melbourne à destination de Sydney, à bord du City of Adelaïde, commandé par le capitaine David Walker. Le City of Adelaïde est un navire à vapeur, trois mâts, de 838 tonneaux, lancé en 1863 par les chantiers Écossais de Glasgow, J & G Thomson de Govan pour l'ASN Co d'Adélaide.

Sa carcasse brûlée, est échouée, aujoud'hui à Cockle Bay, Magnetic Island, Australie. Il fût utilisé pour le transport des voyageurs entre Melbourne, Sydney, Honolulu et San Francisco, puis transporta de frêt à partir de 1871.

Le navire peut atteindre la vitesse de 20 km/k et peut transporter 194 passagers en deux classes. Pierre Neyssensa est en cabine. Il effectue le retour le surlendemain. Pierre prépare vraisembleblement l'escale du 19 août, la vente du restant de la cargaison de sucre, et un nouveau transport de sucre prévu poru mi-avril 1868.
Le 19 aout 1867 Le Lucie, quitte Adelaïde pour Sydney avec un équipage de 11 marins avec à bord le frère de Pierre, Hippolyte Neyssensa, 20 ans matelot. Le relevé des passagers effectué par The Mariners and ships in Australian Waters mentionne Pierre Negssenste, capitaine, au lieu de Neyssensa,  le nom de famille d’Hyppolyte est inscrit Myssensa, le Lucie est bien immatriculé à Nantes. Le voyage dure 5 jours.

Le mercredi 4 septembre la société Stubbs and Co, met en vente à 10h30, au City Mart de Sydney, la partie restante de la cargaison de sucre. Les exportateurs se nomment Pierre Boyer, Charles Martineau et Alfred Fourcade, 84 Pitt Street à Sydney et 118 Victoria Street, qualifiés de marchands sur le « The Official Post Office Directory of New South Wales » qui répertorie l’ensemble des habitants de Sydney et autres villes Australiennes. On rencontre d’autres Français habitants Sydney - Boyer Louis : charpentier, Fourcade Hipolyte.

 Une large participation des acheteurs permet à la quasi-totalité de la marchandise d’être vendue à des prix satisfaisants, les deux tiers à 35 dollars pour le sucre de canne, l’Extra fine Bright à 32 dollars, et entre 28 et 30 dollars pour le Fine Brown.

Le 18 septembre 1867 Le Lucie quitte le port de Sydney « Moore’s wharf » pour Saigon avec un chargement de 329 tonnes de charbon, exporté par la société H. Labat and Co. Dans la Revue universelle des mines, de la métallurgie, et des travaux de 1868, il est noté « les charbons de Newcastle, au nord de Sydney sont équivalents, en qualité, à ceux de l’Angleterre et permettent seuls d’effectuer de notables bénéfices ».
Le charbon de Sydney est utilisé pour la combustion des machines marines et des locomotives ».

Le trois mâts arrive à Saigon le 21 novembre.


Le Port de Saigon et l'appontement furent construits en 1862. Saigon, aujourd’hui Hô-Chi-Minh-Ville, est aux mains des Français depuis 1860 et permet à la colonie d’asseoir la présence Française dans la région face à Singapour, colonie Anglaise. Le Lucie quitte Saigon le 18 décembre 1867 et rejoint la route qui mène de Pondichéry, ancien comptoir Français en Inde à la Réunion.

En 1835, l’esclavage est abolit. Au départ de Pondichéry, se développe un nouveau « marché ». Des milliers de travailleurs transitent par le port, venus de toute l’Inde, et sont envoyés vers les sucrières des Iles Mascareignes. 250 sucrières fonctionnent sur l’Ile Maurice au milieu du XIXème siècle. Environ 10 000 indiens arrivent de l’Inde chaque année.


Le 2 février 1868, Le Lucie arrive à la Réunion en provenance du Bengale, avec une cargaison de riz, graine alimentaire totalement absente sur l’ile. C’est ce que l’on appelle le voyage intermédiaire. Il permet de conséquents bénéfices et se fait rarement à pertes. Le 19 février on lit dans « Malle de Maurice et la Réunion» « Est en rade de la colonie le navire Lucie en attente de départ pour l’Australie ». Dans l’Union Bretonne de mars 1868, dans la rubrique « Marché » qui détaille les transactions opérées par les navires on peut lire « Pour l’Australie, Le Lucie a obtenu pour l’aller (trajet de juillet 1867) 80 francs par tonneau. De là ce navire doit relever pour Saigon, où il prendra une cargaison de riz pour notre colonie, à raison également de 60 francs par tonneau, à fret simple. Le fret de sortie de la Nouvelle Hollande (Australie) reste acquis au navire ».
Le 7 mars 1868 Le Lucie doit quitter le port de Saint Paul de la Réunion pour Sydney avec une nouvelle cargaison de 373 tonnes sucre. Sources : 6 mai 1868 The Sydney Morning Herald. Arrivée à Sydney prévue vers le 5 avril.


L’Union Bretonne, journal périodique Nantais - 2ème quinz. Mai 1868 indique :


« Saint Denis de la Réunion – 18 mars 1868 (voie de Suez). Sucres – Nous avons déjà constaté l’absence totale de transactions en sucre durant ce mois. Nous n’avons donc plus qu’à indiqué ce qui reste de disponible et les expéditions du mois de mars, laissant au prix courant la cote nominale de 22 – 22,25 pour la bonne 4ème. Nous apprécions que l’on peut encore faire 12 chargements, peut-être 15 car certains sucriers se décideront sans doute à manipuler les grandes cannes par trop maltraitées et qui auraient tout à perdre d’attendre la prochaine campagne. Dans ces quantités des qualités inférieures figurent pour la majeure partie. L’expédition du mois consiste en six navires, dont nous donnons ci-dessous l’état des chargements. Entre autre,  pour l’Australie Le Lucie pour 373 277 tonnes de sucre ».

Le Lucie doit quitter la Réunion vers les 11 ou 12 mars, juste avant le 9ème raz de marée de l’année, et l’ouragan.


L’ouragan des 11 et 12 mars 1868 - La Réunion et Maurice


Dans l’Union Bretonne du mois de mai 1868, on peut lire, dans la rubrique « Malle de Maurice et la Réunion » (voie de Messine), Saint Denis de la Réunion le 19 avril, « Le navire Lucie, cap Neyssansa qui chargeait pour Sydney (Australie), et l’Albatros, cap Sanguy pour Marseille n’ont pas reparu depuis le cyclone ».

A nouveau la deuxième quinzaine du mois de Juin 1868, un télégramme de Saint Denis de la Réunion du 19 mai indique « Nous restons toujours sans aucune nouvelle des navires Lucie, Albatros, Jacques et Marie. Tout fait craindre malheureusement que ces bâtiments ne soient perdus ». En réalité le Jacques et Marie arrive peu après l’ouragan en provenance de Saigon et ordre lui ai donné de continuer vers l’ile de la Réunion.

Dans Revue maritime et coloniale – 1868 – p 422. Ouragan, il est écrit « Un des plus violents cyclones qui se soient jamais fait sentir dans la mer des Indes est passé sur les iles Maurice et Réunion durant les journées des 11 et 12 mars. Le 11 mars, le baromètre effectue une chute impressionnante. La température s’élève à 29 degrés. A deux heures du matin l’ouragan est au plus fort de sa puissance, le vent souffle avec une furie inimaginable, les rafales sont comme des coups de canon. La nuit fut terrible, la matinée du 12 plus terrible encore. La tempête était dans toute sa force et broyait dans ses tourbillons, arbres, maisons, sucreries. L'île entière était enveloppée dans la désolation. On vit alors les bâtiments du port jetés pêle-mêle, les uns sur les autres, sur une partie à la côte, les bateaux côtiers brisés et coulés.

Durant ces quatre terribles heures de nombreux navires cassent leurs chaînes, et sont projetés sur le quai. La plupart des navires seront condamnés. Des cadavres se comptent par dizaine en ville. Quelques heures après le passage du cyclone, le 13 mars, le beau temps revient ». Dans un périodique Australien, « il y a quelques temps un navire français, Le Lucie a chargé une cargaison de sucre à Bourbon à destination de Melbourne. Il a été pris au large des côtes par gros temps, et rencontré des vents violents, peu après avoir quitté le port de la Réunion. Il semble que la cargaison ait été perdue au large de l’île Maurice ». Il n’est plus fait référence du Lucie dans les périodiques Australiens et Nantais après la fin du mois de juin. En réalité le navire semble avoir sombré dans la rade de Saint Paul de la Réunion.

L’océan Indien est réputé pour être une zone de tempêtes fréquentes. On n’attribuait pas les naufrages des navires aux capitaines mais plutôt aux mauvaises conditions météorologiques. Entre 1825 et 1884, sur 625 navires envoyés dans l’océan indien seuls 44 furent perdus.

La perte du Lucie et de sa cargaison fut vraisemblablement un désastre financier pour le père de Pierre, et les propriétaires du navire.





Grâce à l’aide précieuse du personnel des archives départementales de Loire Atlantique, nous apprenons que Pierre Neyssensa échappe au naufrage du Lucie, lors de l’ouragan, étant resté à terre. Il est rapatrié ainsi que son équipage par le vapeur Saïd. (3 P 589). Le paquebot Said appartient à la Compagnie des Messageries Maritimes, construit en 1864 pour la ligne Egypte, Océan Indien, suite à la création du canal de Suez. Dernier navire à hélice en fer gréé en trois mâts barque, avec une cheminée, il jauge 1829 tonneaux et mesure 105 mètres.


Le capitaine était tenu d’être obligatoirement à bord, en particulier lors des sorties et entrées dans les ports, moments difficiles de la navigation, et de respecter les délais prévus dans les opérations commerciales. Le gouverneur de l’ile Maurice indique dans un courrier adressé aux armateurs Nantais en 1830, «les capitaines toujours retenus à terre pour les affaires de leurs navires, en laissent la conduite à des officiers qui manquent d’expérience et de prudence. Les armateurs éviteraient des pertes s’ils faisaient obligation aux capitaines de ne jamais découcher de leurs navires surtout pendant l’hivernage à Bourbon ».

Le rapport du capitaine Pierre Neyssensa après la disparition du navire Le Lucie

Extrait des minutes du greffe du tribunal de paix du canton de Saint Paul, ile de la Réunion du 31 mars 1868 à deux heures.

« A comparu le sieur Pierre Neyssensa, capitaine du navire La Lucie du port de Nantes ; lequel nous a dit que son navire La Lucie du port de Nantes stationnait sur la rade de Saint Paul, qu’il a été dans l’obligation d’abandonner le jeudi douze mars 1868, 9h30 du matin, par suite de l’ordre forcé émanant de la direction du port la menace du cyclone qui a éclaté le même jour. Que depuis cette époque du douze mars 1868, tous les autres bâtiments sont rentrés dans leurs divers mouillages ; que les navires La Lucie et l’Albatros seuls n’ont plus reparu. Que sur les sollicitations directement adressées par le comparant à Monsieur le gouverneur de la colonie, il a été décidé que le bâtiment de l’Etat, la Somme, serait expédié à la recherche de l’Albatros et Le Lucie. Que la Somme est revenue en rade de Saint Denis, le dimanche 29 mars 1868 après avoir  accompli sa mission sans résultat utile. Que dans ces circonstances, le capitaine Neyssensa de La Lucie est sous l’empire des plus vives inquiétudes sur le sort de son bâtiment ; que tout lui fait justement craindre que son dit navire qui s’est trouvé exposé aux dangers du grave coup de vent qui a sévi le douze mars 1868 tant à l’ile de la Réunion qu’à Port Louis a péri corps et biens………….. ». Le capitaine Pierre Neyssensa, après une absence d'environ 18 mois, fait route vers l'Europe courant avril-mai 1868. le frère, Hippolyte, 20ans, ne paraît plus sur les registres décennaux d'état civil de la ville de Nantes après 1868. 

En juin 2016, une fiche d’identification du navire Le Lucie rédigée par la Confrérie des Gens de la Mer mentionne : « Sur les plages et la côte, à l’issue du naufrage, de nombreux débris et corps sont retrouvés ».

Le capitaine Pierre Neyssensa, après une absence d'environ 18 mois, fait route vers l'Europe courant avril-mai 1868. Son frère, Hippolyte, 20 ans ne parait plus sur les registres décennaux d'état civil de la ville de Nantes après 1868.

La durée du trajet entre Nantes et les iles Bourbons - La Réunion - durait enviroin 42 jours. Pierre et son équipage auront parcouru 40 000 km en 7 mois.





Pierre se marie dès son retour du Cap de Bonne Espérance, le 15 juin 1868, à Nantes, avec Adèle Lotz, mineure et rentière. Une publication de mariage suivie d’une « promesse de mariage » parait le 31 mai 1868 dans l’Union Bretonne. Un contrat de mariage est dressé le 11 juin 1868 chez maître Eugène Riom, notaire à Nantes
. De l’union naîtront, Adèle Hélène en 1870, inhumée en août 1874 au cimetière de la Miséricorde, à l'âge de 4 ans, et Gaston en 1871. A la naissance d’Adèle, Pierre, 30 ans, est qualifié de capitaine au long cours, à la naissance de Gaston, de négociant. Adéle Hélène décède au domicile de ses parents, à Nantes, rue Cassini, à l’âge de 4 ans, le 19 aout 1874. En l’absence de son père, en mer, au cabotage au large de Plymouth, c’est son grand père, Pierre, menuisier, âgé de 59 ans qui déclare le décès. Le 22 septembre 1876, à nouveau Pierre, 62 ans, domicilié rue Cassini, déclare la naissance de Maurice Pierre, en l’absence de son père, 36 ans, en mer des Antilles, à bord du paquebot le Washington. Sa mère, Adèle Lotz, 27 ans, rentière, accouche dans sa demeure, rue Copernic.

L'Albatros - disparu le même jour que Le Lucie - témoignage

Information issue d’Internet le 1er août 2014 rédigé par Patrice Sanguy en 2012 que je souhaiterais contacter …..

Extrait du registre des décès de la commune de Paramé (Ille-et-Vilaine)
12 janvier 1876

Reçu un jugement du tribunal civil de Saint-Malo en date du 24 décembre 1875.

"La dame Jeanne-Marie Martin, demeurant à Saint-Servan, épouse du sieur Jean-François Sanguy, présumé péri en mer, a l'honneur d'exposer que le sieur Jean-François Sanguy, son mari, était embarqué comme maître d'équipage à bord de l'Albatros, armateurs Messieurs Ytiers frères, de Marseille, capitaine Sanguy, frère dudit François ;

Que l'Albatros se trouvant en rade de l'Ile de la Réunion, à Saint-Paul, le 12 mars 1868, reçut l'ordre de la direction du port de Saint-Paul, d'appareiller au plus tôt, à cause du cyclone qui menaçait de sévir sur le canton, et qui, en effet, éclata le jour même ;

Que ce cyclone dura pendant les jours des 12, 13 et 14 mars 1868 et que deux navires seulement de ceux qui avaient appareillé, l'Albatros et la Lucie, ne regagnèrent pas leur mouillage les jours suivants ;

D'où il est facile de conclure qu'ils ont péri corps et biens, aucune nouvelle n'étant jamais parvenue sur leur sort depuis 1868, que les armateurs de l'Albatros ont fait l'abandon du corps, quille, agrès et apparaux dudit navire à leurs assureurs au mois de mars 1869 et qu'ils ont été réglés du montant de leurs assurances au mois d'avril de la même année ;

Que les dits armateurs certifient en outre que le sieur Jean-François Sanguy était à bord de l'Albatros lors de la disparition de ce navire et qu'il n'y avait à terre que son frère, le capitaine Sanguy, qui échappa seul au désastre et qui est lui-même mort depuis

(Note, il s'agit de mon arrière-grand-père Jean-Marie Sanguy, mort en mer à bord du trois-mâts Mont-Blanc le 5 septembre 1870).

Que sur le matricule des gens de mer au quartier de Saint-Malo, où était inscrit le sieur Sanguy, on lit ce qui suit :

« Embarqué au Hâvre, le 25 avril 1867 en qualité de maître d'équipage sur l'Albatros, présumé péri corps et biens à bord du bâtiment ayant disparu de la rade de Saint-Paul (Réunion) dans l'ouragan des 12, 13 et 14 mars 1868, rayé provisoirement comme absent, sans nouvelles, décision ministérielle du 16 février 1869 ».  Inscrit à Paramé domicile du défunt."    



Le navire le Lucie

Equivalence avec le Lucie

La liasse 3 P 589 aux archives de Nantes fait référence à deux trois mats nommés Lucie.

Pour l’un l’immatriculation est effective entre 1857 et 1866. Le capitaine est BRIAND Lucien Jérôme. Les propriétaires sont Jean Pignot, Jean Baptiste Musquet, Aristide Blineau et Lucien Jerôme Briand, le navire est francisé en 1858, naufragé le 15 septembre 1866 au large de Montevidéo en Uruguay. Celui qui nous intéresse est immatriculé entre 1866 et 1868, capitaine Neyssensas Pierre. Ces documents mentionnent la liste des propriétaires-armateurs (dont son père), le rapport, devant le juge de paix, du naufrage du navire, un inventaire des instruments maritimes présents à son bort, un congé d'un an fourni par l'administration des douanes.

De même, les matricules des bâtiments du commerce (adla: 7 R 4/21 et 22) apportent des précisions sur les dates et les lieux d’armement et de désarmement de ces deux navires.

Le navire est francisé à Nantes le 12 septembre 1866.

L’acte de navigation - dossier des navires - et l’extrait des minutes du tribunal de Nantes en date du 17 novembre 1866 passé devant le juge de paix du 5ème arrondissement de Nantes, Eugène Carijean, mentionnent le nom de l’armateur et propriétaire, Briand Lucien Jérôme. Lucien Briand habite la commune de Reze, lieu-dit la Haute Ile, l’Ile aux Capitaines. Au début du XIXe siècle, les habitants de l’ile, pêcheurs de Trentemoult pour la plupart, délaissent quelque peu la pêche au profit du commerce maritime. Trentemoult devient l’un des principaux foyers de recrutement d’officiers de commerce pour le port de Nantes.

Anecdote : L’armateur Lucien Briand (1805-1883) donne le nom de « Lucie » au trois mâts, prénom de son épouse Marie Lucie Lancelot.

Le Lucie est construit à Chantenay par P. Guibert et Y. Blondet en 1866.

Les autes propriétaires sont Auguste Brindeau, capitaine au long cours pour 300/1000ème, Pierre Neyssensas, père, menuisier pour 300/1000ème, Jean Baptiste Musquet, voilier à Nantes pour 40/1000ème, Aristide Blineau, maturier, pour 10/1000ème et Jean Pignot, cordier, pour 40/1000ème (les marins sont les principaux clients des cordiers. Le cordier Jean Pignot peut fournir en cordages la marine de guerre, de commerce ou les pêcheurs. La corde est utilisée pour le gréement et la manoeuvre des navires. Ils filent les ralingues, les filins, le fil pour la fabrication des filets de pêche).

Le navire est jaugé par Becquet, vérificateur des douanes attaché au bureau de Chantenay.
Longueur prise sur le pont de l’étrave à l’étambot : 30 mètres 20 centimètres.

Largeur la plus grande prise au maitre bau : 7 mètres 46 centimètres.

Hauteur intérieur prise de la cale au pont : 4 mètres 72 centimètres.

Le congé, valable un an, signé le 22 septembre 1966, mentionne « sur le pont, 3 mâts » et autorise la sortie du Lucie en précisant «Napoléon, Empereur des Français, prie et requiert tous Souverains, Etats, Amis et Alliés de la France et leurs subordonnés, Ordonne à tous fonctionnaires publics, aux Commandants des Bâtiments de l’État, et à tous autres qu’il appartiendra de laisser sûrement et librement passer ledit Sieur Neyssensa avec le Bâtiment sus désigné, sans lui faire ni souffrir qu’il lui soit fait aucun trouble ni empêchement quelconque, mais au contraire, de lui donner toute faveur, secours et assistance partout où besoin sera ». C'est le document qui libère, provisoirement ou définitivement, le marin. Pierre reste néanmoins contraint de faire connaître sa situation au bureau de l'inscription maritime de Nantes.

Le Lucie est un trois mâts barque, en bois, doublé de cuivre. Le cuivre était utilisé pour le doublage des carènes en 1866. Il évite la fixation des algues, coquillages qui creusent des galeries dans la coque. La carène est recouverte de feuilles de cuivre de 1,50 m de long sur 0,50 m de large et de 0,7 à 1 mm d'épaisseur, clouées, (Le bordage en bois éprouvant rapidement une détérioration plus ou moins profonde, pour la diminuer, on revêt la surface extérieure des navires de plaques de cuivre fixées par le moyen de clous en bronze).

Le Lucie jauge 283 tonneaux, possède des voiles, un  mât de misaine à l’avant et un grand mât central, d’une trentaine de mètres. Les mâts sont gréés en voiles carrées. Sur le mât d’artimon situé à l’arrière, une brigantine à corne et une flèche sont grées. Le vaigrage (revêtement intérieur d'un navire) est constitué de lames de bois, les vaigres, formant un doublage des couples. Il présente des ouvertures permettant l'aération de la charpente de la coque. Quelque soin que l'on mette à établir la jonction des nombreuses pièces de bois qui forment les garnitures extérieures et intérieures des bâtiments, il est impossible que l'eau ne pénètre pas dans la cavité constamment enveloppée d'eau. Pour diminuer autant que possible ce grave inconvénient, on «calfate » l'intérieur au moyen de matière goudronneuse ou d'un mélange de deux tiers de ciment romain et un tiers de sable bien mélangés, que l'on fait pénétrer dans les intervalles des pièces de bois. Malgré ces précautions, il est nécessaire d'extraire de temps à autre de la cale une certaine quantité d'eau au moyen d'une pompe.

Le certificat de jauge indique «vaigrage sans fauxlambris ».


Sur 625 navires expédiés dans l’Océan Indien, 91 % sont des trois mâts, les 9 % restants étant des bricks, vaisseaux à deux mâts. Le Lucie fait parti des navires qui firent peu de campagnes dans l’Océan Indien. Le voyage entre Nantes et les colonies pouvait durer entre 6 et 12 mois selon le cas. Le Lucie peut aller jusqu’à 8 nœuds soit environs 15km/h. Le Lucie est l’un des 36 navires Nantais, affrété pour l’Océan Indien, et parmi les 25 navires à destination de l’ile de la Réunion, durant l’année 1868.

Les objets embarqués à bord

Une pendule dans l’habitacle, quatre sabliers, deux fanaux réglementaires, (grandes lanternes utilisées comme signaux), une lampe dans l’habitacle, et l’autre avec sa suspension, une corne d’appel, une longue vue, et une cloche en cuivre.

Inventaire des principaux éléments de gréement et mobilier

« Provenance Française »

Une chaine en cinq bouts, ensemble de 125 mètres, une chaine de charge, une chaine pour la drosse du gouvernail (drosse de gouvernail, nom d'un cordage qui s'enroule sur le cylindre de la roue du gouvernail, et qui, passant par des poulies disposées à cet effet, va s'attacher par ses deux bouts à la tête de la barre du gouvernail, pour la tirer tantôt à droite, tantôt à gauche, et placer par ce moyen le gouvernail dans la position où il doit être pour agir utilement sur la direction du navire), deux chaines pour les poulies d’écoute de misaine, un treuil et ses accessoires en fer et fonte, un cabestan, (treuil à axe vertical utilisé pour virer l’ancre ou divers cordage), quatre écoutes, (cordage servant à régler l’angle de la voile), deux haubans de beaupré, (le hauban maintient à la verticale un mat – le mat de beaupré se trouve à la proue du navire et est incliné vers l’avant et se trouve au dessus de l’étrave), deux bossoirs d’embarcations, (utilisés pour relever, hisser une embarcation, une ancre), une barre de gouvernail, un axe de gouvernail, dix pièces à eaux jaugeant ensemble soixante hectolitres (la quantité d'eau embarquée, à la fois pour la consommation du personnel et celle des animaux du bord, était énorme. Elle était stockée en barrique. De par le poids du chargement qu'elles représentaient et pour éviter tout déséquilibre du navire, les barriques devaient être remplies d'eau de mer au fur et à mesure de la consommation de l'eau douce), une cuisine et ses accessoires, une baleinière de 6 mètres de longueur, 1 mètre 50 de large, et de 75 centimètres de profondeur, (embarcation légère et pointue à ses extrémités), une chaleryne ? de 6 mètres 30 de longueur, 1 mètre de large, et 85 centimètres de profondeur, un canot de 5 mètres de long, 1 mètre de large, et 75 centimètres de profondeur, un chronomètre, un compas de claire voix, un compas de variation, (pour trouver la variation magnétique, l’emploi du compas de variation était du ressort des pilotes ayant une solide formation en navigation. L’expérimentation et les observations permettaient de mieux connaître les phénomènes magnétiques mais l’aiguille aimantée avait du mal à révéler tous ses secrets et les navigateurs préféraient s’en remettre parfois à leur instinct et à des rectifications de fortune), un compas d’embarcation,  une rose de rechange ?, un baromètre androïde.



Inventaire des principaux éléments de gréement et mobilier « Provenance Étrangère » - décret du 8 juin 1866

Cinq ancres dont 2 en bois et 3 en fer, 36 chaines de haubans, une chaine à un bout, une chaine à 12 bouts, une chaine de sous barbe, une chaine de fausse sous barbe, (sous barbe - chaîne, allant de l'extrémité du beaupré à l’étrave et servant à maintenir le beaupré contre les efforts des étais en particulier de misaine  et  de petit hunier. Une rupture de la sous-barbe pouvait provoquer un démâtage en série de l'avant vers l'arrière), un guindeau en fer et fonte et ses accessoires (un guindeau est un petit treuil à axe horizontal muni d'une couronne appelé barbotin, utilisé pour le mouillage et le relevage de la chaîne d'ancre), six écubiers et leurs bourrelets, (un écubier est une ouverture pratiquée de chaque côté de la muraille avant d'un navire pour le passage des câbles des ancres), deux écubiers pour puits à chaine, un chandelier pour support d’axe de roue, un chandelier pour garde-corps (un garde corps est une rambarde composée de deux filins supportées par les chandeliers), quatre capelages de haubans de bas-mâts, (le capelage se situe en tête du mât où sont passées les boucles du gréement dormant), 86 courbes (pièces de bois renforçant l’angle entre deux éléments de charpente), quatre équerres, dix huit ferrures de poulies, six chouques en fer (pièce à l'origine en bois servant à assembler deux mâts), quatre équerres d’huissiers, deux balancines (cordage, partant du haut du mat et servant à soutenir l'extrémité libre d'une pièce de bois horizontale pour régler son horizontalité), douze gambes de vergues et six tringles pour haubans, (cordages permettant de raidir les haubans), une liure de beaupré (fixation du beaupré sur l’étrave du navire).

Armement du Lucie


Sur autorisation du port d’armement, le capitaine Neyssensa et l’armateur déclarent que « les bouches à feu, armes et munitions » sont exclusivement destinés à l’usage du service. Le Lucie est équipé de trois fusils et 45 cartouches, les attaques de pirates restent encore fréquentes ….

D’autres armes tels que canon en fer, caronades, pierriers, espingoles, mousquetons, pistolets, boulets, balles pouvaient parfois être installés à bord des navires.


Les membres d’équipage du Lucie


A bord du Lucie, les hommes viennent de milieux différents et ont en commun la passion de la mer. Le Lucie lors de son voyage en 1867 a 12 membres d’équipages à bord, le capitaine Pierre Neyssensa, le second maitre, Nagre Vincent, le cuisinier Pierre Mosou, 8 matelots, Lorree Joseph, Mace Victor, Bioret Henry, Le Metuard Pierre, Brileau Vincent, Geloux Paul, Neyssensa Hippolyte, Lehuede François, parent d’un des fournisseurs de légumes secs pour armateurs ?, et le mousse, Laurent Georges. Remarque : plus le tonnage est élevé, plus le nombre de membres est élevé.

Le capitaine

La carrière du capitaine Pierre Neyssensa est détaillée en fin de paragraphe.
Les capitaines au long-cours étaient issus de milieux bourgeois, de familles de négociants. Le père de Pierre, possède une petite société de menuiserie.

La formation d'un capitaine au long cours exige des revenus financiers relativement importants.

Pierre suit les cours jusqu’à l’âge de ses 15 ans, puis devient novice à bord d'un long courrier pendant deux années au terme desquelles, il peut acquérir le niveau de matelot. Après avoir effectué trois années de service militaire sur un bâtiment de l'État, Pierre est admis en qualité de lieutenant puis second capitaine sur un bâtiment de commerce. A l’issue de ses études la remise d'un brevet donne le droit à Pierre de commander sur les navires de commerce.

Le registre matricule des Officiers mariniers et matelots de service, du syndicat et quartier maritime de Nantes de 1850 à 1865 (7 R 4/1156 folio 4399) nous indique que Pierre NEYSSENSA est inscrit maritime le 19 janvier 1859 et commence sa carrière dès le 25 du même mois en s’embarquant comme lieutenant à Saint-Nazaire sur le 3 mâts le Jean Victor à destination de l’Ile Maurice. Port Louis est en 1859 le port le plus important des Mascareignes, devant l’ile de la Réunion, par son activité et la quantité innombrable de marchandises débarquées, et exportées telles des balles de sucre, des écailles de tortues, des muscades, du thé.


Pierre croise sur le port, les milliers de coolies Bengali, (44 397 arrivés en 1859 sur l’ile), destinés au travail des plantations de cannes. Leur contrat « d’engagé» prenait fin au bout de cinq années. L’esclavage est aboli depuis une dizaine d’années dans les colonies.

Suivent ces divers embarquements, comprenant sa période dans la marine de guerre du 29 mai 1860 au 30 mai 1863.

Devenu capitaine le 22 mai 1865, on retrouve la suite de sa carrière dans les matricules des capitaines de 1865 à 1883 (7 R 4/1109 folio 372). Il navigue sur divers navires au long cours ou au cabotage avec des lieux d’embarquement aussi variés que Saint-Nazaire, Londres, Fort de France, le Havre ou Bordeaux.

Une fois capitaine il peut prétendre à devenir actionnaire dans le commerce qu’il peut avoir avec son navire. Son salaire est estimé à 200 francs mensuel.

En dehors du trajet aller-retour, les armateurs laissaient aux capitaines des navires le loisir d’entreprendre des voyages entre les colonies, de sorte que le capitaine devenait véritablement acteur de son voyage et se transformait en véritable « voyageur de commerce ». L’ile de la Réunion devint ainsi un véritable centre d’échanges. Le Lucie aborde une première fois l’ile en juillet 1867, puis à nouveau en février 1868. L’ile de la Réunion offre à l’époque des débouchés considérables au comptoir de Pondichéry en Inde.

Le capitaine est aussi « médecin ». En l’absence d’un médecin à bord, le capitaine trouve les indications nécessaires en cas de blessures, sur un guide médical et peut utiliser les deux trousses à pharmacie obligatoires.

Le registre matricule, de 1883 à 1928 (7 R 4/1112 folio 176), précise les divers embarquements de Pierre Neyssensa, principalement pour des campagnes de pêche. Il y est également indiqué son dernier voyage, à bord du canot le Fricotin, prenant fin le 7 juin 1894, Pierre est âgé de 54 ans. Employés au petit cabotage, les canots, chaloupes, permettent de pêcher sur les côtes ou en navigation intérieure en rivière. Le canot est un petit bateau non ponté, fonctionnant à la voile ou aux avirons. Il peut être de 1 à 2 tonneaux, avec quelques hommes à bord, équipé pour la pêche au poisson frais.

Pierre Neyssensa, 54 ans, quitte la marine, et, est ensuite domicilié à l’asile Saint Joseph de Nantes, 15 rue des Orphelins, du 1er septembre 1894 (sur avis du médecin de Couëron) au 30 décembre 1899 (sur avis du garde maritime de Thouaré). Il meurt à Nantes le 4 septembre 1901, à l’Hôtel Dieu de Nantes, à l’âge de 61 ans et inhumé au cimetière de la Miséricorde. Il lègue à Adèle Lotz deux livrets de Caisse d’Épargne d’un montant, respectivement, de 1286 francs et 110 francs. Table des successions et absences. Nantes ville - vol. num. 9.

Cimétière de la Miséricorde : Parcelle DD 2.9 - photographies prises en 2020 par Mr Jl Bonté







Les autres membres d’équipage :

La composition de l’équipage du Lucie relève à la fois de la compétence du capitaine et de l’armateur.

Le matelot, Hippolyte Neyssensa, 20 ans, appartient au premier grade des hommes d’équipage. Il charge et décharge le navire, participe aux manœuvres et à l’entretien du bateau. Il est employé à durée déterminée.

La moyenne d’âge des matelots sur le Lucie est de 21 ans. Georges Laurent, le mousse, est âgé de 14 ans, le second capitaine de 57 ans, et le cuisinier de 34 ans.

La nourriture à bord est essentiellement à base de conserves, maquereaux, morues, beurre salé, viandes, et salaisons.

La proximité des lieux d’élevage et de culture facilita l’essor des conserveries Nantaises, et permirent une augmentation rapide des exportations vers les colonies.




Article paru dans le Journal de l’ile de la Réunion

le 27 juillet 2014 – textes Alain Dupuis

  
"En mars 1868, le trois-mâts Lucie disparaît mystérieusement alors qu’un cyclone balaie la Réunion. Pierre Neyssensas, capitaine du navire, descendu à terre est le seul survivant. Depuis l’an dernier, la Confrérie des gens de la mer cherche à percer le mystère du naufrage du Lucie. Des débris d’une épave non répertoriée découverts en baie de Saint-Paul constituent une piste très sérieuse qui reste à confirmer.
  
Le trois-mâts Lucie repose-t-il au fond de l’océan en baie de Saint-Paul ? Il est encore trop tôt pour l’affirmer, mais pour la Confrérie des gens de la mer qui depuis l’an dernier tente de percer le mystère de la disparition du navire lors du passage d’un cyclone en mars 1868, la piste est sérieuse.En début d’année, une découverte fortuite en baie de Saint-Paul est venue apporter de l’eau au moulin de la Confrérie.

Gilles de la Brière, instructeur fédéral en archéologie sous-marine, de passage sur l’île plonge en baie de Saint-Paul. Il localise une partie d’un ensemble constituant la coque d’un navire. Des planches de bordé 1.20m /1.50m courent dans le sable. Des concrétions métalliques, vraisemblablement des clous, sont visibles. La largeur de ces virures est de 20 cm, sur 8 cm d’épaisseur. Un peu plus loin, un grappin est aussi découvert. L’ensemble de ces vestiges, après géolocalisation, sont déclarés à la Direction de la mer. Une demande de sondage archéologique est proposée au Département des recherches archéologiques, subaquatique et sous-marines.

Le Lucie en baie de Saint-Paul ?

Éric Venner de Bernady de Sigoyer, président de la Confrérie des gens de la mer, reste prudent. Aucun élément ne nous permet aujourd’hui de faire le lien avec le naufrage du trois-mâts "Lucie". Mais une chose est sûre, l’équipe des Gens de la mer et la Commission régionale d’archéologie sont plus que jamais déterminées à identifier et localiser le trois-mâts "Lucie".

Le 2 février 1868, le trois-mâts venant du Bengale avec une cargaison de riz mouille en baie de Saint-Paul. Le port de la Pointe-des-Galets ne sera inauguré qu’en 1886 et les navires n’ont d’autre choix que de jeter l’ancre au large.

 Le 7 mars 1868, le "Lucie" doit appareiller destination Sydney avec dans ses cales 373 tonnes de sucre.

Trois mois plus tard, L’Union Bretonne, le capitaine et l’équipage sont originaires de Nantes, dans son édition de mai 1868 rapporte une information recueillie le 19 avril : "Le navire Lucie, capitaine Neyssansas qui chargeait pour Sydney et l’Albatros, capitaine Sanguy, pour Marseille n’ont pas reparu depuis le cyclone".

Perdu corps et biens

Un mois plus tard, les nouvelles sont encore plus inquiétantes. "Nous restons toujours sans aucune nouvelle des navires Lucie, Albatros, Jacques et Marie. Tout fait craindre malheureusement que ces bâtiments ne soient perdus". En fait, le "Jacques et Marie" finit par arriver en provenance de Saïgon. Manquent à l’appel, Le "Lucie" et "L’Albatros".

Que s’est-il passé ? La revue maritime et coloniale de 1868 nous l’apprend. "Un des plus violents cyclones qui se soient jamais fait sentir dans la mer des Indes est passé sur les iles Maurice et Réunion durant les journées des 11 et 12 mars. Le 11 mars, le baromètre effectue une chute impressionnante. La température s’élève à 29 degrés. À deux heures du matin, l’ouragan est au plus fort de sa puissance, le vent souffle avec une furie inimaginable, les rafales sont comme des coups de canon. La nuit fut terrible, la matinée du 12 plus terrible encore. La tempête était dans toute sa force et broyait dans ses tourbillons, arbres, maisons, sucreries. L’île entière était enveloppée dans la désolation. On vit alors les bâtiments du port jetés pêle-mêle, les uns sur les autres, sur une partie à la côte, les bateaux côtiers brisés et coulés. Durant ces quatre terribles heures de nombreux navires cassent leurs chaînes, et sont projetés sur le quai. La plupart des navires seront condamnés. Des cadavres se comptent par dizaine en ville. Quelques heures après le passage du cyclone, le 13 mars, le beau temps revient".

Un périodique australien destination du trois-mâts s’intéresse à son sort. "Il y a quelque temps, un navire français, Le Lucie a chargé une cargaison de sucre à Bourbon à destination de Melbourne. Il a été pris au large des côtes par gros temps, et rencontré des vents violents, peu après avoir quitté le port de la Réunion. Il semble que la cargaison ait été perdue au large de l’île Maurice".

On n’en attendra plus jamais parler du Lucie. Descendu à terre le capitaine du trois-mâts, Pierre Neyssensas est le seul rescapé.

Plus de 140 ans après cette mystérieuse disparition, la Confrérie des gens de la mer va peut-être percer le mystère de l’une des plus mystérieuses tragédies maritimes qu’ait connue notre île.

Extraits de « Une aventure humaine »

Les Neyssensas et Neycensas se sont attachés sur un blog à retracer l’histoire de leurs ancêtres de 1570 à nos jours.

Le berceau familial des Neyssensas se situe dans le Périgord. En 2008, les Neyssensas se découvrent par hasard une branche nantaise. "Des recherches effectuées sur Internet identifient un premier membre de notre famille, passager à bord du navire à vapeur, le City of Adelaide, entre Melbourne et Sydney. De "fil en aiguille" nait un noyau familial dont les membres, pendant près de cent ans travailleront pour ou en périphérie des chantiers navals. Grâce à la mise en ligne des périodiques australiens et nantais, en 2009, nous avons découvert la "campagne" du trois-mâts "Le Lucie", parti de Saint Nazaire en 1866 à destination de l’océan Indien, avec à son bord, Pierre Neyssensas, capitaine au long cours, et Hippolyte, son frère, matelot et le tragique dénouement de cette aventure humaine". 

Le Lucie" quitte Saint-Nazaire le 17 décembre 1866, destination l’ile de la Réunion. Sa cargaison est inconnue. Le voyage est prévu pour durer environ 42 jours, jusqu’à 70 jours si le navire effectue une ou deux escales. Le trois-mâts a peut-être fait escale à Bordeaux, puis sur la côte africaine.

"Le Lucie" parvient à la Réunion courant mai 1867 pour une première escale. Le trois-mâts appareille le 2 juin, à destination de l’Australie avec un chargement de 11 532 petits sacs de sucre, destinés à l’importateur H Fourcade, domicilié en Australie. Le Lucie passe au large de l’Ile Maurice, vers le 3 juin 1867.

Vers le 26 juillet 1867, le Lucie est amarré au port de Queens Wharf d’Adélaïde, au sud de l’Australie. La cargaison est déchargée sur les docks du port fin juillet 1867.

Un journaliste assiste aux opérations. "L’arrivée du navire Le Lucie, avec une cargaison de sucre en provenance des iles Bourbon, hier, a causé un grand enthousiasme parmi les agents, les commerçants et les ouvriers. Des centaines d’hommes entouraient le navire à son arrivée dans le port, les ouvriers espérant un emploi pour le déchargement."

Le 7 août 1867, Pierre Neyssensas, est passager à bord du Coorong à destination de Melbourne via Port Victor, pour une prise de contact avec des acheteurs potentiels de sa cargaison.

Le 19 aout 1867 "Le Lucie", quitte Adelaïde pour Sydney. Le 18 septembre 1867 Le trois-mâts appareille du port de Sydney pour Saigon avec un chargement de 329 tonnes de charbon. Il arrive à Saigon le 21 novembre.

Le Lucie quitte Saigon le 18 décembre 1867 pour Pondichéry, comptoir Français en Inde. Il y charge une cargaison de riz. Lorsque le Lucie arrive en vue des côtes réunionnaises, le capitaine Neyssensas est loin de se douter que ce sera sa dernière escale et que son voilier ne reverra jamais Nantes.

Pierre Neyssensas est né à Nantes le 17 septembre 1844. Ses premiers embarquements comme matelot à bord des trois-mâts "Jean Victor" et "L’Orion", le conduisent à Maurice. Capitaine au long-cours, le 22 mai 1865, on le retrouve au trois-mâts "Navigateur" avant qu’il ne prenne en décembre 1866 le commandement du "Lucie". Après la disparition de son navire et s’être expliqué devant le tribunal de paix du canton de Saint-Paul (voir par ailleurs), Pierre Neyssensas regagne la métropole à bord du vapeur Saïd.

Seul rescapé, le capitaine Neyssensas est appelé à la barre du tribunal de paix de Saint-Paul le 31 mars 1868 et doit s’expliquer.

Les minutes du greffe ont conservé son témoignage.

"A comparu le sieur Pierre Neyssensas, capitaine du navire La Lucie du port de Nantes ; lequel nous a dit que son navire La Lucie du port de Nantes stationnait sur la rade de Saint Paul, qu’il a été dans l’obligation d’abandonner le jeudi douze mars 1868, 9h30 du matin, par suite de l’ordre forcé émanant de la direction du port la menace du cyclone qui a éclaté le même jour. Que depuis cette époque du douze mars 1868, tous les autres bâtiments sont rentrés dans leurs divers mouillages ; que les navires "La Lucie" et "l’Albatros" seuls n’ont plus reparu. Que sur les sollicitations directement adressées par le comparant à Monsieur le gouverneur de la colonie, il a été décidé que le bâtiment de l’État, la Somme, serait expédié à la recherche de "l’Albatros" et "Le Lucie". Que la "Somme" est revenue en rade de Saint Denis, le dimanche 29 mars 1868 après avoir accompli sa mission sans résultat utile. Que dans ces circonstances, le capitaine Neyssensa de "La Lucie" est sous l’empire des plus vives inquiétudes sur le sort de son bâtiment ; que tout lui fait justement craindre que son dit navire qui s’est trouvé exposé aux dangers du grave coup de vent qui a sévi le douze mars 1868 tant à l’ile de la Réunion qu’à Port Louis a péri corps et biens. Aucun chef d’accusation ne sera retenu contre Pierre Neyssensas. Le gouverneur de l’ile Maurice indique Dans un courrier adressé aux armateurs Nantais en 1830 le gouverneur de l’île Maurice se borne à cette critique : "Les capitaines toujours retenus à terre pour les affaires de leurs navires, en laissent la conduite à des officiers qui manquent d’expérience et de prudence. Les armateurs éviteraient des pertes s’ils faisaient obligation aux capitaines de ne jamais découcher de leurs navires surtout pendant l’hivernage à Bourbon".

Outre le capitaine Neyssensas, le "Lucie" est armé par 12 membres d’équipage parmi lesquels le second maitre, Nagre Vincent, le cuisinier Pierre Mosou, huit matelots, Lorree Joseph, Mace Victor, Bioret Henry, Le Metuard Pierre, Brileau et le propre frère de Pierre Neyssensas, Hippolyte, 20 ans, et le mousse, Laurent Georges.

Les archives de Nantes conservent une description très précise du trois-mâts "Lucie" que les descendants de Pierre Neyssensas ont exhumé.

"Le Lucie" est construit à Chantenay par P. Guibert et Y. Blondet en 1866. ‘armateur Lucien Briand lui donne l’un des prénoms de son épouse Marie Lucie Lancelot. Il est immatriculé entre 1866 et 1868. "Le Lucie" mesure 30 m de long, 7,46 m de large et 4,72 m de haut. C’est un trois-mâts barque, en bois, doublé de cuivre. Il jauge 283 tonneaux, possède des voiles, un mât de misaine à l’avant et un grand mât central, d’une trentaine de mètres. Les mâts sont gréés en voiles carrées. Sur le mât d’artimon situé à l’arrière, une brigantine à corne et une flèche sont gréées.

Sur 625 navires expédiés dans l’océan Indien, 91 % sont des trois mâts, les 9 % restants étant des bricks, vaisseaux à deux mâts. "Le Lucie" fait partie des navires qui firent peu de campagnes dans l’océan Indien. Le voyage entre Nantes et les colonies pouvait durer entre 6 et 12 mois selon le cas. "Le Lucie" pouvait aller jusqu’à 8 nœuds soit environs 15km/h. C’est l’un des 36 navires nantais, affrété pour l’océan Indien, et parmi les 25 navires à destination de l’ile de la Réunion, durant l’année 1868.

L’inventaire des objets embarqués à bord relève, une pendule dans l’habitacle, quatre sabliers, deux fanaux réglementaires, une lampe dans l’habitacle, et l’autre avec sa suspension, une corne d’appel, une longue-vue, et une cloche en cuivre.

On connaît au détail près le gréement et le mobilier du trois-mâts.

Tous ces éléments se révéleront précieux pour tenter d’identifier l’épave découverte en baie de Saint-Paul.

En février 1869, Pierre Neyssensas commande le brick Louise Halder. Sa carrière s’interrompt pendant quatre ans avant qu’on le retrouve sur des passerelles de trois-mâts puis de paquebots de la Compagnie Générale Transatlantique. Avant de poser sac à terre Pierre Neyssensas sera pendant quatre ans patron de pêche. Il quitte la marine à l’âge de 54 ans et meurt à Nantes le 4 septembre 1901 à l’âge de 61 ans".



La carrière de Pierre Neyssensa

D’après les registres matricules des inscrits maritimes de Nantes


Pierre et la mer, entre fascination et terreur



L’inscription maritime

La fiche d’inscription maritime de Pierre, présente sur le site des Archives Départementales de Loire-Atlantique, nous éclaire sur ses débuts en qualité de mousse, novice, puis matelot, et bien plus tard, de capitaine au long cours - voir sujet traité dans la généalogie Nantaise. L’évocation de son visage : cheveux châtains, front ovale, sourcils châtains, yeux roux, nez moyen, bouche moyenne, menton rond et visage ovale.




Quelques notes sur l’inscription maritime :

Colbert fonde l’inscription dans le but de pourvoir au recrutement massif et qualifié d’équipages des vaisseaux de Louis XIV. Elle recense tous ceux qui naviguent, au commerce comme à la pêche, tant en mer que sur les côtes ou sur les rivières jusqu'à l'endroit où la marée remonte. La France maritime est divisée en quartier. Pour chaque quartier, le commissaire de l'inscription maritime tient les registres des marins et des bâtiments de mer.

L’inscription maritime va consigner donc tous les embarquements, toutes les étapes de la carrière de Pierre, afin d'établir ses états de services et de liquidation de sa pension.


Rôles des bâtiments de commerce

Chaque navire est immatriculé dans un port d’attache, en général celui du domicile ou du siège social de son armateur. Avant chaque voyage, le bateau est « armé », avec sa cargaison, son équipage et son matériel. A son retour, le navire est « désarmé » dans un port qui n’est pas systématiquement celui de son immatriculation ou de son armement.

La fiche matricule indique, dans l’ordre chronologique de son inscription, le nom du navire, le numéro d’immatriculation, l’année et le lieu de sa construction, la jauge, les traversées effectuées et les désarmements successifs. Ces précieuses informations permettent, plus de 160 années plus tard, de connaître précisément ce que fut la vie de marin de Pierre.


L’école des Mousses et Novices de Nantes

L’école des mousses de Nantes est fondée le 8 juin 1846 par le vicomte du Couedic, lieutenant de vaisseau en 1848. « Par décision royale du 9 février 1846, la cession gratuite de la gabare de l’Etat, l’Eclair, est faite à la chambre de commerce de Nantes, pour servir de casernement et à l’instruction d’une école de mousses. Dans le cas où la chambre cesserait d’entretenir cette école, la marine se réserve la faculté de reprendre possession du navire l’Eclair ». Annales maritimes et coloniales - 1846.

Peu d’informations précises sur l’Eclair, est-ce la bombarde qui effectua l’expédition au Mexique en 1838, commandée par Billeheust de Saint-Georges, capitaine de corvette ? La gabare l’Eclair, avec 104 marins pour l’armement, 30 marins le reste de l’année, participe au conflit contre plusieurs navires Argentins réfugiés à Buenos-Aires. L’Eclair est à Veracruz le 29 avril 1839, à Brest le 23 juin 1839.

Est-ce la goellette l’Eclair qui capture le 28 mai 1840, la goelette américaine la Joséphine et sa cargaison dans les eaux de la Plata près de Montevidéo ?.

Les missions de l’Ecole doivent répondre à un double but ; « fournir à la marine de commerce et de l’Etat, une pépinière de jeunes marins et créer, en outre, pour les enfants des classes laborieuses, une œuvre de bienfaisance et de moralisation ».


Chronologie de l’Ecole des mousses entre 1846 et 1860 avec l’aide de la presse de l’époque.

Le 1er mai 1846, le journal l’Armoricain nous apprend que l’Eclair, capitaine Deshays est parti de Brest le 27 avril dernier pour Nantes.

Le 15 mai, « le beau trois-mâts est ancré à l’entrée de la Fosse, vis-à-vis la cale des Cent-Pas. Après un court délai nécessaire pour achever d’en compléter les agrès, l’Eclair passera des mains de l’administration de la marine en celles de la chambre de commerce. Ajoutons donc à quelques semaines le plaisir de voir s’ouvrir cette école primaire flottante, cet asile tutélaire que béniront un jour, sans doute, toute une génération de braves marins, de dignes serviteurs de la patrie……. Une généreuse pensée a été conçue depuis longtemps, celle d’arracher au vagabondage, à la foule d’enfants bien constitués, agiles, déjà accoutumés à supporter les privations, insoucieux d’un bien-être qu’ils n’ont jamais connu, et que leurs parents trop pauvres, occupés d’ailleurs de gagner laborieusement le pain quotidien de la famille, ne peuvent ni diriger, ni surveiller convenablement »




Le 20 juin, l’école engage les médecins Guénier, Chochard, et Drouet, « dont le zèle et les capacités bien connus sont un sûr garant des soins qu’on a l’intention de prendre non seulement de l’instruction et de l’éducation des enfants mais encore de leur santé ».

Le 18 juillet 1846, Le National de l’Ouest fait paraître la note suivante : « Un bruit circule dans le public. On affirme que les empiétements du clergé ont acquis une telle importance que l’école des mousses établie à Nantes depuis peu de temps se trouve dans l’obligation d’assister tous les matins à une messe. (Le dimanche passe, pour ce qui sont catholiques ; mais tous les jours !). Est-il donc bien prouvé que tous les jeunes gens admis à cette école professent la religion catholique ? A-t-on dessein de violenter ces jeunes consciences ! ».



Le jour de son inauguration, le 24 septembre, l’Eclair est amarré à la cale à tablier des Salorges, longue de 150 mètres. Les cours se déroulent à bord de la corvette pour environ une cinquantaine d’élèves, les autres, environ une soixantaine, sont à bord de bâtiments de commerce.


Pierre est peut-être bien sur le quai Saint-Louis avec son père et son frère Alfred, pour assister au départ de la régate du 20 juin 1847. Le départ est donné dans le prolongement du quai de la Fosse, où des estrades ont été réservées pour les membres de la Société des régates et leurs invités. La corvette l’Éclair de l’École des Mousses, toute pavoisée, accueille le jury et les autorités.

Les quais aux abords de l’Eclair sont dangereux, « les 16 juillet 1846 et le 29 janvier 1847, le contre-maître Jean-Marie Lac se dévoue et se jette à l’eau au risque de périr pour sauver des mousses qui se noient ». Annales maritimes et coloniales 1847.


En 1848, la troisième révolution française, après 1789 et 1830, a lieu à Paris entre le 22 et le 25 février. Un million d’habitants se soulève à Paris, avec l’aide des libéraux et des républicains, Louis Philippe abdique, son petit-fils Philippe d’Orléans le 24 février 1848, met fin à la Monarchie de Juillet, la Seconde République est proclamée.

Les évènements mettent à mal les finances de l’école des mousses. Le 18 septembre 1848, la revue l’Alliance se fait l’écho des « difficultés financières malgré sa gestion « sagement administrée, l’école a pu fournir à la marine de commerce et l’Etat, 110 mousses. Les mousses sont particulièrement recommandés aux capitaines et armateurs ».

Péril en mer pour deux mousses : le 5 février 1855, dans l’Union Bretonne mentionne « Loire Inférieure, du 27 janvier, le navire Sainte-Anne, capitaine Tartoué, a été assailli par une violente tempête de l’est et par une neige épaisse, ce qui l’a forcé de mettre en cap, et par suite, une voie d’eau s’est déclarée, laquelle force le capitaine de mettre son navire sur le gril. La cargaison n’a pas d’avaries. Le froid a été si vif pendant cette tempête, que le capitaine, le matelot et les deux mousses ont en, les deux premiers les doigts des mains gelés, et les derniers ceux des pieds et les jambes ».
Le 26 février 1855, « le conseil municipal émet le vœu que l’école des mousses soit reconnue d’utilité publique ».

15 juin 1855 - Un enfant de Châteaubriant demande à entrer à l’école des mousses à Nantes. Le Maire appuie la candidature « de ce petit malheureux » - « Cet enfant se conduit bien, est intelligent et surtout bien désireux d’en faire partie. Il est d’ailleurs dans une position qui le recommande à la bienveillance de la commission ».

Ce même jour la Commission administrative du Bureau de Bienfaisance constate que ses ressources « deviennent chaque jour trop faibles pour secourir les malheureux d’une manière convenable ». Elle demande l’autorisation d’établir une loterie, elle en recevra l’accord le 21 juin.

24 août 1855 - le Maire écrit au Sous-Préfet pour soutenir la candidature du jeune Louis Bourdais pour l’école des mousses de Nantes.

Le budget prévisionnel de l’année 1856 va devoir tenir compte de « la cherté des subsistances et des réparations de la corvette l’Eclair qui élèveront malheureusement cette année le chiffre des sacrifices que nécessitera la conservation de l’Ecole et rendra plus précieux encore le concours que le Conseil général du département veut bien accorder chaque année à l’institution. L’Inspecteur des Ecoles Primaires a visité l’Ecole avec une attention toute particulière et a interrogé les élèves et a rendu le témoignage le plus flatteur de la bonne direction qui leur est donnée ». Union Bretonne du 30 octobre 1855.



Le 5 juin 1856, le ministère de la marine et des colonies, autorise à devenir marins les élèves mesurant au moins 1 m 56, à 18 ans, 1 m 59, à 21 ans, 1 m 62. Le novice doit obligatoirement servir au moins de deux ans.

Le 28 aout 1857, la Chambre de Commerce de Nantes dans l’Union Bretonne indique : « Dans un double but de charité et d’instruction de la classe maritime nous continuons notre appui, 647 élèves ont déjà passé à notre Ecole des mousses, en ce moment, 141 lui appartiennent encore, dont 34 sont présents à bord de la corvette école l’Eclair et 107 sont en cours de voyage à bord des bâtiments du commerce et de l’Eta (dont Pierre, à bord de la Marie-Louise à destination de la Guadeloupe). Nous signalerons avec plaisir que l’un des jeunes élèves de l’Ecole, aujourd’hui second capitaine sur le plus grand navire de Nantes, promet de devenir l’un des officiers les plus distingués de notre port ».

La Brillante destinée à l’Ecole des mousses est inaugurée le 29 novembre 1858.

« En novembre 1858, le ministre de la Marine accorde à la Chambre de Commerce une corvette de 24 canons, La Brillante, comme bâtiment-école en remplacement de L'Éclair, en très mauvais état, qui est vendu en janvier 1859 aux enchères publiques pour la somme de 16900 Francs. 164 enfants sont formés par cette institution : 50 sont à bord de La Brillante, 114 sont embarqués sur divers bâtiments de commerce » - Nantes et les Nantais sous le Second Empire. La corvette est amarrée au quai Saint-Louis.

En 1860, le président de l’Ecole, est l’inspecteur supérieur, Du Couedic, Fiteau membre de la Chambre de Commerce, Vallet membre du Conseil Général, Lemoine, commissaire de la Marine, Huette, Capitaine au long-cours, Babin, constructeur, Siou, lieutenant de vaisseau, commandant de l’Ecole, Grandin, instituteur primaire, l’abbé Benoit, aumonier et Cochard, médecin.

L’Union Bretonne du 1er février 1860, « le jeune Vigné, âgé de 14 ans, très bon sujet de l’Ecole des mousses, s’est noyé au fer à cheval du quai d’Aiguillon au moment où un canot de l’Ecole, qu’il avait appelé, venait le prendre, revenant du trois-mâts le Jules, à bord duquel il était embarqué et travaillait chaque jour en attendant le dérivage. Le pauvre mousse discutant avec le capitaine de l’Ecole, a glissé sur la pierre mouillée du quai, sans parapet en cet endroit. Les secours de l’Ecole n’ont pu suffire. L’enfant a disparu, entraîné par le courant violent du fleuve débordé. Il a fallu toute l’énergie des spectateurs pour empêcher le capitaine Siou, qui commande l’Ecole depuis 12 ans, de se précipiter au secours de celui qui se noyait ».



Le 15 août l’Ecole des mousses participe, pour la dernière fois, aux régates sur la Loire et ses courses à la voile.

L’Ecole ferme ses portes définitivement en 1860. 

Les futurs mousses choisiront, pour certains, de partir pour l’Ecole des mousses de Brest, sur le navire école l’Inflexible, ou celle de Bordeaux, sur le navire école la Brillante. Le 8 mars 1861 le ministère de la marine et des colonies autorise les jeunes gens de 16 à 21 ans à service dans la marine en qualité de novice. Mais « une regrettable décision est accueillie avec déception, en effet, les jeunes gens de 18 ans et en dessous doivent avoir 1 m 60 et ceux de 18 ans et au-dessus 1 m 62 ». L’Union Bretonne, en 1861, écrit « En Bretagne, les marins ne sont pas de haute taille, mais ils sont généralement sains, forts, trapus et bien constitués et il serait à désirer que ces conditions fussent admises comme une compensation équivalente au défaut de taille, ou du moins, conduisissent à apporter plus de tolérance pour les tailles faibles ».


Pierre, mousse à 15 ans

La reproduction sociale n’est pas de mise chez les Neycensas de Nantes, le père est menuisier, les trois garçons seront mousse ou novice …… et ce malgré une très forte mortalité connue chez les jeunes marins. Pierre habite 2 rue Copernic, à quelques centaines de mètres des bords de Loire, du quai de la Fosse, de ses gréements, et de l’activité portuaire. Il voit partir les pêcheurs pour la haute mer, une attirance, une fascination pour la mer s’empare de lui, imprégné par l’élément maritime depuis qu’il est enfant.

Mais c’est peut-être, aussi, par nécessité économique que son père oriente Pierre vers la navigation.
En effet, les mousses sont souvent d’origine modeste, et leur activité, leurs gains permettent de soulager leur famille. Les parents de Pierre considèrent l’école des mousses de Nantes comme une véritable chance d’ascension sociale. A partir de 1855, Pierre ne verra ses parents que deux fois par an, malgré la proximité du domicile familial. Le rythme sur le navire école l’Eclair, peut être calqué sur l’école des mousses de la marine marchande de Bordeaux crée en 1833.

Pierre se lève à 4 heures 45, assiste à la messe, puis prend un petit déjeuner à 5 heures, de 5 heures 45 à 7 heures, effectue le nettoyage du trois mâts, puis fait sa toilette, quelques heures de classe, et, entre 10 heures et 11 heures, à nouveau déjeuner puis exercices jusqu’à 16 heures, canons, compas, nœuds. A 16 heures, c’est le dîner, puis Pierre travaille jusqu’à 18 heures, et après deux heures de détente bien méritée, arrive 20 heures, l’heure de la prière, et enfin c’est l’heure du coucher.


Pierre a-t-il navigué avant l’âge de 15 ans en qualité de mousse ? car on peut être mousse dès l’âge de 10 ans. En tout cas, Pierre débute une carrière de marin à 15 ans, en qualité de mousse - mentionné par erreur sur l’inscription maritime « novice ». Pierre, en s’engageant, sait qu’il peut renoncer à la carrière de marin après chacun de ses voyages, il va passer matelot à 16 ans. Si la plupart des marins destinés au commerce resteront matelot toute leur vie, tel n’est pas le cas de Pierre - voir sa carrière de Capitaine.

Pierre se trouve en bas de l’échelle hiérarchique de l’équipage, en dessous du novice, lui-même en dessous du matelot de 3ème classe. Sa rétribution est laissée à l’appréciation du capitaine et de l’équipage. Pierre s’occupe des corvées sur le trois-mâts. La condition du mousse est difficile, confrontée à la violence et à la bêtise humaine.

Avant d’être promu capitaine, le 22 mai 1865, Pierre devra avoir au moins 24 ans, effectuer au moins 60 mois de navigation, dont 12 au moins sur les bâtiments de l'Etat, mais surtout, avoir satisfait aux examens théorique et pratique de navigation prouvant son aptitude à commander un navire de commerce à voiles et, entre autre, connaître l’utilisation des gréements, la conduite d’un navire à voiles, l’arithmétique, la géométrie, la trigonométrie, le canonnage, la navigation, les instruments de navigation, et le calcul d’observation.


Lors de l’inauguration du navire école la Brillante le 29 novembre 1858, le secrétaire de la Chambre de commerce définit en ces termes le métier de marin. Pierre doit être présent, de retour du Brésil depuis le 16 septembre.

« La vie de marin est une vie d’une âpreté laborieuse. Sans cesse en contact avec un élément dont le calme même cache parfois des périls, le matelot a besoin d’être familiarisé de bonne heure avec des émotions puissantes que la navigation lui présente à chaque pas. De là, la nécessité pour lui d’entrer jeune dans une carrière dont le début est toujours pénible …… En 1846, l’Ecole reçoit les enfants dès l’âge de douze ans, avoir fait leur première communion, qu’ils soient vaccinés, et répondu favorablement à une visite médicale. Les élèves sont répartis en quatre catégories :

Les enfants reçus à titre gratuit, les enfants qui doivent fournir et entretenir les vêtements et uniformes imposés aux élèves de l’Ecole, les enfants qui, en sus des frais d’uniformes, laissés à leur charge, doivent verser mensuellement dix francs à la Chambre de commerce pour remboursement d’une partie des frais qu’ils occasionnent, et enfin, les enfants étrangers au département de la Loire Inférieure, outre la fourniture de l’uniforme et des objets de literie, versent la somme de 1 franc par jour pour couvrir les frais d’éducations et de nourriture dont ils font l’objet. Ils cessent d’appartenir à l’Ecole à l’âge de 18 ans ».

En 1855, Pierre est mousse à bord du tout nouveau brick Le Sombreuil.


Le Sombreuil jauge 160 tonneaux, construit à Nantes en 1855, propriétaire, Sieur Antoine Richard habitant l’ile de la Gloriette à Nantes. Le brick, ou brig en Anglais, est un voilier à deux mâts, rapide et maniable, avec un grand mât, un mât de misaine plus petit à l'avant, et des voiles carrées comme les trois-mâts barques.

Le 14 mai 1855, le Sombreuil et son capitaine Delaunay sont en provenance de Cayenne, après avoir fait escale « pour prendre charge » dans le port Vénézuélien de Puerto-Cabello.



Arrivés à Nantes le 11 juillet, le navire décharge sa cargaison de 2500 sacs de café, 131 sacs de cacao, 1 grenier de peaux et cuirs, 317 balles de coton, 57 paquets de cuirs secs, et un grenier de bois gaïac, bois brun verdâtre très dur et lourd utilisé pour le tournage des poulies et la réalisation d'essieux, de coussinets d’arbres d’hélice de bateaux. On peut lire dans l’Union Bretonne, concernant le voyage précédent du Sombreuil, « le 29 septembre, le solde des Java - café - du Sombreuil, 122 sacs d’une marque, sont sortis du marché à 124 francs et 95 sacs d’une autre marque, ont été laissés à 122 francs ».

Le Sombreuil à nouveau quitte le port de Nantes le 8 août 1855. Pierre est à bord, destination Cardiff, dans un premier temps, le capitaine Delaunay est à la barre du trois-mâts, peut-être pour charger du charbon. La température sur le pont est de 20 degrés, le Sombreuil s’éloigne sous une jolie brise et un temps très nuageux.

Pierre, en l’absence de réglementation sur les tâches du mousse, entretien toutes les parties du Sombreuil, du pont aux soutes. Les membres d’équipage, sur les trajets aux long-cours, lui donnent beaucoup de labeur, car le temps ne passe que très lentement. Et puis il y a l’initiation à l’alcool, Pierre boit du vin comme le reste de l’équipage, peu à peu il va rentrer dans l’âge adulte …. Les escales sont un temps difficile pour les mousses, quelques ports mettent en place des hébergements permettant aux mousses de se mettre à l’abri des violences urbaines. On estime qu’au 19ème siècle, environ 50 % des mousses abandonnent le métier de mousse avant de devenir novice. Comme on le verra, les frères de Pierre, Alfred et Hippolyte ne résisteront pas à la difficile vie de marin, et démissionneront, après 7 ans de mer, pour Alfred, et 1 an pour Hippolyte.

Mais revenons au 1er voyage de Pierre :

Nantes, le 10 août 1855, 147 sacs de café « gragé », le plus cher, le plus marchand, sont mis en vente. « Le café gragé est un café passé par un moulin nommé gragé et qui permet d’obtenir une graine dans sa dernière enveloppe intérieure » - Dictionnaire des sciences naturelles par Cuvier, Levrault, Le Normant en 1817. « Le 11 août, 647 sacs Porto-Cabello, gragés et non gragés, introduits par le Sombreuil, ont valu 119 25 à 125 25 les 50 kg, acquitté », article paru dans l’Union Bretonne.

Le Sombreuil parvient à Cardiff le 28 août. Le 1er septembre, le commandant Talva de la goélette Clarisse, après avoir chargé de la houille dans le port de Cardiff, laisse le Sombreuil pour Montevideo, Le Venise, capitaine Ravilly, et Le Sidonie, capitaine Olive, et indique « ma traversée n’a rien eu de remarquable ».

Il ne va pas en être de même pour Pierre. Aucune information n’apparaît sur les revues de presse numérisées concernant le trajet et les escales du Sombreuil avant son arrivée à Montevideo en novembre. Peut-être s’est-il arrêté au Sénégal ?

Seule, l’inscription maritime mentionne le naufrage du Sombreuil à « l’entrée de la Plata » à proximité de la capitale Uruguayenne, Montevideo, le 5 novembre 1855, confirmé par l’ouvrage, De naufragios y leyendas en las costas de Rocha : Edición Aniversario Juan Antonio Varese en 1993.

Si le naufrage du Sombreuil n’est pas mentionné dans la presse Nantaise, peu de temps après, dans l’Union Bretonne, un autre navire fait naufrage au même endroit. Il s’agit du « François 1er, capitaine Gras, parti de Bayonne avec des passagers pour Buenos-Aires et Montevideo, a fait naufrage le 28 janvier 1856, à l’entrée de la Plata, les passagers et l’équipage ont été sauvés. Ce beau navire construit à Bayonne, faisait son premier voyage. Le naufrage a eu lieu par un temps magnifique, à onze heures du matin, et par suite d’un choc contre une roche. Le navire, submergé en partie, et sa cargaison ont été vendus 2000 francs, tant la position qu’il occupe est mauvaise. Pendant la traversée, le François 1er avait perdu une vingtaine de passagers, morts de la variole. L’Arnaud et le Madagascar, partis de Bayonne à peu près à la même époque que le François 1er ont également perdu, par cette maladie, plusieurs passagers avant d’arrivée à Montevideo ».





Ce même mois d’août 1855, un autre français quitte son pays natal …… Auguste Pawloski Guinnard, né à Paris en 1831. Il quitte la vie parisienne pour chercher fortune en Amérique du Sud. Embarqué au Havre, Auguste débarque à Montevideo. « La guerre civile y fait rage et entrave ses projets. Il gagne alors Buenos Aires puis, en février 1856, part prospecter dans les provinces du Sud de l'Argentine ». Son récit Trois ans chez les Patagons se déroule à la même époque que le périple de Pierre. Parlant de la traversée, il nous conte que, s’éloignant des côtes françaises, « le temps devenait de plus en plus radieux. Nous naviguâmes ainsi jusqu’à l’embouchure de la Plata sans avoir l’ombre d’un danger à redouter. Cependant nous ne devions point arriver à destination sans que je fasse à même de me rendre compte de l’horrible situation où se trouvent parfois les navigateurs, car à notre arrivée dans la Plata, nous essuyâmes la plus horrible tempête que l’on puisse imaginer, et nous fûmes jetés sur le banc anglais et peu s’en fallut que nous périssions corps et bien. Nous dûmes notre salut qu’à la grande solidité de notre navire, qui heureusement était neuf, et au grand sang-froid de notre habile capitaine, qui sut ranimer l’énergie de ses hommes, un instant paralysé par la frayeur…. Une fois le danger passé, et le calme rétabli à bord, j’entendis de nouveau les hommes de l’équipage se communiquer leurs projets de délassements et de plaisirs. Je ne cessais de les questionner sur Montevideo, puis vint la fébrile impatience de poser enfin le pied sur le sol américain que l’on me disait être si merveilleux ».

Après plus d’un mois de voyage, en passant au large du Portugal, puis longeant les côtes africaines du Sahara Occidental, du Sénégal, quittant l’Atlantique Nord pour atteindre le Brésil, le Sombreuil navigue dans l’Atlantique Sud.


Est-ce en arrivant ou peu de temps après son départ de Montevideo que le navire fait naufrage au large de la côte Uruguayenne ?

Son équipage, le capitaine et Pierre Neycensas, sains et saufs,  sont recueillis et parviennent dans le port de Montevideo en attendant d’être rapatriés vers la France.

Grâce au récit d’Auguste Guinnard, on peut retracer ce que vécut Pierre pendant quelques semaines dans la capitale. « Mais à peine arrivé je fus saisi d’une sorte de pressentiment de mauvais augure, quand d’épais tourbillons de fumée s’offrirent à ma vue, et que les premiers bruits qui frappèrent mon oreille, aux portes du nouveau monde, furent ceux d’une vive fusillade et du canon entre-mêlés. J’arrive juste à temps pour être le témoin d’une de ces insurrections si fréquentes dans les républiques de La Plata. Je me rendis à terre et me sentis tout rempli d’aise de faire connaissance avec un peuple si nouveau pour moi, dont le langage éveilla de suite toute ma sympathie. Les rues encombrées de soldats presque tous noirs, en haillons et les pieds nus, offrant l’aspect d’une véritable horde de brigands ».

Un peu plus de 20 jours après son arrivée à Montevideo, « le 25 novembre, et pendant quatre jours », Pierre est lui aussi témoin « d’une insurrection, véritable guerre civile, et théâtre de scène sanglante. Environ 90 à 100 personnes sont tuées et le nombre de blessés et infiniment plus considérable. L’état déclare alors l’état d’urgence et rétabli l’ordre immédiatement. José Maria Munoz et cent vingt-trois personnes du parti révolutionnaire s’embarquent à bord du Constituçao pour Buenos-Aires. Les étrangers comme Pierre se sont rendus aux conseils de leurs agents diplomatiques et ont gardé pendant ces quatre jours une stricte neutralité ».

Pierre monte à bord de l’Eurydice, corvette de 28 canons de la marine de guerre française de retour de mission dans le Pacifique et en Amérique du Sud. L’Eurydice quitte Montevideo vers la fin du mois de janvier 1858 pour Toulon.

L’Eurydice fait de nombreuses campagnes à travers le monde. Ainsi de 1850 à 1851, elle fait escale à Ténériffe, Rio de Janeiro, La Réunion et Madagascar, puis en 1852, Pondichéry, Aden, le Yémen, puis la Réunion. En 1853-54, nouvelle campagne en Amérique du Sud et Pacifique.


L’Eurydice quitte à nouveau Toulon en 1856 pour une 3ème campagne dans le Pacifique.

Pierre est de retour à Nantes le 2 avril 1856 et, pour son premier voyage, comptabilise sur sa fiche d’inscription maritime 2 mois et 28 jours de navigation effective.

Pierre à peine a-t-il retrouvé ses parents, Pierre et Marie, ses frères et sœurs, que bientôt il reprend la mer ……



Il quitte le 2 de la rue Copernic, se dirige vers le port et monte à bord du trois-mâts Le Soundary le samedi 3 mai 1856, à destination, pour la première fois, de l’ile de la Réunion, pour une durée de 8 mois et 8 jours.



Le capitaine Pichaud est à la barre du Soundary pour un deuxième voyage dans l’océan Indien. Le Soundary, construit en 1855 par le chantier Guibert, jaugeant 485 tonneaux, appartient à la Compagnie Lecourt et assure la ligne régulière Paris Nantes Ile Maurice et la Réunion. La gabare Alfred-Marie, patron Bureau, prend en charge le trois-mâts, cale Chaurand pour son départ le 10 mai.

La cale Chaurand rappelle le nom de l’une des anciennes familles Nantaises intimement liée à la traite des noirs dans les années 1772 - 1785. Les bâtiments de traite des Chaurand fréquentent le Mozambique et la Côte d’Or, ainsi sont repérés les marchés d’esclaves, la majorité des cargaisons humaines est livrée vers les exploitations des armateurs à Saint Domingue. 
Extrait : Les armements négriers au 18ème siècle d’après la correspondance et la comptabilité des armateurs et des capitaines nantais - Dieudonné Rinchon en 1955.


Arrivé le 27 août, le 5 septembre le Sombreuil est toujours en rade de Port-Louis sur l’ile Maurice, seule rade sûre à l’époque pour la réparation des trois-mâts. On peut lire sur la revue de presse numérisée « The Adge of Melbourne », en date du lundi 8 décembre 1856, en référence à la gazette Mauritienne « The Port-Louis Gazette Commercial », que le Soundary, de l’Ile Maurice à Nantes, le 25 octobre, transporte 576 tonnes de la nouvelle récolte de sucre.



Deux mois après, le 5 janvier au matin, le Soundary mouille en rade de Saint-Nazaire, arrivé la veille par « vent d’ouest, grande brise et grains, le 6 janvier le Soundary commence son allégement par la gabare Sirène, le 8 janvier le Soundary est mis aux quatre amarres par vent de sud et faible brise, sort et monte, allégé par la gabare Confiance, capitaine Pignol, le 9 janvier le déchargement continue à Paimboeuf, le 13 janvier, la gabare Anne-Justine, capitaine Mahé allège le Soundary, le 16 janvier le déchargement est terminé ». Union Bretonne de janvier 1857.

L’ouverture du port de Saint-Nazaire, en 1856, signa la décadence du port de Paimboeuf. Le Soundary est peut-être bien l’un des derniers trois-mâts à décharger son frêt sur ses quais.

Après une semaine de déchargement, Pierre rejoint Nantes et le 2 rue Cassini.

C’est un nouveau départ pour quelques horizons lointains, après 11 mois et 6 jours en qualité de mousse, Pierre est dorénavant novice à bord de la Marie-Louise (sur l’inscription maritime Pierre est indiqué « provenant de mousses », est-ce une erreur ? 

La Marie-Louise est commandée par le capitaine Duval. Le trois-mâts est construit en 1847, d’un port de 206 tonneaux, francisé le 8 juillet 1847. Il appartient au Sieur François Jollet domicilié à Nantes. Le navire, au tout début, est armé pour le grand cabotage, comme en 1854, au départ de Bordeaux, désarmé à l’Ile de Ré, armé en 1855 à Marseille, puis une nouvelle fois en 1856 pour le grand large cette fois à destination de Singapour. Le voyage pour la Guadeloupe en 1857, est le 5ème voyage du trois-mâts. Après d’autres périples à travers les mers, Rio de Janeiro en 1859, Bali en 1861, Sierra Leone en 1862, le navire disparait en mer le 20 février 1882.

Le trois-mâts se dirige vers la Guadeloupe. L’Union Bretonne, mentionne une sortie du port de Paimboeuf le 13 février à destination de Pointe à Pitre. Pierre passe novice le 7 février 1857.

Pierre découvre lors de son séjour à Pointe à Pitre, un relief grandiose, tourmenté, déchiré, des pitons volcaniques, des plateaux crevassés, des cirques de rochers, de ravins tortueux …. C’est l’image d’un paradis terrestre, et pourtant Pierre aura certainement entendu parler des éruptions volcaniques, des tremblements de terre qui trop souvent sèment la ruine, les cyclones …. les épidémies de fièvre jaune.


Après trois mois en mer, Pierre est de retour à Nantes, le 8 juin 1857. 

Le trois-mâts décharge une importante quantité de sucre, dont une partie est mise en vente le 12 juin, « 46 quarts de sucre de Guadeloupe par Marie Louise, pour la balance à 100 francs » peut-on lire dans l’Union Bretonne.

« Les affaires sont calmes sur cette douceur et il ne pouvait en être autrement après la fièvre de spéculation qui s’est produite sur cette denrée, au reste nous ne savons pas ce qu’on pourrait vendre en premières mains, après les marchés de longue haleine qui ont été traités par notre place…… en tout cas il ne se fait absolument rien et nous n’avons pas une seule vente à citer et les cours restent à l’ancienne côte ». Union Bretonne le 6 juin 1857.

La fonction coloniale du port de Nantes, en ce milieu du 19ème siècle est toujours florissante, les quais et les rues de la ville porte la marque que les deux siècles passés ont imprimés, façades ornées de fleurs ou fruits étranges, grains de café énormes…… Nantes a abandonné tout autre commerce et se concentre sur le commerce des iles, à l’exportation de produits fabriqués en métropole, et surtout l’importation de coton, sucre, indigo ou café.

La raffinerie Nantaise, autre ancien souvenir de l’époque coloniale emploie 1500 ouvriers dans deux grandes usines qui traitent environ annuellement 30 000 tonnes de sucre de canne arrivé par les anciennes routes des Antilles ou de la Réunion.

Pierre monte à bord de La Marie-Louise par deux fois, le 20 août 1857 et le 31 mars 1858 à destination des Antilles.

Le 24 octobre 1857, la malle des Antilles note que la Marie-Louise est à quai à Pointe à Pitre, puis à quai à Saint-Thomas le 14 novembre, pour un départ le 17 novembre de Saint-Thomas à destination de Saline en Haïti, pour enfin arriver le 26 novembre à Port au Prince. L’Union Bretonne mentionne la présence du trois-mâts à la Martinique avant son arrivée à Saint-Thomas.



Dans les Nouvelles Maritimes du 9 mars 1858 « le capitaine Merceron de l’Auguste Ernest, venu de Port au Prince début janvier 1858, signale un mauvais temps, coups de vents sur coups de vents, un coup de mer enlevant la chaloupe sur ses tins et l’a porté plus loin entre les dromes. Le 18 février j’étais en vue des Açores, le 7 mars en vue de Belle Isle, le trois-mâts Marie-Louise était sur rade de Port-au-Prince le 16 décembre, il y avait aussi le Créole dont le capitaine est mort le jour de mon départ ».

Le 27 décembre, Pierre quitte Port au Prince pour Nantes après avoir chargé « d’acajou et de campêche ». Le 17 février 1858 Pierre est de retour après une deuxième voyage, en provenance de Port au Prince après 5 mois et 28 jours. Le trois-mâts est remorqué de Saint-Nazaire jusqu’au port de Nantes. Un dernier départ, en qualité de novice, le 31 mars 1858, et Pierre est toujours à bord du Marie-Louise. Le 9 mai le trois-mâts est à quai à Liverpool pour chargement et doit partir pour Pernambuco le 21 mai 1858.



Les travaux des docks Albert Dock, débutés en 1841, sont inaugurés par le prince Albert en 1846. Leur système d'amarrage est considéré comme révolutionnaire, en effet les navires sont chargés et déchargés directement à partir des entrepôts. Pierre assiste, en 1855, au chargement de la Marie-Louise à l’aide d’une grue hydraulique, l’une des premières existantes au monde.



Pendant les quelques jours de présence sur l’Albert Dock, on imagine Pierre parcourir cet immense magasin populaire pour les cargaisons de coton, de thé, de tabac, de soie, de brandy et de sucre.



Le trois-mâts est mis en mer le 26 mai, arrivé à Recife, état de Pernambuco au Brésil, le 3 août. Le 15 août, le trois-mâts est encore en déchargement, à Pernambuco, on ne connait pas l’objet de la cargaison, mais cela doit-être du charbon qu’une foule bigarrée décharge sur les quais sous un climat tropical.



Lorsque Pierre accoste au Brésil, en 1855, le pays a mis fin, théoriquement, au trafic d’esclaves depuis à peine 5 années, cependant encore 2 millions et demi d’esclaves sont employés dans les plantations de sucre. En 1866, la Société française pour l'abolition de l'esclavage adresse une supplique à l'empereur du Brésil afin que son gouvernement s'occupe au moins graduellement de l’abolition. Ce n’est qu’en 1871, que la servitude, par l’importation et la naissance, est abolie, l’émancipation des esclaves peut commencer….








Dans le courant du mois de septembre, le trois-mâts est en mer des Antilles avant son retour le 16 septembre 1858 à Marseille après 7 mois et 17 jours.



Sur la fiche d’inscription maritime, Pierre aura été novice, 17 mois et 14 jours.








Les produits les plus vendus dans quelques ports de commerce Français

Bordeaux : Farine, haricot blanc et rouge, pois vert, jambon, mais, avoine, sucre raffiné, riz de l’Inde, vinaigre, saindoux, bougie, fromage pâte grasse, gruyère, vin rouge et blanc, oignon.
Nantes : Saindoux, avoine, Guignolet, bougie, feuillard, brique, ardoise, carreaux, mulet de Cherbourg, boucaut.
Marseille : Vin, huile, savon, chandelle, bougie, sucre raffiné, vermicelle, gruyère, Vermouth.

Havre : farine, bière, beurre, biscuits Packam et Campart, huile de colza, sucre raffiné Clerc kayser, bougie, saindoux, pomme de terre, oignon, fromage pâte grasse, gruyère. 





Pierre, une nouvelle étape :

Il embarque le 25 janvier 1859 à bord du trois mats le Jean Victor, à destination de l’ile Maurice, en qualité de « lieutenant ». Pierre est débarqué à Saint Nazaire le 18 mars 1859, rôle n°38.




Embarqué, matelot, le 18 novembre 1859 sur le trois mâts l’Orion, 344 tonneaux, armateur Maes, capitaine Thebaud, à destination à nouveau de l’ile Maurice, rôle n° 95 à Saint Nazaire. Le 9 décembre 1859, l’Orion, quitte l’ile Maurice à destination de Belle-Isle. Le navire est à quai le 3 mars 1860, au port de Saint Nazaire. Le navire est à la consignation de Messieurs Delabrosse frères, armateurs, et Van Heddeghem-Goupilleau, courtiers. La cargaison est à destination de l’armateur pour 5475 balles de sucre, et au porteur, 2 balles de sucre. Pierre est débarqué à Saint Nazaire le 3 mars 1860, rôle n° 36.

Le 30 mai 1860, Pierre est admis à Lorient, au 1er dépôt, au service de la marine de guerre de Napoléon III pendant 3 années, sans période de guerre. Il embarque sur la gabare en bois le «Cormoran» le 23 septembre 1860, corvette-transport de 317 tonneaux, 36 mètres, des  chantiers Shipyard de Brest. A bord, un équipage de 36 hommes. Équipé de 2 fois 12 canonnades sur gaillards. Le navire fait escale à Bordeaux en avril 1862 à destination du Sénégal et de la Guyane. Pierre est en escale à Gorée fin mai.

Après son arrivée en Guyane, il embarque à nouveau, le 2 aout 1862, à bord du « Casabianca », (1859-1877) conçu par Le Moine pour le service local en Guyane et effectue de nombreuses croisières aux Antilles et au Brésil. C’est un aviso à roues sorti des chantiers Shipyard de Lorient en 1858, 55 mètres de long, 979 tonneaux, vitesse 10 nœuds, une centaine de marins à bord, une voilure d’environ 900 m2, et équipé de 4 fois 12 canons « revolvers ».

Courant fin d’année 1862, Pierre navigue à bord de la corvette à voile de 2ème classe « La Pourvoyeuse » nommée aussi « Recherche », basée au Gabon. La corvette est désarmée le 23 décembre 1862. La Pourvoyeuse est une gabare de 32 mètres de longueur et 9 mètres en largeur, avec à son bord, 60 hommes, 10 caronades de 12 et 2 fois 4 canons. C’est un trois mâts de 944 m2 de voilure. En 1835 la Pourvoyeuse part vers l’Islande pour retrouver la Lilloise du géographe de Blosseville, perdu dans le Nord en 1833.

Le 17 février 1863, Pierre embarque à bord de « l’Amazone » (1845-1872), frégate mixte de 2ème rang, construite aux chantiers Shipyard de Brest, 3155 tonneaux, 211 marins, machine à vapeur de 160 ch, voilure, 18 fois 30 caronades, 4 fois 16 obus.

 
L’Amazone appareille de Toulon le 5 janvier 1863, vers la Guyane avec 500 forçats. Pierre est nommé à la Division de Toulon le 1er mai 1863.

Le 30 mai 1863, Pierre est libéré à Toulon après 36 mois passé au service de l’État.

Pierre Neyssensa, 25 ans, est nommé capitaine au long cours par brevet le 22 mai 1865.

On découvre son visage sur le registre matricule des capitaines de 1865 à 1883. Visage ovale, front ovale, sourcils et cheveux châtain, yeux noirs, nez moyen, bouche moyenne, et menton rond. Le patronyme est mentionné Neysensa.

1865 et 1866 : avant de prendre le commandement du Lucie, Pierre est capitaine à bord d’un premier navire, le trois mâts, le « Navigateur », en septembre 1865.

Le Navigateur quitte Cayenne le 22 janvier 1866, pour Haïti, avec dans sa cargaison, 161 peaux de bœufs, 350 cornes de bétail (buffles) et 96 kilos de vessies natatoires. Les peaux de bœufs sont utilisées dans les tanneries pour la fabrication des chaussures, semelles et sacs en cuir. Les cornes de buffles s’emploient, la plupart du temps, pour les manches de couteaux et autres articles en coutellerie, mais aussi à la fabrication des peignes, ainsi l’ensemble des peignes noirs sont en cornes de buffles. Les  vessies natatoires, prélevées sur le Machoiran, poisson consommé par les « indigènes », forment sous le nom d’ichthyocolle, une source importante à l’exportation, utilisées à la clarification de la bière Nantaise, une fois rabotée en de minces copeaux, la colle de Machoiran se dissout complètement dans l’eau froide.

Le 24 février le Navigateur charge à Port au  Prince pour le Havre. Il a déjà à bord 2430 sacs de café et 1 greniers de campêche. Le solde de son chargement est en magasin ; il le prendra dans la semaine et partira dans les premiers jours de mars.


Le Navigateur quitte Port au Prince en Haïti, le 8 mars 1866 pour le Havre avec 5560 sacs de café.

Le 18 mai 1866 le Navigateur parvient au Havre et décharge environ 1200 sacs de café sur les docks.

Le 30 mai 1866, à 8h30, par beau temps et faible brise, le trois mâts entre dans le bassin de Nantes, en provenance du Havre et accoste à l’estacade.

Une partie de la cargaison, 4311 sacs de café « Haïti » et 350 cornes de buffles, est stockée le 2 juin sur les docks de Nantes.

On lit dans l’Union Bretonne, semaine du mardi 12 juin, « la vente du 7 juin sur le marché du Havre, s’effectue de gré à gré, le détail en est tenu secret. En vente publique, le propriétaire obtient 65 francs à 75 francs par 50 kilos, eut égard à l’état de la marchandise du navire ». Il semble que toutes les cargaisons de café des navires en provenance des Antilles ont livrées des sacs avariés.

1866 et 1868 : Pierre est capitaine sur le Lucie.





Le 9 février 1869, le Louise Halder quitte le port de Bordeaux, capitaine Pierre Neyssensa, à destination de Rosario en Argentine. Arrivé à proximité de Buenos-Aires, le Louise Halder quitte l’océan atlantique pour se diriger vers Rosario, situé à environ 300 kilomètres à l’intérieur des terres, en remontant le fleuve Paraná. Le trajet peut prendre parfois près de trois semaines tant la navigation y est délicate.

Pendant les mois de janvier, mars et avril, époque des grandes eaux, les fleuves deviennent navigables. La baisse des eaux commence généralement en mai et juin pour être en juillet aout et septembre les mois des plus basses eaux. Les bancs de sables sont nombreux, aussi est il prudent, avant de s’engager, de les sonder et de les baliser, sous peine de s’échouer. En partant de Buenos-Aires, pour entrer dans le Paraná, avec des vents de Sud-est et Sud-ouest, on trouve ordinairement, dans le vent du grand banc de Martin-Garcia, de 4 mètres à 5 mètres d'eau. Il faut éviter de quitter le canal, dont le fond est de vase molle dans tout son parcours. L'ile de Martin-Garcia est à 72 kilomètres de Buenos-Aires.

Le 28 juillet le Louise Halder quitte le port de Rosario à destination de Marseille (L’union Bretonne du 23/09/1869). Rosario est la deuxième ville d’Argentine, on exporte en 1869 de nombreuses céréales et autres produits de la province de Santa-Fe. Après être entré par l’un des bras du fleuve Paraná appelé Guazu, le Lucie croise vapeurs, bateaux à voile remorqués et une multitude de goélettes à voiles blanches. On ne connait pas le détail de son chargement, peut-être des peaux de cuirs secs, de la laine, du suif, produit résiduel obtenu à partir de la fonte de la graisse animales comme le mouton ou le bœuf. Le suif entre dans la fabrication du savon et permet l’assouplissement et l’imperméabilisation des cuirs.

En passant au large de l’ile de Martin Garcia le trois mâts Louise Halder s’échoue sur un banc de sable et, est abordé par une goélette.

« Le 20 septembre, Buenos-Aires, le Louise Halder entre en relâche avec avaries».


Le trois mâts est remorqué et traverse l’immense Rio de la Plata vers le port de Buenos-Aires « la Boca ». La Boca est un village, en partie construit en bois, où l’on parle essentiellement Génois.



Le Louise Halder est en relâche à Buenos-Aires le 21 septembre et le 12 octobre. Le 13 novembre le brick est en réparation. Le 14 novembre, le trois mâts ne peut être réparé, et, est délaissé, son chargement est vendu publiquement cinq jours après.

Dans l’Union Bretonne, du samedi 25 décembre 1869, Buenos-Aires le 17 novembre,  « le capitaine Neyssensa est condamné ici ayant été autorisé à transborder son déchargement, une adjudication est ouverte en chancellerie du Consulat de France, pour trouver le navire qui devra recevoir le dit chargement sur palan, en rade de Buenos-Aires pour le transporter à destination. » Le 20  novembre le Louise Halder est vendu, le capitaine Neyssensa est toujours condamné comme le capitaine Legoaster du brick Saint Joseph. Le 29 novembre le chargement est pris par un navire inconnu ».

Pierre pendant la période d’octobre 1869 et 5 septembre 1873 soit presque 4 ans ne navigue plus. Sur l’acte de naissance de son fils, en 1871, Gaston, Pierre est négociant.

1871 : il est indiqué sur le registre des inscrits maritimes « existant à Nantes le 20 octobre, avis de la famille».

Pierre ne peut se passer de l’appel du large et reprend la mer en 1873.

1873 : le 6 septembre Pierre est capitaine à bord du Président Thiers, en septembre, au départ et à l’arrivée à Londres.  C’est vraisemblablement le trois mâts abandonné en mer en mars 1874 par le capitaine Rigaud.

En 1873, Pierre est absent de son domicile pendant 3 mois.

1874 : Pierre est capitaine à bord de «l’Auffredy», en août, entre Nantes et Plymouth. L’Auffrèdy, trois mâts, est armé par le négociant Nantais Gabriel Lauriol (1807-1889),  construit en 1855. Pierre est en mer pendant près de 5 mois.

1875 : Pierre est capitaine sur le trois mâts le Sirius, et quitte le Havre le 10 avril 1875. Pierre est en mer durant les 6 mois à venir.

Le Sirius, arrive à Port au Prince le 13 juin et parvient au Cap Haïtien le 22 juillet 1875, en pleine période de production de campêche et de café.

Le 13 aout départ du Cap Haïtien. Le 27 septembre le Sirius parvient au Havre avec à bord une cargaison de 300 sacs de café, 32 cuirs et 360 kilos  de campêche. Le 2 octobre, sur le marché du Havre les 50 kilos de campêches se vendent 875 francs, les 50 kilos de café sont vendus 113 francs, et 130 francs les 50 kilos de cuirs. Le campêches est un petit arbre tropical destiné à produire de la teinture pour tissu, laine soie ou coton. On extrait du cœur de bois l’hématite devenant rouge vif par exposition à l’air libre.


1876 : Le 1er septembre, Pierre, âgé de 36 ans, est lieutenant à bord du Washington, au départ et à l’arrivée à Saint Nazaire.



Le Washington est un paquebot à roues, en fer, gréé en brick trois mâts, construit à Greenock par les chantiers Écossais Scott. A partir de 1874 il dessert la ligne New-York l’été, et les Antilles l’hiver.


1876 - 1877 : Du 11 octobre 1876 au 9 juillet 1877, Pierre est à nouveau lieutenant à bord du Washington. Puis lieutenant sur le Lafayette du 1er aout au 8 septembre à Fort de France. Fort de France est la tête de ligne du trafic transatlantique de voyageurs vers le France et les États-Unis. La Compagnie Générale Transatlantique domine les grandes lignes françaises, avec une escale à Saint-Pierre sur sa ligne Saint-Nazaire - Colon, futur débouché du canal de Panama avec les paquebots le France, le Saint-Germain, le Lafayette, bâtiments de 3600 tonneaux. Le Sister-ships Lafayette est construit en 1864 aux chantiers de Penhoet.

Capitaine à bord du Paquebot le Cacique à Fort de France, du 9 septembre 1877 à fin 1877. Le Cacique est un navire en fer, construit par Napier Bros de Glasgow, 53 mètres de longueur et 8 mètres de largeur, 670 tonneaux, vitesse 9 nœuds, il est utilisé comme paquebot stationnaire aux Antilles.

1878 : lieutenant sur le Guyane de janvier à avril à Fort de France, paquebot à roues, lancé à Glasgow en mai 1865 par J.Thompson & Co, il inaugure le service Fort de France/Cayenne.

A nouveau capitaine sur le Cacique (1862-1881), du 3 mai au 8 juillet, à Fort de France.

Lieutenant sur le vapeur Saint Germain. Le Saint Germain est un paquebot en fer construit aux chantiers Thomson de Glasgow (1876-1907). D’une longueur de 114 mètres et 12 de largeur, il jauge 3521 tonneaux et navigue à la vitesse de 12 nœuds. En 1878 il dessert la ligne de Saint Nazaire - Colon, ou New-York en fonction des besoins. Pierre « monte » à bord le 9 juillet. Le 10 juillet le Saint Germain, capitaine Offret, accoste à Pointe à Pitre et parvient à Saint Nazaire le 24 juillet.

Pierre est lieutenant sur le Washington, au départ et à l’arrivée à Saint Nazaire, du 25 juillet au 15 aout.

Pierre est lieutenant sur le paquebot à vapeur Olinde Rodrigues, au départ de Saint Nazaire, d’aout à septembre. L’Olinde est mis en service en janvier 1874 sur une ligne reliant Hambourg aux Antilles. Le 26 février 1876, il entre en collision et coule le vapeur Strathclyde au large de Douvres. Le paquebot est placé en septembre 1878 sur la ligne de Colon. Olinde Rodrigues (mathématicien Bordelais) était un cousin des frères Péreire à l’initiative de la création de la Compagnie Générale Transatlantique en 1855.

Lieutenant sur le Ville de Saint Nazaire fin 1878. Le paquebot Ville de Saint Nazaire appartient à la Compagnie Générale Transatlantique et dessert la ligne de Saint Nazaire à Valparaiso en 1874, puis Colon en 1876, puis l’Amérique du Nord. Construit en 1871 aux Chantiers de l’Océan à Bordeaux d’une longueur de 88 mètres et 2676 tonneaux il atteint les 12,5 nœuds.

1879 : lieutenant sur le Ville de Brest, (1871-1899) du 3 février au 15 juillet, départ de Saint Nazaire. Le Ville de Brest est un paquebot mixte, voile et vapeur, en fer, à deux hélices, construit par les Chantiers de l’Océan à Bordeaux, d’une longueur de 88,50 mètres, 12,33 de large, 2676 tonneau
x, vitesse 12,5 nœuds. Le navire est, en 1879, affecté sur la ligne de Colon.
A nouveau sur le Washington, second lieutenant sur le Ville de Saint Nazaire en juillet et octobre.

C’est le dernier voyage de Pierre à bord d’un des bateaux de la Compagnie Transatlantique. Pierre est âgé de 39 ans. Pierre aura passé environ 4 années éloigné des siens avec quelques semaines seulement en compagnie d’Adèle, quelques jours en escales à Saint Nazaire, en 1877, en janvier 1878 et escales à Saint Nazaire, en janvier 1879.



Quatre années passées en mer des Caraïbes



«Nous sommes le 1er septembre 1876, pour la première fois j’embarque à bord d’un paquebot de la Compagnie Générale Transatlantique. Je viens d’être nommé lieutenant à bord du Washington. C’est un magnifique trois mâts, avec ses 885 m2 de voilure, à hélices, de 105 mètres de longueur, celui là même qui relia Le Havre New-York, en 1874, en 13 jours, beau record pour l’époque. Les paquebots de la Compagnie étaient aisément reconnaissables à leurs cheminées rouges et leur sommet noir.

 
La Compagnie Générale Transatlantique possède deux lignes mensuelles au départ de Saint Nazaire, à destination de Colon au Panama et Veracruz au Mexique. D’autres lignes annexes parviennent à Saint Thomas, Kingston, Fort de France à Saint Thomas, de Veracruz à Tampico et Matamoros au Mexique, et Fort de France pour Pointe à Pitre (Guadeloupe).

Je ne cache pas mon plaisir de partir pour les Antilles. A tel point que je suis arrivé une heure avant le départ. Je rejoins ma cabine que je vais partager, pendant nos cinq semaines de traversée, avec quatre autres gradés.

Il est neuf heures du matin. Une odeur de charbon et de suie flotte dans l'air, quelques minuscules escarbilles annoncent que les chaudières montent en pression. Nous larguons les amarres. Les remorqueurs du port de Saint Nazaire tirent lentement le navire qui s'écarte du quai. Puis, les hélices commencent à tourner pour entraîner le Washington vers la sortie du port.

C'est un moment émouvant car je pense aux miens, en particulier, à mon petit Gaston, âgé de 5 ans. Je sais que je ne pourrais  pas avoir de nouvelles d’Adèle  avant de longues semaines.

Une dernière vision de Saint Nazaire, puis le port disparaît.
A partir de ce moment là, la seule façon pour Adèle d’être tenu au courant de mes allers-et venues à travers les mers s’effectue grâce aux messages  qui paraissent quotidiennement dans l’Union Bretonne, dans la rubrique «nouvelles maritimes », avec quelques semaines de décalage. Ces messages parviennent au port de Saint Nazaire par l’intermédiaire des câbles sous marins.

Le Washington a atteint la haute mer, je me dirige vers les cabines de première classe réparties à l'arrière du navire et sur le pont inférieur. On peut y ranger confortablement ses bagages mais pour écrire il faut se rendre dans le salon de lecture ou le fumoir, en effet, les bougies sont interdites dans les cabines. Les conditions de voyage sont plus confortables que celles que j’ai connues auparavant, lorsque j’étais capitaine du trois mâts le Lucie. Salle à manger avec cuisine et  décor " bourgeois" typique de l’époque. Tout cela me convient parfaitement. C'est dans ce cadre que je vais pouvoir faire connaissance avec d'autres voyageurs, pour la plupart, militaires, fonctionnaires, certains très jeunes. D’autres sont plus atypiques, à ce qu’on m’a dit, souvent érudits, et curieux de découvrir de nouvelles contrées.

Notre paquebot transporte, en ce mois de septembre, 185 passagers et du fret.


On arrive dans la baie de Pointe à Pitre, le 13 septembre, puis escales à Basse Terre, le 17 septembre. Avec les officiers à bord, nous fêtons simplement ma 36ème année, puis nous faisons  escale à Saint Pierre, le 23, puis à Fort de France le 24, où nous sommes assaillis par des odeurs exotiques qui flottent sur les quais,  peut-être  de sucre, de cacao ou de café, je ne sais exactement.
 



 
Nous continuons notre voyage et parvenons à la Guaira, au nord-ouest de Caracas. Le port est encombré de futs et sacs de café, indigo, tabac et cornes de bœufs à destination principalement de Bordeaux et des villes hanséatiques. Dominés par des montagnes verdoyantes de moyennes altitudes, les quais sont presque inaccessibles tant il y a de monde en mouvement. Puis nous accostons à Porto Cabellos, à environ une centaine de kilomètres de Caracas, à l’ouest. La ville de 8000 habitants possède une grande  rade à l’abri du vent. Le trafic du port est moitié moindre que celui de la Guaira et nous repartons presque immédiatement pour  Savanilla - Barranquilla en Colombie.


Le 29 septembre 1876, le steamer jette l’ancre dans la baie de Colon-Aspinwal au Panama. J’aurai l’occasion de découvrir Colon lors d’un prochain voyage. De ce que l’on m’en a dit sur le pont avant hier soir, Colon est un gros bourg tropical aux baraques de tôles ondulées, le long de rues en damier, bâti à la va-vite, au terminus de la voie ferrée, par les Américains. Tour à tour gluante d’humidité ou écrasée par la chaleur, entourée de vases organiques , Colon grouille d’animation avec ses éventaires sur les trottoirs et ses marchands ambulants de citrons et autres fruits tropicaux. Les vendeurs d’eau parcourent les rues avec leurs ânes chargés de bidons et de jarres. Les rues, lors de la période des pluies, se transforment en égouts à ciel ouvert que longent des maisons isolées du sol par des petits pilotis. De l’autre côté de la mer des Caraïbes, la Martinique, et la Guadeloupe.

Nous repartons finalement trop rapidement, dès le 29 au soir. Je suis de retour à Saint Nazaire le 7 octobre 1876. Le Washington repart le 10 octobre 1876, pour un nouveau voyage vers les Antilles. Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour voir Adèle et Gaston, cette fois ci. J’effectue plusieurs voyages pour Colon entre octobre 1876 et juillet 1877.


A nouveau nous quittons Colon le 1er juillet 1877 à destination des Antilles et Saint Nazaire. Le 22 juillet 1877 un vent faible nous accueille au large du sémaphore de Talut, notre paquebot transatlantique fait route pour la Loire. Le Washington, capitaine Legigant, accoste sur les quais de Saint Nazaire, le 23 juillet, par un vent sud-ouest fraichissant, le mauvais temps est à craindre. Adèle et Gaston m’attendent sur le quai. Je vais profiter de leur présence pendant à peine un mois.


En effet, le mardi 21 aout 1877, à bord du paquebot Lafayette, capitaine Héliard, (le capitaine Héliard est l’un des premiers capitaines à tester, en 1868, un nouveau sextant à verre allongeant, ces sextants furent utilisés avec succès par la Compagnie) nous quittons Saint Nazaire à destination de Veracruz. La mer est calme, le vent faible et le temps orageux. Nous devons arriver le  9 octobre à Fort de France, premier port des Antilles à être desservi par la Compagnie en 1862.

A bord du Lafayette, la French Line assure confort et bonne chère. A partir de la seconde moitié du XIX siècle, une clientèle fortunée, essentiellement des Américains et des Européens, utilisent notre compagnie. Les paquebots acquièrent leur réputation de luxe. A la fin du XIX siècle la compagnie crée les secondes et troisièmes classes, afin de permettre à des gens peu aisés de s’offrir la traversée.

A bord du Lafayette, les passagers se lève lorsqu’ils le souhaitent, il est seulement interdit de se présenter en « négligé» après 8 heures. A l’approche des Antilles, les passagers montent sur le pont pour avoir un peu d’air et de fraîcheur.

  De grand matin, on trouve sur la table du salon, du pain, du beurre, du café. Le déjeuner est à 9 heures, le soir le diner à 17 heures. Ces deux repas sont presque identiques, soupe ou potage, et cinq plats de cuisine. On boit du vin, de l’eau, et à la fin du repas on nous « offre » une tasse de café noir et une goutte. En permanence au salon on a de l’eau fraîche, du sucre et du citron. Pendant les repas,  un Antillais tire une corde afin d’actionner les pendants ou rideaux placés au dessus de nos têtes, car la chaleur se fait sentir de plus en plus à l’approche de Pointe à Pitre. Les passagers laissent la fenêtre de leur cabine ouverte, des gouttes tombent sur le visage, la chaleur est suffocante, et on finit par vivre sur le pont en cherchant l’endroit le plus frais possible. En début d’après midi le pont est envahi de passagers prenant place sur les banquettes fixes ou les « transats » mis à disposition par la Compagnie. Je crois pouvoir dire que le transat est né avec les navires à vapeur et les paquebots. Concernant l’habillement, le port des vêtements est réglementé. En ce qui me concerne je ne quitte pas mon uniforme de lieutenant, même lors du repos, en dehors des locaux réservés à l’équipage, bien sur. 
 
 
 
Chaque catégorie de personne possède son habit. Quant au personnel civil il porte le costume de coutil.


Le 23 aout nous arrivons à Santander, le capitaine Richard manœuvre et met le paquebot en charge pour la Havane puis Veracruz. Le 5 septembre nous parvenons à Fort de France.

Le Lafayette quitte la Havane le 25 septembre à destination de Saint Nazaire et escale. A l’escale de Fort de France, je quitte le capitaine Heliard qui doit accoster quelques jours plus tard dans le bassin de Saint Nazaire le mardi 16 octobre 1877, juste avant l’annonce d’un mauvais temps sur l’ensemble des côtes.

Fort de France

A ma grande satisfaction, je prends le commandement du Cacique, le 9 octobre 1877, paquebot auxiliaire affrété uniquement  pour les Antilles, « stationnaire » comme on dit dans notre jargon, entre Fort de France et Pointe à Pitre, avec escales à Saint Pierre et Basse Terre et Fort de France, à Cayenne, en Guyane avec escales à Sainte Lucie, Saint Vincent, la Grenade, Port of Spain (Trinidad), Demerara-Georgetown en Guyane Anglaise, et Suriname. A cette époque, le port de Fort de France doit importer des quantités importantes de charbon pour l’approvisionnement des navires à vapeur. Je surveille Le Cacique qui est à quai pour « faire son charbon », depuis quelques heures. La manutention du charbon, à bord, s’effectue par portage de paniers. Le travail est pénible pour ces dizaines d’hommes et de femmes qui montent à bord du Cacique, les « charbonnières » comme on les nomme, franchissent la passerelle dans les deux sens, paniers sur la tête, entre le charbon et le navire à quai. Notre Compagnie possède en 1877, le quasi monopole des installations portuaires de la baie des Flamands à Fort de France. Sur le quai, prêt à embarquer sur le Cacique, se présentent bientôt, artisans, fonctionnaires, et militaires, à destination de Saint Pierre, l’autre ville importante de l’ile plus animée et commerçante que Fort de France, la ville administrative,  à l’atmosphère monotone d’une ville coloniale un peu guindée. Je suis capitaine à bord du Cacique jusqu’en fin d’année 1877. Je reste environ un mois à Fort de France et profite de ces quelques jours pour découvrir l’ile.

Les escales dans les ports de Port of Spain, ou  Suriname, retenaient toujours mon attention. En effet à chaque escale nous croisions des navires transportant des centaines d’émigrants Indiens, répartis en castes au sein des iles. Puis c’était la Guyane, qui avait mauvaise presse au sein de l’émigration Indienne, considérant la vie et le travail désastreux pour la santé des « coulis ». Venait ensuite l’escale au port de Trinidad, souvent encombré de sac de riz, de bananes plantain et de racines, de tonneaux de mais, de pois, à destination d’autres ports de l’ile. Quelques bateaux partaient avec des chargements de noix de coco de Coromandel, ou de fèves de cacao. Le cacaoyer, nommé l’arbre au chocolat, représente la principale production de l’ile en 1878.

De mes escales à Cayenne, mes souvenirs sont intacts tant mon premier voyage en mer des Antilles m’a « marqué ». J’ai connu pour la première fois le port de Cayenne, lorsque l’Amazone, en février 1863, accoste avec à son bord 500 forçats, je suis parmi les membres d’équipage. C’est, capitaine à bord du trois mâts le Navigateur, qu’en janvier 1866 je débarque une nouvelle fois à Cayenne. Aujourd’hui, Cayenne reste dans ma mémoire comme le lieu d’incarcération des condamnés aux travaux forcés, plus d’un millier de forçats sont internés par le régime pénitentiaire Français. Comment ne pas oublier ces centaines d’ immigrants Indiens d’Asie et Africains qui venaient en Guyane en quête d’ emploi dans les mines d’or, j’ai su plus tardivement que  7 sur 10 décédaient dans les premiers mois après leur arrivée.  Je me rappelle de la même façon, ces milliers de chercheurs d’or ou orpailleurs illégaux, qui à partir de 1873, remontaient la rive droite du Lawa dans le haut Maroni, dans la région de Maripasoula.

De février à avril 1878, la compagnie m’affecte, en qualité de lieutenant, sur le Guyane, qui transporte, en première classe, 38 passagers et 21 en deuxième classe. Sa vitesse est de 13 nœuds, pour une longueur de 73 mètres, 8 mètres de large et 660 tonneaux. Puis à nouveau, pendant deux mois, je commande le Cacique.

Le 1er juillet 1878 le steamer  transatlantique Saint Germain parvient à Colon. Le 9 juillet j’embarque en qualité de lieutenant à bord du Saint Germain. Le 10 juillet le capitaine Offret accoste à Pointe à Pitre pour « relever » le même jour pour les Indes Occidentales (ancienne appellation des colonies françaises en mer des Caraïbes) puis Saint Nazaire, par Santander.

Le 23 juillet le Saint Germain entre en rade de Saint Nazaire.

Nouvelle affectation, en qualité de lieutenant, le 7 aout, à bord du Washington, sous un vent de Nord-Ouest et par forte brise, le capitaine Le Gigan conduit le navire vers la mer au départ de Saint Nazaire à destination de Colon.

Le 21 aout 1878 le steamer Washington accoste au quai de Pointe à Pitre et repart le jour même pour Colon.

Le 5 septembre 1878, le paquebot Olinde Rodrigues entre dans le port de Saint Nazaire par temps brumeux. Il  vient d’être acheté par la Transat et placé sur la ligne de Colon dès ce mois de septembre. J’embarque à bord au départ de Saint Nazaire et suis à nouveau de retour à Saint Nazaire le 12 septembre.

Le 13 septembre 1878, Le Ville de Saint Nazaire, capitaine Corlois,  quitte Saint Nazaire. Le Saint Nazaire parvient à Saint Thomas le 8 octobre, croise l’Olinde Rodrigues et repart pour les colonies. Nous arrivons à Santander en provenance de Colon le 17 novembre « avec malle ». Le capitaine Galland manœuvre dans le port de Saint Nazaire le 6 décembre 1878.

Le 23 janvier 1879, le Ville de Brest, capitaine Durand, arrive à Saint Nazaire en provenance de Pauillac. Je suis  bord, lieutenant, au départ de Saint Nazaire le 3 février.

Le 21 février le Ville de Brest est mis en mer par le capitaine Durenne à destination de Veracruz. Le steamer transatlantique arrive le 7 mars à Saint Thomas et repart le 8 mars pour Veracruz. Le 26 mars, le Ville de Brest arrive à la Havane en provenance du Mexique. Arrivée en terre cubaine, l’escale à la Havane me permet, pendant quelques heures, de remonter l’avenue du Port, en passant par la calle Cuba,  le palais Pedroso, puis je rejoins la place de la Cathédrale, magnifique dans son style colonial. La présence militaire Espagnole se fait sentir à l’approche du port. Cuba, entre 1860 et 1878, est confronté à  un climat insurrectionnel  presque permanent.



Le Ville de Brest arrive à Saint Thomas le 1er avril, capitaine Traub. Le 16 avril Le Ville de Brest accoste au quai de Saint Nazaire.

Le 6 mai le Ville de Brest met à nouveau le cap pour Colon.

Le 19 mai nous arrivons à Pointe à Pitre, puis c’est l’escale à Colon. Je reste quelques instants sur le gaillard d’avant du steamer, les premières lueurs apparaissent sur les montagnes environnantes, découvrant un épais manteau de verdure, où se mêlent vapeurs de brouillard roses et lambeaux de nuages.

Pointe à Pitre

La vaste baie d’Aspinwall, est la devant mes yeux, Colon se dévoile, une nouvelle fois, et ressemble à toutes ces cités américaines construites à la hâte, en quelques années, des maisons de dimensions inégales, proches de la plage marécageuse. A proximité de notre steamer se balancent quelques goélettes, bercées par les flots. En même temps que le steamer s’approche du quai, je découvre les jetées encombrées de fûts, de houille, de bûches, à proximité un vieux bateau, termine sa vie, démâté et recouvert de coquillages et de moisissures vertes. Un trafic incessant se déroule entre le quai du chemin de fer et les navires, des hommes par centaines transbordent des quantités innombrables de marchandises venant d’Europe. Un noir se dirige vers moi et me guide toute la matinée dans les rues de Colon, ville insalubre, dont la rue principale grouille de monde, d’enfants nus dans la poussière, d’innombrables ordures jonchent le sol, des singes, des perroquets, des perruches crient à qui veut les entendre, c’est une bien bizarre cohue que je découvre……Nous ne sommes pas très loin de Porto Bello, l’ancienne ville Espagnole d’où les galions partaient gorgés de l’or du Pérou. Nous repartons de Colon le 2 juin 1879 pour Saint Nazaire.

Rio Magdalena


Lagune de Savanilla

Nous longeons la côte Colombienne et ses mystérieuses forêts tropicales, à destination de Savanilla-Barranquilla. Nous remontons le Rio Magdalena, avec beaucoup de précautions, évitant les bancs de sables, sur la côte de nombreux palétuviers, nous cachent quelques huttent misérables et parvenons dans la grande lagune de Savanilla. Nous découvrons de longues rangées de huttes couvertes de feuilles, en bordure du delta. Les produits exportés, café, tabac et écorce de quinquina, parviennent de Barranquilla à quelques encablures du port de Savanilla. Le 22 juin le Ville de Brest rentre dans le bassin de Saint Nazaire, commandé par le capitaine Traub.

Le 10 juillet le Washington, sur lequel je dois embarquer, arrive à Saint Nazaire en provenance de Veracruz, capitaine Le Gigan. Le 21 juillet le Washington quitte Saint Nazaire, capitaine Le Gigan, par vent Nord-Ouest et bonne brise.


Le 4 aout nous parvenons à Saint Thomas et repartons le 5 pour « la Veracruz ». Le 28 aout, le Washington quitte Saint Thomas pour Saint Nazaire. Nous entrons en rade à Saint Nazaire le 10 septembre 1879.

J’effectue mon dernier voyage au long cours  à l’âge de 39 ans



Le mardi 21 octobre 1879, le Ville de Saint Nazaire, capitaine Galland,  quitte Saint Nazaire. Le superbe steamer qui embarque, suivant les périodes de l’année, environ 500 à 600 passagers, transporte, aujourd’hui, à peine 250 personnes. J’aperçois à l’embarquement  un groupe de religieux. Je les rencontre peu après la sonnerie de la cloche qui annonce le diner. Dans la magnifique salle à manger, 150 convives discutent avec animation. J’apprends que les quatre prêtres se rendent à Trinidad et Cayenne. Je perçois leur émotion, car ils partent pour plusieurs années. D’autres passagers, plus bruyant sont peut-être en quête de fortunes diverses…. Je me rends sur le pont, la nuit tombe sur Saint Nazaire, le ciel est sans nuage, la mer est lisse comme glace. Un coup de canon retentit vers 11 heures donnant le signal de départ.


Après une journée éprouvante, où nombreux sont ceux qui sont restés une partie de la soirée dans un fauteuil, certains hésitent à prendre même une simple soupe, mal de mer ou souffrance de quitter les familles….. Je ne sais exactement. Nous quittons le golfe de Gascogne. Le soir une dame de Cayenne à chanté, et les prêtres ont chantés un cantique. Les passagers sont presque continuellement sur le pont, les cabines exigües n’offrent pas grand confort. Le pont devient ainsi un lieu de causeries. A l’extrémité du pont, un groupe de militaires raconte des faits de la guerre de 1870. Régulièrement le maître d’hôtel nous apporte quelques glaçons pour rafraichir une eau particulièrement tiède. Il est minuit, peu de passagers dorment encore, la chaleur est étouffante. Quelques jours de navigation, on aperçoit au loin un point blanc, c’est une petite ile, la Désirade, puis les Açores. Nous parvenons à Pointe à Pitre. Le steamer accoste et stationne jusqu’au ce soir. De nombreux canots se balancent autour du navire. Je descends dans l’un d’eux. Une chaleur de plomb nous accueille. Les chapeaux Panama circulent, je me dirige immédiatement vers le premier hôtel venu est  demande une « bière à la glace ». Quelques heures après certains passagers prennent leurs derniers repas à bord du Ville de Saint Nazaire, pour prendre le Cacique, que j’ai commandé par deux fois. pour aller vers Sainte Lucie, Trinidad, Demerara, Surinam ou Cayenne. Demain notre steamer quitte Pointe à Pitre.


Saint Lucie

Nous parvenons le 4 novembre à Saint Thomas, et départ le 5 pour Veracruz. Le 21 novembre, nous quittons la Havane.

Le 11 décembre, escale à Santander, puis le 12 décembre, le capitaine Galland accoste au quai de Saint Nazaire.


La Compagnie Générale Transatlantique
 

La compagnie est créée en 1855 par les frères Pereire à Granville sous l’appellation Compagnie Générale Maritime. En 1860, la compagnie s’engage avec l’État en signant une convention postale. La compagnie s’engage à assurer le trafic de passagers pendant 20 ans sur les lignes le Havre -New-york, Saint Nazaire - Panama, la Guadeloupe, le Mexique, et Cayenne en Guyane. La compagnie s’engage dans la construction navale à Saint Nazaire. La fin des années 1860 marque une évolution technique importante. Les bateaux abandonnent la roue à aube, pour l’hélice ce qui accroit le gain en passagers et en marchandises.
Sur le registre matricule, de 1883 à 1928, la carrière de Pierre arrive à son terme. Sa dernière affectation importante est 2ème lieutenant à bord du Ville de Saint Nazaire, fin 1879. A partir de 1883 et jusqu’en juin 1894, Pierre est patron à bord des canots le Carpe et le Fricotin amarrés à Nantes.



Pierre aura ainsi navigué, après une période militaire de trois années, sur des navires à voiles trois mâts, de 1865 à 1874, dont un brick en 1869, puis sur des navires à vapeur, jusqu’en 1879, et enfin de 1883 à 1894, patron sur des canots au cabotage.




Les trajets des divers Lucie

Selon les périodiques Australiens entre 1863 et 1870

1) - Un navire Lucie de 283 tonneaux est en service entre 1849 et 1865 armé par F. Gicquel, capitaine Lemauf. Le navire effectue 5 campagnes dans l’Océan Indien pendant la période.

Février 1863, dans le port de Gorée - Afrique - le trois mâts Lucie, capitaine Fourcade, jaugeant 235 tonnnes et ayant 5 hommes d'équipage, veant de Marseille, est chargé de diverses marchandise.

2) - La liasse 3P 589 aux archives de Nantes fait référence à un premier Lucie mis en service en 1857 et naufragé le 15 septembre 1866 au large de Montévideo - Uruguay, avec à bord le capitaine Briand Lucien Jérôme. Le Lucie possède 9 propriétaires (dont le capitaine Briand) et jauge 243 tonneaux, doublé en cuivre, il mesure 28 mètres de longueur, 7m09 de large et 4m52 de hauteur. Le navire est francisé le 20 janvier 1858 à Nantes. le 18 janvier 1865 est amarr au port de Cardiff. En février 1864, il quitte Nantes pour la Réunion, transite par Calcutta en octobre 1864, puis passe par le Havre en mars 1865.

Nantes - Les Quais - les trois-mâts

3) - Un autre trois mats Le Lucie est immatriculé à Bordeaux en 1868. Sa campagne débute le 15 mars au départ de Bordeaux à destination de l’Océan Indien, avec à son bord le capitaine Pierre Dutruch. Dans The Sydney Morning Herald de juillet 1868, on peut lire : « Le Lucie, avec à la barre le capitaine A. Dutruch,  quitte Bordeaux, à destination de Melbourne avec 300 bouteilles de Brandy, 652 boites de sardines, 875 caisses de vin, 61 caisses de Champagne, 10 barils de prunes ».


Port de Melbourne

Le Lucie, immatriculé à Bordeaux, est aperçu le 14 avril 1869 au large de l’Indonésie, dans le port de Batavia, transportant du sucre pour la Victoria Sugar Company de Melbourne, puis à Port de Galle au Skri Lanka.

On note dans The South Australian Advertiser Adelaïde du 20 juillet 1868, «le bateau Français Le Lucie est finalement arrivé hier à Western Port Bay. Une grande angoisse s’était fait sentir dans les bureaux de l’assurance. En effet de nombreux navires avaient été détruits vers l’ile Maurice, la météo étant très sévère. On ne savait pas si Le Lucie était en provenance des Iles Bourbon ou en provenance de Bordeaux, et s’il avait accosté au Cap Schank ». Il s’agissait bien du Lucie immatriculé à Bordeaux.

1869 - Par le télégraphe transatlantique du 11 avril, le navire Le Lucie, capitaine Didier, en provenance de Macao et du Havre est arrivé  à la Havane avec 326 coolies sur 350 qu’il avait embarqué en Chine - tout ce passe bien à bord.

Les chantiers navals de Chantenay au XIXème siècle

En 1866, 23 navires sont construits aux chantiers de Nantes-Chantenay. Le Lucie est réalisé par P. Guibert et Y. Blondet. Auguste Guibert est l’un des principaux constructeurs. L’occupation des chantiers dura 150 ans.

Les chantiers font vivre un nombre important de sous-traitants dont la principal source d'activité et de revenus provient de la construction  navale. En 1866, le quart des ouvriers nantais travaillent directement ou indirectement pour les chantiers. Ils sont cordiers et gréeurs, cloutiers, constructeurs de navire, forgerons, fondeurs mécaniciens, serruriers et charrons, tonneliers ou voiliers. Les chantiers durant tout le siècle attirent une main d' œuvre considérable à la recherche d'un emploi. Leurs conditions de vie sont souvent très difficiles : des contrats à la journée, des taux journaliers très faibles : en 1866 le salaire d'un ouvrier varie de 35 à 45 centimes par jour.
 

Le commerce Nantais au XIXème siècle


Le port de Nantes est, au XIXème siècle, l’un des ports Français qui reçoit le plus de navires de commerce. Les principaux échanges s’effectuent avec les colonies, et plus particulièrement avec l’Océan Indien. Les iles Bourbon, devinrent à leurs tours des ports d’armements. La majeure partie du commerce Nantais est tournée vers le sucre. La flotte de voiliers Nantais absorbe à elle seule les trois quarts des activités maritimes de l'Europe.

Le port de Bordeaux - Les trois-mâts

Le port de Nantes-Saint Nazaire arme le Lucie en 1866  pour la Réunion et l’Australie. Les sucres de la colonie y trouvent un placement rapide. Ils forment presque exclusivement les cargaisons de retour, loin devant le riz, le coton, l’huile de coco, poivre, café. Les expéditions vers les colonies, les Mascareignes, et principalement l’ile Maurice, sont constituées en grande partie de spiritueux en provenance de Bordeaux, vins, eaux de vies mais aussi de tissus, ouvrages en peau et en cuir, et conserves diverses. Les ports de Bordeaux et Marseille participent, seuls à l'envoi des liqueurs. Les vins de Bordeaux étaient très appréciés par toutes les couches sociales des colonies. Voir le voyage d’un autre navire Le Lucie, immatriculé à Bordeaux en mars 1868.

Les voyages sont rarement directs. Les bâtiments en provenance du Bengale, chargeaient du thé, du sucre et du café, avant de se rendre à Singapour ou à Batavia - le Lucie, immatriculé à Bordeaux, le 14 avril 1869.

Canal de Suez

Jusqu'à la fin des années 1860, l’armement Nantais maintient sa supériorité dans l’Océan Indien. L’âge d’or du commerce sucrier Nantais débuta sous le second empire et perdura avec quelques crises, jusqu’en 1882. Puis le déclin intervient à partir de 1883 et ce jusqu'à la fin du XIXème siècle. L’économie Nantaise, trop spécialisée dans les flux sucriers, supporte difficilement la chute de la production sucrière coloniale. L’ouverture du Canal de Suez, en 1869, permettant d’éviter le contournement par l’Afrique, détourne le trafic vers la Méditerranée, et vers Marseille.

Le sucre des Iles Mascareignes, Maurice, Réunion


Les dispositions législatives des années 1815-1830 concernant  l’abolition de la traite des esclaves, compliquent l’exercice de ce trafic auquel participent activement les négociants Nantais. Le commerce esclavagiste devenant de plus en plus risqué, une partie importante des négociants Nantais s’orientent vers l’activité sucrière. Cette reconversion est relativement aisée grâce à l’essor de la raffinerie nantaise avide de sucre brut.

La croissance de la production sur l’ile de la Réunion reste importante jusqu’au milieu des années 1840. La Réunion devient, sous le second Empire, le premier producteur de sucre colonial français avant de connaître une double crise, agricole et commerciale, à partir du début des années 1860.


La métropole, débouché naturel du sucre Réunionnais, est saturé de sucre de betterave. C’est la raison pour laquelle l’armateur du Lucie en 1867 préfère vendre la cargaison de sucre en provenance de l’ile de la Réunion sur le marché Australien.


Le Lucie, parvient à la Réunion en juillet 1867 soit au tout début de la campagne sucrière qui débute tous les ans en début de saison fraîche. Les coupeurs de canne font leur apparition. Ils coupent les tiges de canne au ras du sol avec un coutelas, éliminent les feuilles et la partie supérieure de la canne. Ils découpent ensuite les cannes en tronçons de 1 mètre. Une canne à maturité peut mesurer jusqu’à 5 mètres de haut. Les tronçons sont ensuite regroupés en paquets de 10.
Chaque jour les coupeurs de canne peuvent entasser près de 20 piles contenant chacune 25 paquets de 10 tronçons de canne. Les piles ne doivent pas attendre trop longtemps avant d’être utilisées. C’est pourquoi elles sont généralement ramassées par des charrettes à bœufs et emmenées vers les distilleries pour être transformées en sucre, rhum et alcool.

La transformation de la canne à sucre en pain de sucre

Les étapes de la fabrication avant la mise en sacs sont nombreuses. On commence par presser les cannes, afin d’obtenir une masse aplatie, écrasée appelée « gabasse ». La gabasse sert de nourriture pour les animaux et de combustible pour les foyers. Le jus obtenu est versé dans une chaudière, préalablement nettoyée des passages précédents, doit passer par cinq récipients, avec phase d’écumage, avant de s’épaissir. La cristallisation intervient par refroidissement du sirop dans de grands bacs. Le pain de sucre obtenu pèse entre 15 et 20 kg et, et, est égoutté pendant une vingtaine de jours. Les pains sont déposés au soleil puis passés à l’étuve où ils finissent de sécher. Les pains sont ensuite concassés et déposés dans des barriques ou des sacs.
Dans l’Union Bretonne - 2ème quinzaine de mai 1868 on peut lire « Voie de Suez - Exportations de sucres, les quantités considérables de sucres en magasin, lors du coup de vent du 12 et 13 mars avaient fait naître de vives appréhensions relativement à l’importance des avaries qui avaient pu s’y produire. Tout s’est borné à quelques dégâts, principalement dans les dépôts de Saint Pierre. On s’est empressé de sécher la marchandise touchée. A part Le Lucie et l’Albatros, qui n’ont pas reparu, il n’y a eu à bord des navires en charge que 1600 balles avariées appartenant au Sparfel ».



Le capitaine Pierre Neyssensa et la tentation de l’engagisme




L’article décrit les divers voyages effectués par Pierre Neyssensa dans l’océan indien avant la disparition fatale de son trois-mâts le Lucie en mars 1868.

Les disparus de l’âge d’or de la marine Nantaise du 19ème ont laissé leurs empreintes sur les rôles de bord des navires et sur Internet, site Geneanet.

Les patronymes des marins, présents aux côtés de Pierre, sont répertoriés dans l’étude afin d’en conserver le souvenir, mais aussi ceux des passagers dont j’ai essayé de retracer les parcours, et ainsi fournir une aide précieuse aux généalogistes. Dans la mesure du possible j’ai contacté les descendants des membres d’équipages des navires et passagers.

L’ouvrage « Vie quotidienne des marins Nantais au 19ème » de Monsieur Xavier Leroy, en 2015, expose très justement le vécut de ces capitaines :

« Ce ne sont pas leurs modestes fortunes chèrement acquises et vite fondues au soleil qui nous impressionnent. Comme leurs contemporains, nous restons surtout admiratifs de ces quasi-surhommes capables de dompter ces immenses machines à voiles dans les pires conditions de mer, de vent et de tempêtes, de partir sillonner toutes les mers du globe et de visiter une quantité de pays exotiques, d’affronter des risques considérables pour leur santé et leur vie, de s’absenter de leur village et de leur famille pendant de long mois, parfois même des années, de faire leur commerce dans tous les ports du monde, dans toutes les langues, dans toutes les monnaies.

Ils étonnaient leurs contemporains par l’étendue de leurs expériences, de leurs connaissances, de leurs aventures et de leurs compétences commerciales, géographiques et financières. Ils admiraient la réussite et l’ascension sociale de ces self-made-mans.

Ils étaient des hommes courageux, entreprenants, pragmatiques, pleinement responsables de leurs actes et de leurs décisions car la moindre erreur pouvait leur être fatale ».

C’est à l’âge de 15 ans que Pierre Neyssensa prend la mer à bord du brick le Sombreuil en aout 1855 à destination de Montevideo - Uruguay et s’apprête à vivre une extraordinaire aventure humaine, maritime et commerciale, entre fortunes de mer et destins d’équipages.

Malheureusement le Sombreuil fait naufrage après 2 mois et 28 jours passé en atlantique sud, en novembre 1855, le mousse Pierre est rapatrié par la corvette militaire l’Eurydice, pour Toulon, puis Nantes en avril 1856.

Pierre n’a pas conscience, que bientôt, il relatera la prestigieuse épopée des marins et capitaines qui passèrent les caps de Bonne-Espérance, au large de l’Afrique du Sud, et Leeuwin, à l’Ouest de l’Australie.


1er voyage en Océan Indien - 1856


En mai 1856, Pierre quitte Nantes pour la première fois à destination de l’océan Indien ; l’ile de la Réunion et l’ile Maurice à bord du trois-mâts le Soundary « monté d’un équipage composé de 2 officiers, 2 officiers mariniers, 3 officiers non mariniers, 6 matelots, 6 novices, et 1 mousse, soit 20 hommes d’équipage ». Le Soundary est un trois-mâts en bois de chêne, chevillé en fer galvanisé, 485 tonneaux, doublage en cuivre, le tirant d’eau lège est de 16, c’est à dire sans cargaison. Le tirant d’eau varie en fonction de la charge transportée et correspond à la distance verticale entre la flottaison et le point le plus bas de la coque, généralement la quille.

La gabare Alfred-Marie, patron Bureau, prend en charge le trois-mâts cale Chaurand pour son départ le 10 mai.

La cale Chaurand rappelle le nom de l’une des anciennes familles Nantaises intimement liée à la traite des noirs dans les années 1772 - 1785. Les bâtiments de traite des Chaurand fréquentent le Mozambique et la Côte d’Or, ainsi sont repérés les marchés d’esclaves, la majorité des cargaisons humaines est livrée vers les exploitations des armateurs de Saint-Domingue.

Extrait : Les armements négriers au 18ème siècle d’après la correspondance et la comptabilité des armateurs et des capitaines nantais - Dieudonné Rinchon en 1955.

Le navire doit mesurer environ 40 mètres de longueur, environ 8 mètres en largeur, une hauteur de cale d’environ 5 mètres. Le Soundary devait ressembler au trois-mâts barque le Némésis construit en 1875.


Le Soundary devait ressembler au trois-mâts barque le Némésis


A 16 ans, Pierre est le plus jeune marin à bord. Le trois-mâts, au départ de Nantes, parcourt les 60 km qui le sépare du nouveau port de Saint-Nazaire, puis une fois en pleine mer se trouve sous voiles en quelques minutes, et, bientôt par vent arrière, file vers le sud.






L’équipage du Soundary


Pichaud Marie Nicolas originaire de Paimboeuf, 53 ans, est le capitaine du trois-mâts. Les termes de l’engagement sont les suivants :

« Le capitaine s’engage à payer 3 mois d’avance demi-gages en rivière, gages entiers à partir de Pierre Percée jusqu’au retour du navire au dit-lieu. L’équipage s’engage à suivre le navire dans toute sa destination légale jusqu’à sa rentrée dans un port de France ».




Devin Jean Adolphe, originaire de Nantes, 34 ans, capitaine en second, 1 mètre 80

Comme Félix Mathurin, né à Nantes, 33 ans, Maitre d’équipe, 1 m 60

Marion Alexandre Pierre, 48 ans, né Loire Inférieure, maître-charpentier, 1 m 70

Desprets Victor Henri, né dans le Nord, 25 ans, cuisinier, débarqué de gré à gré à Port-Louis

Paulin Atour, 22 ans, né à Pointe à Pitre en Guadeloupe, Maître d’hôtel

Lemauf Jean-Marie, 17 ans né dans la Loire, muletier

Petit Charles Olivier, 36 ans, né à Nantes, matelot de 1ère classe, 1 m 60

Chereaud Jean Louis, 36 ans, né à Guidel dans le Morbihan, matelot de 2ème classe, 1 m 58

Lucas Alexandre, 31 ans, né à Bouguenais dans la Loire, matelot de 2ème classe, 1 m 60

Bruzac Nicolas Pierre, 27 ans, né à Pontaven dans le Finistère, 1 m 59

Le Ray Jean-Marie, 32 ans, né à Réguiny dans le Morbihan, novice, 1 m 55

Kdonis Pierre Marie, 20 ans, né à Port-Philippe dans le Morbihan, matelot, 1 m 56

Le Duc Jean-Marie, 18 ans, né à Batz en Loire Inférieure, novice

Macé Nazaire Pierre Marie, 17 ans, né à Saint-Nazaire

Papin Arnaud, 17 ans, né à l’ile d’Ieu en Vendée, novice

Fleurency Félicité Gabriel, né à Saint-Nazaire, 17 ans, 1 m 35, novice

Bavoillot Lucien Henry, 18 ans, né à Semur en Côte d’Or, novice

Neyssensa Pierre, 16 ans, né à Nantes, mousse picotin passé novice à bord du trois-mâts.

Garin Louis Marie, 18 ans né à Le Quillio, Côte du Nord, mousse


Le capitaine est muni d’un certificat du directeur de la Poste aux lettres, un certificat de visite du navire délivré le 29 avril 1856, un certificat de visite du coffre de médicaments délivré le 23 avril 1856, une expédition de l’instruction sur les actes de l’état civil, le code des signaux et un livre de punition, le navire ne porte pas d’armes et munitions.

Le navire quitte Nantes chargé de « diverses marchandises » et après 4 mois de traversée, parvient à Port-Louis, Ile Maurice, le 27 aout 1856. Pierre perçoit une avance de quatorze francs, pour une solde de 30 francs mensuels.







Les 20 hommes d’équipage vont côtoyer 14 passagers montés à bord, aujourd’hui référencés pour la plupart sur le site Geneanet.

Gilbert, 22 ans, est natif des Etats Unis d’Amérique, embarqué à Nantes le 6 mai 1856 et débarqué le 27 aout 1856 à Maurice, « passager sur le gaillard d’avant ayant droit aux denrées de l’équipage ».

Monsieur Menagé Furcy, âgé de 43 ans, né le 8 mars 1813 sur l’ile Maurice à Flacq, 7ème d’une fratrie de 15 enfants, fils de Jean-François Hippolyte Menagé, planteur, et Marie-Jeanne Durocher, originaire de Saint-Malo en Ile et Vilaine. La famille Menagé est originaire de Saint-Malo, dont le plus ancien membre, Pierre dit La Pierre le Mesnager, naquit vers 1710 à Dol de Bretagne.

Furcy est accompagné de son épouse Emilie Lafargue, et ses deux enfants, Emilie âgée de 12 ans et Anais, âgée de 11 ans, et « d’une femme de ménage », Marie Reine Girard, née le 27 août 1819, à Lanouée dans le Morbihan, épouse d’Henry Petithomme, habitant ensemble à Lorient.

Pauline Elvire Desvaux, l’épouse de Jean-François Arthur Menagé, l’un des frères de Furcy, est accompagnée de ses deux enfants et « d’une femme de ménage », Mary Odie, peut-être originaire de Nosy-Be à Madagascar.

Madame Françoise Alexandrine Louise Gardé, âgée de 38 ans, native de Port-Louis, fille de Nicolas Gardé, officier de la marine marchande, né à Pondichéry, Inde. La famille Gardé est originaire de Laon dans l’Aisne. Louise est épouse d’Auguste Charles Marie Bellet, enseignant, originaire de Loire Atlantique. En provenance de Paris, Louise embarque le 10 mai1856 avec sa domestique, Françoise Jeanne Marie, mentionnée « femme de couleur » âgée de 24 ans.

François Dominique Gourdel, 64 ans, médecin, officier de santé, né à Lorient en 1793, embarque le 10 mai accompagné de son épouse de Marie-Antoinette Dunois. Le père de Marie, Pierre-Marie Dunois, né vers 1725 à Paris, fut chirurgien des vaisseaux. Marie naquit à Pamplemousses sur l’Ile Maurice vers 1810.

Embarqué le 16 mai à Paimboeuf, Armand Bechet, 24 ans, propriétaire, étudiant en pharmacie, puis droguiste, né le 9 aout 1833 à Port-Louis, en provenance de Paris. Il décède en 1868, à l’âge de 35 ans. Son père, Marie-Joseph, négociant, était originaire de Saint-Malo. Quant au père de son épouse, Marie Joséphine Jeanne Dumontel, de profession confiseur-distillateur, il naquit à Riom, Puy de Dôme en 1810.

Désiré Martin, âgé de 30 ans, originaire de Maurice, commerçant, embarqué pour le voyage retour à Maurice le 25 octobre 1856 et débarqué à Nantes le 6 janvier 1857.

Le navire repart le 25 octobre 1856, avec une cargaison de « sucre de Maurice » à destination de Nantes, et 19 hommes d’équipage.

Le 8 janvier le Soundary « a mis aux quatre amarres » à Paimboeuf et termine son déchargement le 16 janvier 1857. Le 27 janvier le capitaine Pichaud est à bord du Soundary sur la rivière Loire, pour bientôt, un nouveau départ pour la Réunion.


Le voyage de Nantes à la Réunion


Les navires, sauf exception, ne peuvent couvrir la distance Nantes la Réunion d’une traite.

Il est donc nécessaire d’effectuer des escales afin de ravitailler l’équipage et les voyageurs en vivres. Les navires quittent donc Nantes sur lest ou avec « diverses marchandises ». Ils peuvent aussi charger d’autres cargaisons dans d’autres ports d’escales, comme celui de Cardiff avec de la houille pour les raffineries de sucre, ou Bordeaux avec des tissus, des vins et ouvrages en peau de cuir. Le lest, ou charge, au départ de Nantes, peut-être composé de briques, ou de houille au départ d’Angleterre, ou autres matières lourdes, pierre, sable, fer ou cuivre en provenance d’autres colonie. Le lest est placé en fond de cale de façon ordonné afin que le navire soit bien équilibré.

Le Soundary a vraisemblablement embarqué des mules peut-être chargées dans un autre port d’escale comme celui de Montevideo en Uruguay.

Le muletier Jean-Marie Lemauf, 17 ans est embarqué à Nantes et perçoit 10 francs à son arrivée à Maurice, 50 francs mensuel et une avance de 130 francs au départ de Nantes.

Le métier de muletier à bord est particulièrement difficile et nécessite l’aide des autres matelots.

Si le Soundary transporte des mules, outre la présence d’une grande quantité de balles de foin, de grandes barriques d’eau, le tout laisse en fait peu de place pour d’autres marchandises. Les mules tiennent une place essentielle dans les transports de Nantes vers l’Océan Indien. Utilisés pour le labour, les mules étaient très adaptables aux conditions climatiques difficiles de l’ile.

Entre 1848 et 1856 le nombre de mules et mulets exportés ne cesse d’augmenter pour un prix avoisinant les 1500 francs par tête. Et lorsque la place le permet le Soundary peut embarquer dans ses cales « des conserves de poisson, viande, légumes, les salaisons, les graines et farines de céréales, le sel, le saindoux, le maquereau, la morue et le beurre salé constituaient les produits alimentaires expédiés par le port de la Loire dans l'Océan Indien ». Thèse de Monsieur S. O. Kane en 1992.

En octobre 1856, le capitaine Pichaud fourni à l’équipage, 100 cigares et 2 paquets de tabac au muletier, de l’argent pour le maître d’hôtel pour le blanchissage et l’achat d’effets, quant à Pierre Neyssensa, il reçoit 4 paquets de tabac et 2 savons. Le capitaine Pichaud choisit pour les repas des 34 passagers et matelots, le maître d’hôtel Atours Paulin, 22 ans et le cuisinier Desprets Victor, 25 ans.

Le trois-mâts « Soundary » affrété par l’armateur Le Cour et Compagnie effectua de 1846 à 1871 de très nombreux voyages à destination de l’Océan Indien et fit partie des 569 trois-mâts long-courriers qui sillonnèrent l’Océan Indien entre 1825 et 1884. « Les intérêts de la société Le Cour y étaient très considérables »  ….  Thèse de Monsieur S. O. Kane en 1992.

Pendant les cinq années passées les échanges commerciaux croissent, en parallèle les naufrages et avaries augmentent, 472 long-courriers sont perdus dont 123 condamnés sans avoir fait naufrage, 101 ne donneront jamais de leurs nouvelles. En 1856, 675 navires sont perdus, deux navires par jour, dont 9 long-courriers issus du port de Nantes. En 1856, ceux ne sont pas moins 81 navires de tous ports qui ont parcouru l’Océan Indien. Réf presse : Phare de la Loire février 1857.

1856, en cette année, 12 854 indiens sont introduits sur l’Ile Maurice, 8102 hommes, 2745 femmes, et 2007 enfants, 325 africains venus d’Ibo, 632 Arabes venus d’Aden ….

Les navires en toute liberté jusqu’en 1853 peuvent transporter des coolies sous contrat de 5 ans. Puis pendant 5 années l’émigration vers la Réunion est réglementée et confiée à une société d’émigration Réunionnaise.


2ème voyage - 1859


Le deuxième voyage de Pierre dans l’Océan Indien se déroule à bord du trois-mâts le Jean-Victor, trois-mâts construit en 1855 à Nantes, 416 tonneaux, pour le compte de l’armateur Nantais Gabriel Lauriol - dont « la réussite provient pour une large part du négoce, de la traite, et du commerce du sucre » - Archives départementales Loire Atlantique dans Portrait d’un armateur et négociant.

Pierre est âgé de 19 ans et découvre un trois-mâts d’à peine 4 ans. « Les nombreux navires de la compagnie Lauriol sont connus pour leur exemple de longévité, ce qui témoigne de la qualité des bâtiments ». Source Archives Nantaises - Gabriel Lauriol

Le navire, armé à Saint-Nazaire, sous le commandement de Jean-Marie Petitbon, âgé de 30 ans et originaire de Paimpol, est à destination de l’ile Maurice et Sumatra. « Les salaires de l’équipage courent du 25 janvier 1859 au 19 mars 1860 ».


Jean-Marie Petitbon



L’équipage du Jean-Victor


L’équipage se compose de 3 officiers, 1 officier marinier, 2 officiers non mariniers, 8 matelots, 2 novices et 1 mousse soit 17 hommes d’équipage.

Issu d’une famille de marin, le capitaine Jean Marie Petitbon, dont le père Yves fut, tour à tour, batelier, marin, marchand, et armateur, perçoit mensuellement 200 francs, ainsi qu’une avance de 600 francs pour 3 mois en mer.

Jean-Adolphe Devin, 1 m 82, né en 1823, est capitaine en second.

Pierre Neyssensa est débarqué le 17 novembre 1859, sans solde, et passe sur l’Orion, validé par le Consul de France, nommé « matelot à 50 francs par mois à Maurice le 7 mai 1859 ».

Michel Chauvet, 31 ans, né en Loire-Inférieure, matelot de 1ère classe, 1 m 60, débarqué à Maurice le 11 novembre 1859, non soldé, passé sur le François-Arago.

Louis Fredouillard, 29 ans, né à Paimboeuf, matelot.

Le cuisinier Portugais, Jand José, 25 ans, né au Cap-Vert.

Olivier Robie, domicilié à Pleumeur, né en 1820, charpentier.

Eugène Valentin Bernard, 30 ans, Vendéen, matelot de 2ème classe, passé sur l’Osiris le 10 novembre 1859.

Joseph Quérard, né à Pellerin, 37 ans, matelot.

Jean Erraud, 26 ans, né à Dax dans les Landes, matelot, débarqué à Maurice le 15 novembre 1859, non soldé, passé sur le Duguesclin.

Jean-Louis Martin, né à Paimboeuf, 1m 66, 21 ans, matelot.

Denifsun, né à Noirmoutier en 1819, 40 ans, matelot, débarqué à Maurice le 10 novembre 1859, passé sur l’Osiris.

Julien Rivel, né en 1826 à Dunkerque, 1 m 62, matelot.

Eugène Célestin Loiseau, né en 1840 à Saint-Nazaire, 19 ans, 1 m 47, « laissé malade à l’hôpital de Calcutta pour maladie vénérienne, au moment du départ. Doit au capitaine, 79 francs 50 centimes pour avances en espèces, frais d’hôpital à Penang en Malaisie, et voiture pour Calcutta ».

Prieur Alexandre Jules, né à Paimboeuf, en 1842, 17 ans, novice.

Adolphe Louis Boulanger, 17 ans, né à Lorient, novice.

Pierre Jean-Marie Bluteau, 15 ans, né à Paimboeuf, mousse.

Les Malais, Jarra et Mesquin, ce dernier est débarqué à Sumatra le 9 juin 1859.

Antoine Lajoie, 23 ans, né à Bréhat, matelot, débarqué à Maurice le 11 novembre 1859 pour arrestation.

Coyrtix Jacques originaire de Plourivo, Côte d’Armor, 33 ans, maître d’équipage, en provenance du François Arago, embarqué à Maurice le 12 novembre 1859.

François Jouanjean, 29 ans, né à Plourivo, en provenance du Rim……, embarqué le 12 novembre 1859 à Maurice.

Gay Joseph Etienne, né dans le Var, à la Seyne sur Mer, 29 ans, matelot en provenance du Rim…, embarqué à Maurice le 12 novembre 1859.

Sohier Arthur, 18 ans, novice, et pilotin. « Le jeune homme est embarqué dans la marine marchande en vue de se préparer aux fonctions d'officier du port, de la machine ou du service radiotechnique ».
Jacques Lemestre, 43 ans, né à Auray dans le Morbihan, matelot en provenance du Rim…, embarqué à Maurice le 12 novembre 1859.

Lemaitre Joseph Marie, 26 ans, en provenance du Duguesclin, embarqué à Maurice le 15 novembre 1859.

Henri Chauvelon né à Paimboeuf, âgé de 20 ans, matelot de 3ème classe, en provenance de l’Orion, embarqué à Maurice le 18 novembre 1859.


Avances effectuées à Calcutta en 1859






Sur 15 matelots bénéficiant d’avances effectuées le 29 septembre 1859 à Calcutta, seuls 8 marins signent en regard de leur avance. Nous découvrons la signature de Pierre, futur capitaine.










Le navire quitte Saint-Nazaire, le 27 janvier 1859, arrivé à Maurice le 5 mai 1859 « chargé de diverses marchandises », avec 19 hommes d’équipage et 2 passagers. Le 7 mai de la même année, le trois-mâts se dirige vers Sumatra « chargé de diverses marchandises ».





En parcourant « Souvenirs de campagne » d’Auguste Benoist de la Grandière, médecin à bord du navire de l’Etat la « Saône », accostant à Singapour à peine 4 mois avant l’arrivée de Pierre, on imagine l’intensité des sensations ressenties par le jeune Nantais à la vue de ces contrées encore inexplorées.

De la Grandière
« Cette cité commerçante, vaste entrepôt touchant à la fois aux Indes, à la Chine et aux riches possessions hollandaises des grandes îles de l'Océanie, s'élève sur une petite île autrefois couverte de bois que les Anglais ont achetée pour y planter leur pavillon. Sa situation pittoresque, la diversité des races que le commerce y a réunies lui créent une physionomie toute spéciale et en font une des villes les plus curieuses de l'Extrême Orient. Les bâtiments qui y arrivent par le nord, après avoir traversé dans toute sa longueur le détroit de Malacca, contournent, pour se rendre au mouillage, un îlot qui semble un bouquet de verdure sorti des flots. Un phare s'élève au-dessus de ses bois de cocotiers et marque l'entrée de la rade. 

On aperçoit au-delà les épaisses forêts de la côte malaise qui s'allongent au loin sur toute l'étendue de la presqu'île, tandis qu'au midi l'on découvre les côtes de la grande île de Sumatra également couvertes de forêts vierges. Plusieurs îlots ombragés de bois magnifiques, par-dessus lesquels on peut suivre les mâtures élancées des navires européens qui gagnent le port, forment à la rade une verte ceinture et donnent aux voyageurs éblouis une idée de la richesse de la végétation de ces vastes contrées qu'on entrevoit de toutes parts à l'horizon et qui sont encore inexplorées.

La rade est grande, bien abritée, et peut contenir facilement les navires qui y affluent de tous les ports de l'Inde et de la Chine. Les grosses jonques aux formes étranges, les prows malais, les bâtiments des nations européennes s'y trouvent pêle-mêle et y poursuivent librement leurs échanges sous la protection du yacht anglais ».





Arrivé à Singapour le 29 juillet 1859, chargé de lest, le navire quitte le port le 30 juillet à destination de Penang en Malaisie. Le trois-mâts parvient à Calcutta le 21 septembre 1859, puis le 30 septembre repart pour la Réunion, « chargé de diverses marchandises ». 

Le navire parvient à Maurice le 7 novembre 1860. Pierre est débarqué entre temps le 17 novembre 1859 et passe sur l’Orion. 

Quant au Jean-Victor, il repart pour Saint-Nazaire le 10 décembre 1859 chargé de sucre. Le navire parvient à Saint-Nazaire le 14 mars 1860 avec à bord 18 hommes d’équipage. « Les affaires de Nantes avec la réunion sont considérables. Nantes est celui de tous les ports de France qui reçoit la plus grande quantité des sucres de cette colonie qui y trouvent un écoulement facile……. Par l’approvisionnement de ses raffineries. Nantes reçoit aussi de cette colonie de petites quantités de café, de girofle….

Ce port y envoie principalement des mules et mulets pour les travaux des habitations, des chevaux, des conserves alimentaires, des salaisons, des planches, de la chaux, des cuirs et les produits de l’industrie parisienne à fret. En 1858, dans un total de 244 navires chargés, ayant fait la navigation entre la Réunion et la France figure 139 navires Nantais, soit pour plus de la moitié. Vient ensuite Marseille avec 54 navires seulement ».

Dictionnaire universel théorique et pratique du Commerce et de la Navigation - 1873.

C’est dans ce contexte qu’entre 1850 et 1875 la compagnie de l’armateur Gabriel Lauriol atteint son apogée commerciale.

Qui était Gabriel Lauriol ? extrait de : Portrait d’un armateur et négociant - Archives départementales de Nantes.

« Issu d’une famille d’Ancien Régime, ayant acquis sa position par le service du roi, ses alliances nobiliaires et le négoce, Gabriel Lauriol, est l’une des grandes figures de la société nantaise du 19ème siècle, tenant un rôle de premier plan dans l’armement et le commerce.

D’abord initié pendant sept ans dans les bureaux de son père, il fait ses armes en tant que capitaine sur ses navires. Vers 1830, il commence à armer des navires à son compte et réussit à imposer la société dont il prend la suite comme la maison d’armement la plus importante de toutes les maisons nantaises. En 1854 il reste seul administrateur de la maison qui prend le nom de « G. Lauriol et Cie ».
Gabriel Lauriol, suivant les préceptes de son père, navigue sur ses propres navires avant d’en confier le commandement à des capitaines expérimentés et des équipages aguerris. Il ne conserve que des navires d’excellente facture, qui tiennent bien la mer, assurant ainsi la sécurité à ses affaires.

Gabriel et Jean-Victor Lauriol affrètent des voiliers affectés au cabotage, à la pêche à la baleine, au commerce avec l’étranger, et font construire des vapeurs : « Il n’est, pour bien dire, pas de genre de commerce maritime que nous n’ayons essayé » dit Gabriel. Lauriol.

La réussite de Gabriel Lauriol provient ainsi pour une large part du négoce, de la traite, du commerce du sucre, et de la spéculation (achat et revente de navires avec bénéfice). Après 1830, une nouvelle forme de commerce commence à s’établir à Nantes : La traite indirecte. Il s’agit pour les armateurs d’envoyer des marchandises sur la côte ou dans un pays étranger sans impliquer directement leurs navires dans la traite. Navires qui sont par la suite vendus, par exemple à Madère, pour cause d’innavigabilité, phénomène spécialement nantais.

Puis après 1848, apparaît une autre forme de commerce ; l’engagisme où l’engagisme va récupérer « les contours et le contenu de l’esclavage ».

Un exemple, entre 1868 et début 1869, avec une mention particulière sur le rôle de bord du navire l’Auffredy, à destination de Saigon, dont le propriétaire n’est autre que Gabriel Lauriol ;

«L’équipage s’engage à effectuer les voyages et transports d’émigrants ou coolies, sans augmentation de salaires ni débarquements en cours de voyage ».

L’Auffrédy effectue un nouveau voyage d’octobre 1869 à mai 1871 avec des conditions d’engagement identiques.




Cependant et, néanmoins, le sucre reste l’activité la plus importante de la compagnie, ce qui explique le tonnage des navires (en 1860 la société Lauriol arme 3 373 tonneaux), et la destination des expéditions : Bourbon, Batavia, la Côte Coromandel aux Indes…

A compter de 1872, L’Auffredy, appartenant dorénavant à l’armateur Alfred Neyssensa, prend une toute autre destination, l’Afrique et la Sierra-Leone. Au départ de Sierra-Leone le navire transporte des graines oléagineuses à destination de Gênes, puis de la calamine, du port de Carlo-Forte en Sardaigne pour Swansea, et enfin du charbon de Swansea pour Saint-Nazaire.


3ème voyage - 1859


L’Orion quitte Saint-Nazaire le 4 juillet 1859 à destination de l’ile Maurice et la Réunion.

Arrivé à Maurice le 10 octobre « chargé de diverses marchandises », Pierre monte à bord le 17 novembre 1859, en provenance du Jeune-Victor. Le navire quitte l’océan indien le 22 novembre 1859 chargé de sucre « Maurice », allant à Belle-Isle, avec escale à Sainte-Hélène. Le navire quitte l’ile le 7 janvier 1860 et parvient à Saint-Nazaire le 3 mars 1860.

Le trois-mâts construit en 1838 jaugeant 320 tonneaux appartient à l’armateur Pierre Joseph Maës, né en 1787, en Louisiane, fils de planteur, décédé en 1873 à Nantes, négociant, armateur e :t homme politique français, partisan de la Révolution de Juillet 1830. « Mais à partir de 1848, on ne trouve aucune trace de ses navires dans ces colonies. L'armateur avait-il fait faillite ou changé de zone d’activité ? Les archives gardent un silence complet sur ces points ». Thèse de Monsieur S. O. Kane en 1992 qui note, effectivement, que le trois-mâts appartient, en 1859, à l’armateur De La Brosse et frères, famille survivante de l’époque coloniale et devenue l’une des fortunes de la construction navale.

L’Orion a pratiqué la pêche à la baleine et au cachalot en océan Pacifique les années précédentes.

En consultant le rôle de l’Orion en 1853, la distribution des vivres à l’équipage consiste en : « le matin pour le déjeuner, six centilitres d’eau de vie, cinquante centilitres de thé ou café, cent grammes de beurre et pain à discrétion.

A diner : deux cent cinquante grammes de bœuf salé ou cent quatre-vingt grammes de porc salé, vingt-cinq centilitres d’eau de vin, et pommes de terre lorsque l’on pourra s’en procurer à des prix raisonnables ».


L’équipage de l’Orion


Les marins sont au nombre de 15, 2 officiers, 1 officier marinier, 1 cuisinier, 8 matelots, 2 novices et 1 mousse.

Thebaut Etienne Louis né à Paimboeuf en 1823, 1 m 66, capitaine.

Rochet Louis, né en 1828, originaire de Paimboeuf, 1 m 70, matelot de 2ème classe, second.

Enaux Louis César, né à Saint-Malo en 1820, 1 m 65, matelot de 1ère classe, maître d’équipage.

Vazeille Auguste né en 1823 dans le Morbihan, cuisinier.

Tremis François, né en 1817, dans le Morbihan, matelot-charpentier.

Le Ray Charles Marie, né en 1840, au Croisic 1 m 65, novice.

Menezo Joseph Marie, né en 1842 à Redon, novice.

Legendre Auguste Jean Marie, 1 m 45, né en 1845, mousse.

Piard Vincent Auguste, né en 1832 à Touaré, muletier.

Chauvelon Henry Alexandre, né en 1839, à Paimboeuf, 1 m 69, matelot, débarqué à Maurice le 17 novembre 1859, non soldé passé sur le Jean-Victor.

Meyssensa Pierre, né en 1840, à Nantes, « en provenance du Jean-Victor le 18 novembre 1859, validé par le Chancelier du Consulat ».

Boué François né à Clion en 1822, 1 m 59, matelot.

Braire René Marie, né à Guérande en 1838, 1 m 62, matelot.

Tual Jean Marie, né à Guérande en 1839, 1 m 60, matelot.

Chesneau Jean Louis, né en Loire Inférieure, en 1825, 1 m 65, matelot.

Rielland Ange né en 1841 à Indre, novice.

Rialand Alexis, né en 1842 à Noirmoutier, novice.

A son arrivée en France, le 20 mars 1860, en provenance des Gonaives, le navire est à la consignation de Messieurs De La Brosse frères, armateur, et Van Heddeghem-Goupilleau, courtiers :

A l’armateur, 5475 balles de sucre et 2 balles au porteur. La balle de sucre est évaluée à 48 kg 95 en 1838 dans « Notices statistiques sur les colonies françaises ».

L’Orion transporte ainsi en 1860, 268 tonnes de sucre.

Par la suite, Pierre embarque à bord de navires de l’Etat pour une durée de 96 mois, le Cormoran, le Casabianca et la Pourvoyeuse, à destination du Sénégal, de la Guyane et du Gabon.

Reçu capitaine par brevet le 22 mai 1865, à l’âge de 25 ans, à n’en pas douter Pierre disposait d’une bonne santé, car commander si jeune sous entendait avoir de solides connaissances en navigation afin de gouverner un navire à voile et lui faire exécuter les évolutions nécessaires à sa bonne route, savoir choisir des  bateaux solides comme le furent le Navigateur, le Lucie, ou le Louise-Halder, inspirer confiance à l’armateur, choisir un bon équipage, et savoir éviter les pièges de la navigation.

Avant de repartir pour l’océan Indien, en 1866, nous allons faire un petit détour avec Pierre par la Guyane - Amérique du Sud puis en Haïti - mer des Caraïbes.




En 1865, l’armateur Nantais Jean-Baptiste Demange confie à Pierre, capitaine depuis à peine 6 mois, l’un de ses trois-mâts, le Navigateur, construit à Saint-Malo il a 13 ans. Novembre 1865, c’est le premier voyage de Pierre à la barre d’un navire à voiles. Pour l’anecdote, en début d’année 1865, le navire le Navigateur sera abordé en rade de Saint-Nazaire par le navire « Comtess of Scafeld », capitaine Walker, sans trop de dégâts.

Le voyage de Pierre ne va pas se dérouler sous les meilleurs auspices….

En effet, lors de ce premier voyage, le matelot François Bouteloup, 40 ans, originaire de Couesnon en Ile et Vilaine, du « quartier » de Marseille, décède en mer le 13 avril 1866 après avoir été hospitalisé à l’hôpital de Cayenne fin décembre 1865.





Le novice Denis Mahé, 18 ans, est hospitalisé à Cayenne entre le 30 décembre 1865 et le 7 janvier 1866 mais échappe au sort de François Bouteloup. Le cuisinier tombe à son tour malade, Jean Boulais, 38 ans, originaire de Carentoir dans le Morbihan, entré à l’hôpital le 24 octobre 1865, sorti le 5 janvier 1866, et débarqué puis payé à Cayenne le 21 janvier 1866. Il semble que ces matelots aient contracté une maladie contagieuse à leur arrivée à Cayenne le 23 décembre 1865. Est-ce le choléra ? C’est fort peu probable, et pourtant le 22 octobre 1865, le choléra est présent à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, le 18 novembre, l’ampleur des ravages se confirme vers Basse-Terre et Marie-Galante. Le Lucie a-t-il fait escale à Pointe à Pitre avant d’accoster à Cayenne ? 1650 kilomètres séparent les deux capitales.

Un autre matelot, Jean-Jules Lassere, 16 ans, du quartier de Bordeaux, « est condamné à Port au Prince à huit jours de prison pour s’être absenté du bord sans permission en enlevant l’embarcation. Doit au capitaine pour frais d’arrestation de geôle et de remplacement, quarante-neuf francs ».

Les autres marins présents à bord sont mentionnés en suivant la liste des passagers.

L’armement Demange et frères, quelques années plus tard, achètera le Belem pour leur ligne de Cayenne.




Agathon Hennique
Le 11 novembre 1865, le trois-mâts quitte Saint-Nazaire à destination de Cayenne chargé de « diverses marchandises » de 14 hommes d’équipage et 10 passagers. Pierre, en outre, « est porteur de deux plis pour remettre à Monsieur le Gouverneur de la Guyane Française à Cayenne », plis remis en mains propres à Agathon Hennique, général et administrateur colonial français, Directeur du Service pénitentiaire.

Le navire parvient à Cayenne le 23 décembre 1865, un mois après, le trois-mâts quitte la rade pour Port au Prince en Haïti, chargé de « diverses marchandises », sans passagers.

Pierre accoste à Port-au Prince le 7 février 1866, puis repart pour le Havre le 9 mars 1866, chargé de « denrées », de deux passagers et 14 hommes d’équipage.

Le navire est à quai à Saint-Nazaire en mars 1866 avec 13 hommes d’équipage.

Les passagers au nombre de 10 pour Cayenne, tous embarqués le 10 novembre, sont :

Jean-Baptiste Bonneton né à Chatonnay en Isère, marchand et demeurant à Cayenne, accompagnés de son épouse Olympe Garnier âgée de 45 ans et de leurs fils, 18 ans, Joseph Antoine.

Charles Pierre Alexis Vallée, 28 ans, né à Nantes, capitaine au long cours, décédé dans la nuit du 8 au 9 octobre 1881 à bord du « Tage » du Havre à Colon au Panama.

Joséphine Chaumier née Joubert, propriétaire, âgée de 41 ans, demeurant à Nantes, accompagnée de « la nommée Brigitte Marie Loto », c’est peut-être à l’occasion de ce séjour que Joséphine rencontre son futur mari, Hyppolite Camille Pierret, aide commissaire de la Marine avec lequel elle se marie le 7 mai 1869.

Henri Marie Auguste Leroux, né à Auray Morbihan, capitaine au long cours.

Joseph Deparis, commissaire de police à Cayenne, retraité, accompagnée de sa fille, repart sur Cayenne pour y séjourner. Le Bulletin officiel de la Guyane Française, en 1865 nous apprend que Joseph Deparis « bénéficie d’un congé de convalescence, à compter du 27 avril 1865 et dont la durée est fixée par son Excellence le ministre de la marine et des colonies, avec autorisation de prendre le transport l’Amazone, navire de l’Etat. Monsieur Joseph Deparis par décret du 6 aout 1865 perçoit une pension de retraite de 1333 francs ».

Le sieur Deparis fut nommé garde de police de la brigade de police de la ville de Cayenne, le 5 janvier 1833.

Pindard Alexandre, surveillant militaire de la Guyane, embarqué le 11 novembre à bord du trois-mâts le Navigateur.
Le 18 février 1869 Alexandre Pindard dit « Henriette » est nommé à l’ancienneté sous le numéro matricule 504, au grade de 2ème classe.

Le concernant on peut lire dans le Bulletin officiel de la Guyane française pour l’année 1871, l’extrait suivant :




« Arrêté ordonnant de surseoir à l'exécution de la condamnation du transporté Paillard à la peine de mort. Cayenne, le 22 avril 1870.

Vu le jugement rendu par le premier conseil de guerre permanent de la colonie dans sa séance du 30 mars 1871, contre le nommé Paillard (Joseph-Marie-Eugène), transporté de la 3ème catégorie, 1ère section, âgé de 47 ans, né à Paris (Seine) ;

Attendu que, par ce jugement, l'accusé a été reconnu coupable d'avoir, dans la journée du 2 septembre 1870, outragé par paroles pendant le service le surveillant Pindard, son supérieur et dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, exercé des voies de fait envers la personne du surveillant Pindard, son supérieur ;

Attendu que par suite de cette déclaration de culpabilité, ledit accusé a été condamné à la peine de mort,
Attendu que le jugement précité a été maintenu par le conseil permanent de révision, dans le but d'atteindre d'une manière toute spéciale l'infraction à la loi suprême de la subordination, peut paraître hors de proportion avec la nature et le degré de gravité du fait, il appartient au Chef du pouvoir exécutif de la République Française d'apprécier et de tempérer, suivant qu'il le juge convenable, la rigueur de la peine appliquée ;

Considérant qu'il est résulté des débats que les voies de fait commises envers le surveillant Pindard avaient eu lieu sans préméditation et sans l'emploi d'aucun instrument, qu'il n'en est résulté aucune blessure ni contusion qu'enfin le crime d'insubordination de Paillard ne présente pas le caractère de gravité et de perversité qui doit s'opposer à toute indulgence comme à tout sursis à l'exécution de la peine prononcée ;

Mais attendu que si. Par cette considération, le condamné se trouve dans le cas d'être recommandé à la clémence du Chef du pouvoir exécutif de la République française, il importe néanmoins au maintien de l'ordre et à la sûreté du personnel sur les établissements pénitentiaires que les crimes de l'espèce soient sévèrement réprimés ;

Par ces motifs, Sur la proposition du chef de bataillon, Commandant militaire par intérim ; De l'avis du Conseil privé,

Arrête : Le nommé Paillard (Joseph-Marie-Eugène) est recommandé à la clémence du Chef du pouvoir exécutif de la République française.

En conséquence, il sera sursis à l'exécution du jugement qui condamne ledit transporté à la peine de mort, jusqu'à l'arrivée des ordres du Gouvernement.
Guillotine des Iles du Salut

Le Chef du pouvoir exécutif de la République française est supplié de vouloir bien commuer cette peine en celle des travaux forcés à perpétuité ».

« Le 15 octobre 1875, le gouverneur accorde un congé d’un an sans solde pour affaires personnelles au sieur Pindard Alexandre, surveillant militaire de 1ère classe, pour en jouir dans la colonie. A cette même date, Alexandre est nommé concierge de la grande geôle de Cayenne, solde annuel de 2500 francs en remplacement du sieur Hartranfr Jules, révoqué.

Le 5 octobre 1875, le Gouverneur des permis de recherches et d’exploitation de gisements aurifères ont été accordés à Madame veuve Pindard, exceptionnellement à 10 centimes l’hectare, sur un terrain de 14,300 hectares, dépendant du quartier d’Iracoubo ; ce terrain, situé rive gauche du fleuve de Sinnamary, a fait partie de concessions abandonnées ».« Le 10 avril 1888, Alexandre, à présent en retraite, est nommé cantinier des Iles du Salut, en remplacement du sieur Honorine, gérant provisoire ». Dans le Bulletin officiel de la Guyane Française - année 1888.





D’après les notes individuelles de Madame H. Pindard sur Geneanet le 3 juillet 2019 :

Alexandre fils de dame Henriette, né esclave, Alexandre, 5 ans, est affranchi en 1835 avec sa mère. En 1861 Alexandre, époux d’Aurélie Ceide, ses 7 enfants, sa mère, sont autorisé à porter le nom de Pindard.

Extrait du registre des procès-verbaux des Délibérations du Conseil Privé de la Guyane Française en 1862 :

« Aujourd'hui, mercredi 12 aout 1835, à 10 heures de la matinée, nous Nicolas Marthe, chevalier de la légion d'honneur lieutenant commissaire commandant de la ville, officier de l'état civil, avons reçu de Monsieur Le procureur général de cette colonie, la copie de l'arrêté

La demoiselle Henriette, couturière, âgée d'environ 48 ans, née et demeurant à Cayenne, a été affranchie le 10 aout 1835, sans avoir reçu de nom patronymique. Elle sollicite aujourd'hui l'autorisation de prendre celui de Pindard.

La demoiselle Henriette a été affranchie au mois d'aout 1835, sur la demande de la Dame Rose Courant, sa propriétaire, et il est constant qu'à cette époque elle ne reçut point de nom patronymique. Celui de Pindard qu'elle demande à être autorisée à porter, parait n'appartenir à aucun habitant de la colonie, et n'avoir été porté par aucun fonctionnaire ou étranger notable y ayant jamais résidé. Cette concession ne peut donc porter aucun préjudice à qui que ce soit.

C'est à vous, Monsieur le Gouverneur, aux termes d'une dépêche ministérielle du 29 Janvier 1838, qu'il appartient de statuer sur le mérite de pareilles demandes et de conférer si vous le jugez convenable, de noms patronymiques à ceux qui n'en ont pas eu, soit au moment de leur affranchissement, soit lors de l'abolition de l'esclavage ».

Info Geneanet - recherches effectuées par Madame H. Pindard

Demoiselle Duprat Marie, 26 ans, native de Malvézie en Haute-Garonne, demeurant à Bordeaux, domestique, embarquée à Port-au-Prince et débarquée au Havre.

Enfin, le dernier passager monté à Port-au-Prince, Paul Eugène Berthaud, cuisinier, en « provenance du navire de Saint-Nazaire, le Minot dont il a été débarqué à Port-au Prince pour cause de maladie. Embarqué à bord du Navigateur comme passager rapatrié le 8 mars 1866 ».

Les marins présents à Saint-Nazaire lors du départ se nomment :

Pierre René Humeau né en 1841, dans le Maine et Loire, 2ème capitaine, 1 m 60.

Jean-Marie Broussard, né en 1825, à la Chapelle des Marais, Loire InférieureMaître d’équipe, époux de Jeanne-Marie Broussard, cultivatrice à Camert (La Cadiérais). Jean-Marie décède en 1905.

Le matelot-voilier, Joseph Julien Lami, né en 1815 à Paimboeuf, époux de Marie Guillou.

Le Pinvic Jean, né en 1831 dans les Côtes du Nord, matelot.

Seguineau François, né en 1822 à Noirmoutier en Vendée, 1 m 60, matelot, décédé en 1867, époux de Clarisse Bouteau.

Gabriel Legoff né en 1815, à la Chapelle des Marais, Loire Inférieure, 1 m 70, matelot, époux de Louse Gervot, cultivatrice à Camert. Gabriel décède en 1889.

Pied Jacques, né en 1823, à la Chapelle des Marais, Loire Inférieure, 1 m 60, matelot, époux de Marie Legoff, cultivatrice à Camerun. Jacques décède en 1895.

Perez Victor Auguste né en 1849 à Nantes, 1 m 55, novice.

Edmond Pierre Béchu, né en 1848 à Paimboeuf, novice.

Frédéric Gadiot, né en 1847 à la Jarrie-Audoin, cuisinier.

Le désarmement du navire à lieu à Saint-Nazaire, le 30 mai 1866 soit après 6 mois et 23 jours de mer.


4ème voyage - 1866




Une nouvelle fois Pierre est attiré par l’océan Indien et jette l’ancre dans les ports des Mascareignes, Port-Louis sur l’ile Maurice et Saint-Paul à la Réunion, bientôt Sydney en Australie puis Saigon au Vietnam, entre 1866 et 1868.

L’étude complète sur le navire Le Lucie est à retrouver dans le paragraphe « le navire le Lucie ».


L’Engagisme sur l’ile de la Réunion au 19ème siècle


Après la fin de l’esclavage, l’expansion coloniale de l’Europe dans l’Océan Indien a prospéré grâce à des conditions socio-économiques difficiles de pays comme l’Inde, la Chine, le Tonkin, ou Java, et ainsi permettre le déplacement de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants, sous l’autorité des Britanniques qui régulent l’ensemble des transports d’engagés.

L’économie de plantation, après l’abolition de l’esclavage en 1848, à peu à peu perdue une partie de sa main d’œuvre. Mal payés, méprisés par les planteurs, bientôt marginalisés, les nouveaux affranchis ne pouvant profiter pleinement de leur liberté quittent les plantations. En 1861, les Britanniques autorisent le recrutement annuel de 6 000 de leurs sujets indiens à destination des plantations de la Réunion. Le voyage ne dure que 3 à 4 semaines, l’engagé, ou coolie est sous contrat pour cinq années renouvelables.

En apparence cette nouvelle migration est soumise à une réglementation rigoureuse notamment en ce qui concerne l’aménagement des navires, les rations alimentaires fournies, les obligations sanitaires à l’arrivée au port, le contrat de travail établi un cadre bien précis en matière de salaires, de tenues vestimentaires, de culte, de repos etc., en tout cas la littérature coloniale en fait écho.

Car le rapport Miot et Goldsmid en 1877 dévoilera finalement la réalité des conditions de vie réservées aux engagés. Les doléances des engagés notent, en premier, la rétention des livrets par les planteurs dans le but d’éviter un éventuel rapatriement, le versement de salaires miséreux, mais aussi la présence de mauvais traitements. L’engagé reste la propriété de l’engagiste. Le rapport soulève aussi les modes de recrutements au départ de l’Inde effectués « sans conscience » avec promesse de vie meilleure.

En réalité l’engagisme tente à se substituer à l’esclavage et la religion hindouiste, seule, permet à l’engagé Indien de conserver une part de son identité malgré les fortes réticences de l’église catholique.

L’engagement des travailleurs Indiens, s’il se généralise après 1848, connaîtra plusieurs interdictions tout au long du 19ème siècle. Entre 1860 et 1882, l’immigration est réglementée par les conventions franco-anglaises.
En réalité l’engagisme va perdurer sur l’ile jusqu’en 1933.






Pierre et la tentation de l’engagisme


Quand Pierre quitte le port de Nantes en décembre 1866, l’ile de la Réunion a accueilli encore près de 2518 migrants tout au long de l’année, avant qu’une nouvelle convention Franco-Britannique n’interrompe le transfert de coolies Indiens pour une durée de deux ans, de 1867 à 1868.

L’ile compte 48065 indiens en 1868, et quelques Vietnamiens. Ces derniers arrivent encore en octobre et décembre 1868, mais trouvent difficilement preneurs. Les transferts reprennent en 1869, avec 1081 migrants, puis c’est un nouvel arrêt entre 1870 et 1872.

Le lundi 17 décembre 1866 à 10 h 07, le trois-mâts Le Lucie, avec 13 hommes d’équipage, quitte le bassin de Saint-Nazaire, par vent d’ouest, sous un ciel couvert et brumeux, légèrement pluvieux. Pierre signe, peu de jours avant, avec l’armateur Briand, un engagement stipulant que ses frais de séjours dans les colonies seront couverts par l’armateur et qu’il disposera d’une partie de la cale du Lucie pour le transport de ses propres marchandises.







Le contrat d’engagement de l’équipage du Lucie


Le contrat d’engagement est soit, au forfait, au voyage ou au mois, en ce qui concerne l’engagement de l’équipage du Lucie, il est signé au forfait, comme la plupart en ce temps-là, car il était difficile de prévoir les durées exactes des voyages. Le type de contrat d’engagement tel que celui du Lucie, décrit ci-dessous, est présent sur certains rôles de bord à partir de 1865. Avant 1865, les engagements sont mentionnés en marge de l’un des feuillets du rôle de bord comme celui de l’Alexandre Delphine en 1864 à destination de Calcutta.


Que nous dévoile l’engagement du Lucie ?


L’équipage est choisi par le capitaine et les propriétaires du Lucie, ou plus souvent, proposé par des agents de placement ou « marchands d’hommes ».




L’équipage s’engage, outre les opérations commerciales habituelles, à "faire le transport d'émigrants ou coolies".

Après l’abolition de l’esclavage et jusqu’en 1860, un grand nombre d’armateurs, négociants, Français ou Réunionnais, se reconvertirent dans le commerce des engagés ou coolie-trade (transports d’engagés Chinois et Indiens), entre temps de nouvelles routes maritimes s’ouvrent, comme en Cochinchine à partir de 1858, et malgré la présence d’une littérature abolitionniste, les vieilles mentalités esclavagistes persistent et évoluent très lentement.

Pierre, en accord avec l’armateur et les propriétaires du navire, (dont Pierre Neyssensas, père) se lance, dans le commerce d’humains, si l’opportunité se présente bien sûr. Car de nombreux capitaines tentent, avec plus ou moins de réussite, le transport d’engagés, parfois les navires ne répondent pas aux conditions de transports de migrants, parfois la colonie n’est pas en demande d’engagés, ou parfois, les échos de rebellions de migrants en dissuadent d’autres.




Pierre décide-t-il de transporter des engagés en mer de Chine méridionale pour le compte d’une « maison » installée sur l’ile de la Réunion, quelques planteurs connus de l’armateur, ou simplement pour le compte des propriétaires du navire ? Avait-il choisi une autre destination, le golfe du Bengale, Calcutta par exemple, et finalement changer de destination ?

A l’époque, les navires Nantais effectuaient fréquemment des voyages intermédiaires entre la Réunion, Maurice et la côte Coromandel et Calcutta dans le golfe du Bengale ou Saigon en mer de Chine, malgré le monopole détenu par de grandes sociétés. En 1859, ceux ne sont pas moins de 40 navires qui vont transiter par la Réunion, en transportant presque tous des coolies au départ des ports Français ou Britanniques. Le transport de main-d’œuvre vietnamienne représente peu au regard des transports massifs d’Indiens et d’Africains à destination de l’ile de la Réunion. Les formalités de l’engagement Vietnamien sont sensiblement les mêmes que l’engagement Indien.

L’implantation Française en Cochinchine ne se faisant pas sans révoltes, « la Réunion apparaît comme une solution pour écarter les meneurs de ces révoltes ». - Les Vietnamiens à La Réunion, de la déportation à l’émigration volontaire (1859-1910) - D. Varga - 2012. 
     
L’engagisme en Cochinchine débute en 1863.

Contrairement au recrutement effectué en Inde, les engagés de Cochinchine, faute de volontaires, vont être choisis parmi des condamnés à des peines limitées, pour vol ou piraterie, ce qui pousse en 1868, le gouverneur de la Réunion, à tenter de s’opposer à la venue sur l’ile de ces « prisonniers politiques » et éviter de transformer l’ile en « colonie pénitentiaire ».

Le 7 avril 1865, quelques mois avant que Pierre n’accoste à Saint-Denis de la Réunion on peut lire dans l’Union Bretonne :





Le 31 juillet 1867, 11532 petits sacs de sucre fin quittent la cale du Lucie pour être vendu sur le marché de Sydney, dont des « Fine Ration, Extra Fine Bright Do, Fine Brown Counter et Fine Yellow ».









Le 18 septembre 1867 Le Lucie quitte le port de Sydney « Moore’s wharf » pour Saigon avec un chargement de 329 tonnes de charbon, exporté par la société H. Labat and Co, et arrive à Saigon le 21 novembre. Sources : The South-Australian Advertiser Adelaïde, The Sydney Morning Herald - 1867.
Cela fait exactement sept années que le port de Saigon est ouvert aux navires. Le commerce en Cochinchine est placé sous un régime de liberté complète. Seul un droit d’ancrage est du lorsque le Lucie arrive sur lest pour charger à Saigon pour un montant de un quart de piastre.





Imaginons Pierre à la barre du trois-mâts remontant la rivière Saigon, pour atteindre la rade, à plus de 80 km de la mer, et après 4 heures de lente remontée entre les étendues marécageuses et les palétuviers, pour enfin atteindre le quai du sud. Une fois au mouillage Pierre peut négocier son chargement de riz.





Le rôle de bord du Lucie ne mentionne pas la présence de migrants au départ de Saigon.




Pour qu’elles raisons Pierre n’effectua pas de transport de vietnamiens annamites en fin d’année 1867 lors de son passage Cochinchine contrairement à ce qui est indiqué sur l’engagement de bord ?

Est-ce dû au climat d’insécurité relatifs aux rébellions persistantes qui perturba le projet ?




Ou la difficulté de trouver des travailleurs, car si dans les années 1860 les Français pensent pouvoir envoyer dans leurs colonies de nombreux immigrants de Cochinchine, la désillusion est rapide, le nombre d’engagés volontaires est infime car le pays est finalement très peu peuplé.

Peut-être pour non-conformité de son navire, la réglementation précisait que si le navire recevait à son bord plus de trente émigrants, le navire était réputé affecté au transport d’émigrants et ne pouvait transporter plus d’un émigrant par tonneaux de jauge. Le Lucie ne possédait-il pas une chaloupe et deux canots hormis le canot de service ? la surface dédiée sur l’entrepont était-elle insuffisante pour recevoir les passagers ?

Ou plutôt une conséquence de la situation économique Réunionnaise, en effet en 1860, la Réunion était en quête de nouveaux migrants sur ses plantations, lorsque Pierre parvient sur l’ile de la Réunion en 1867, l’ile connait depuis quelques temps une grave crise économique. L’industrie sucrière, manne économique de l’ile, est victime de la spéculation, de réductions importantes de production, en cause, l’épuisement des sols mais aussi une baisse des ventes du sucre suite à l’alignement des droits des sucres coloniaux sur les sucres métropolitains, auxquelles se rajoutent des conditions climatiques difficiles, la conséquence est presque immédiate, de nombreuses plantations font faillites. Ainsi seulement 63 Vietnamiens sont introduits sur l’ile - D. Varga - 2012.

Le 2 février 1868, le Lucie arrive à la Réunion avec une cargaison de riz, graine alimentaire totalement absente sur l’ile. L’ile de la Réunion, dès les années 1860, décide d’importer du « riz Saigon » de ce nouveau marché sous contrôle Français et ainsi ne plus dépendre du seul riz Indien.

Dans ce même temps on assiste à des retours importants de coolies vers l’Inde. Voici quelques trois-mâts qui vont rapatrier des coolies de la Réunion vers l’Inde. Site des Archives Nantaises - rôles de bord des navires.

Le Lucie malgré son engagement à « faire le transport d’émigrants ou coolies » ne rapatria pas de coolies de la Réunion vers l’Inde, contrairement au Colbert qui quitte Nantes pour la Réunion le 26 octobre 1866, armateur Henri Allard et Léancourt, capitaine Hardy Emile Marie.




Le navire quitte Saint-Denis de la Réunion le 11 mai 1867 et arrive le 3 juin à Pondichéry en Inde, avec à son bord 74 passagers dont 61 immigrants, 1 sous-officier, 1 caporal et deux soldats indiens (cipayes).

Le Colbert, avec les mêmes conditions d’engagement, fera naufrage le 30 avril 1868 sur les récifs du Grand-Port - Ile Maurice, quelques jours après la disparition du Lucie.

Le trois-mâts Henri, armement Lecour, capitaine Dubourg Magloire Clément, originaire de la Rochelle, transporte le 9 avril 1866 au départ de Saint-Denis pour leur retour en Inde, 54 passagers à destination de Calcutta, pour la plupart enregistrés en qualité de « cultivateur ». L’engagement se fait au mois et mentionne bien le rapatriement de coolies.




Note : le temps de voyages de la Réunion à Calcutta prenait, d’avril à octobre inclus, 10 semaines, et, de novembre à mars, 8 semaines.

Un autre trois-mâts, le Sparfel, allant à Bourbon, armateur Charles Fouguern, capitaine Lossieux Félix Marie, avec les mêmes conditions d’engagements que le Lucie, ne transporta pas non plus de coolies.




Le Ville de Saint-Lô, armateur Jonquière, armé à Bordeaux, capitaine François Dubois de Lormont, embarque à Hanoi le 26 septembre 1865, 60 chinois à destination de Hong-Kong.

Les transports de migrants ne se déroulent pas comme les capitaines et armateurs peuvent l’espérer :
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D’autres colonies sont demanderesses d’engagés Indiens, ainsi la Havane, en 1867…








Le bâtiment des Messageries Maritimes à Saigon en 1867, point de départ des annamites vers l’ile de la Réunion.


Le trois-mâts le Lucie disparaitra en baie de Saint-Paul avec ses marins en mars 1868.


La jurisprudence en matière de transport d’engagés


Extraits : Recueil de Jurisprudence coloniale en matière administrative, civile et criminelle -1860 - Charles d'Aubigny - Collection de la bibliothèque des Archives départementales de Guadeloupe et Jurisprudence commerciale et maritime - 1868

Chaque transport d’engagés est soumis à un traité entre le ministère de la Marine et des Colonies et l’armateur.

L’engagement des travailleurs pour les colonies n’est défendu par aucune loi et il se pratique librement malgré les abus dont il peuvent devenir la source, qu’il est autorisé par le traité du 23 octobre 1860 art 9 dans les ports de la Chine ouverts au commerce étranger, que depuis 1862, le Ministre des affaires étrangères est appelé à exercer sur les navires nationaux qui se livrent à des opérations d’émigration, une surveillance générale dont l’objet est d’empêcher les fraudes et les abus auxquels ces opérations pourraient donner lieu.

Comment s’effectue l’attribution des tours de rôle des navires affectés au transport des migrants ?

L’émigration est une matière essentiellement réservée au contrôle et à la surveillance de l’administration qui peut donc user de son pouvoir de décider du mode de répartition des émigrants dans les diverses colonies et selon les circonstances. En conséquence c’est bien à l’autorité locale Saïgonnaise, et donc le commissaire du Gouvernement près l’émigration de Saigon de décider d’inscrire ou non le trois-mâts le Lucie pour un transport d’émigrants vers l’ile de la Réunion et cela afin d’assurer un tour de rôle des navires affectés au transport des migrants vietnamiens. Dans le même temps, le Ministre de colonies peut très bien investir la Compagnie Générale Maritime du droit de transporter un convoi de migrants en choisissant le navire destiné à ce transport, même si le Lucie répond aux conditions d’aménagements intérieur et d’approvisionnement exigées. Dans tous les cas il est nécessaire que l’administration de la marine fasse connaître le nombre des migrants à fournir à l’ile de la Réunion pour l’année 1867. Mais aussi que le capitaine du Lucie, Pierre Neyssensa, est fait sa demande d’inscription avant d’autres navires. On note que le gouverneur de la Réunion peut être fondé à refuser le débarquement de migrants.

Les actes d’engagement des migrants sont soumis au contrôle de l’administration en vue de délivrer les permis d’embarquement. En aucun cas l’armateur ne peut demander de dommages et intérêts dans le cas où le transport est attribué à une société particulière ayant le privilège de l’introduction de migrants sur l’ile de la Réunion.




L'embarquement est contrôlé par des commissions chargées de vérifier l'état et la capacité du navire, l'équipement sanitaire, la quantité et la qualité des vivres pour une traversée de 21 à 36 jours. Le service à bord est assuré par les émigrants eux-mêmes et répond à un planning très précis : dès 4 h. du matin, 25 à 30 hommes lavent le pont, la dunette et les bouteilles des officiers. Chaque matin, visite médicale sur le pont, la cuisine est assurée par des volontaires, les femmes ont le rôle d'infirmières. Selon l'arrêté du 11 juin 1849, les rations journalières de nourritures sont les suivantes : 200 gr. de viande salée, ou 214 gr. de poisson salé, 750 gr. de biscuits ou 1 kg. de riz, 12 gr. de légumes et 3 litres d'eau.



A l’arrivée à la Grande-Chaloupe, près de Saint-Denis, les émigrants sont transbordés du navire, ancré au large, dans de grande chaloupes, parfois au péril de leur vie par mauvais temps.

Une commission vérifie le nombre de passagers, leur identité, contrôle les décès et reçoit les plaintes. L'immigrant est inscrit au « matricule général », registre reprenant son nom, son domicile, son signalement, son lieu de naissance, le lieu où le contrat a été passé, le nom du navire, la date d'arrivée, le domicile de son engagiste, les conditions du contrat.

Après une quarantaine dans un lazaret, établissement insalubre qui sert à la fois de pénitencier pour enfants, d'atelier de discipline, de centre de soins et d'asile pour lépreux. Après 1863, un deuxième lazaret est construit pour faire face à l’afflux d'engagés - article Wikipédia.





Annexe


Je profite de mes recherches effectuées sur le site des Archives Départementales de Nantes en juillet 2019, pour présenter dans cet article la malle vestimentaire d’un matelot du milieu du 19ème siècle, comme ceux que portait Pierre en 1858.

Le capitaine Dufay du trois-mâts Adolphe Lecour, armé à Nantes, est au côté de son équipage, le 22 aout 1865, après le décès du matelot Joseph Lecadre, mort de maladie, lors de l’ouverture de la malle du jeune matelot et présente « les effets, hardes etc… ».

Deux cabans de drap (un manteau court, chaud et imperméable), six chemises de laine, quatre caleçons de laine, un pantalon de toile, un pantalon ciré, deux flanelles (tissu de laine peu serré, doux et pelucheux), une chemise coton, trois vareuses toilées (courte blouse de grosse toile), quatre cache-nez en laine, deux paires de chaussons de laine, trois paires de bas de laine, sept mouchoirs coton, une paire de bottes de mer, une paire de brodequins en cuir, une paire de galoches, une capote cirée, un suroit (chapeau imperméable en toile huilée dont l'arrière descend sur la nuque), un béret, une paire de bottines, deux paires de mitaines en laine (gant qui laisse à nu les deux dernières phalanges des doigts), une casquette, un drap, une casquette cirée, deux cravates en soie, deux rasoirs, trois couteaux, une paire de ciseaux, un tire-point (instrument pointu dont on se sert pour piquer, pour faire des trous), un canif, deux cuillers en fer, trois brosses, deux peignes, un démêloir, Un pommelle (utilisé pour l’apprêt des cuirs courroyés)  et un croc à voile, dix aiguilles à voile, neuf écheveaux de fils (assemblage de fils repliés et réunis par un fil de liage), un jeu de cartes, quatre crayons, une vrille (outil pour visser), un bilame, un poinçon et une couverture.

Les 9 marines sont d’ E Boudin








Quelques vues de Saigon


Les 9 marines sont d'E Boudard






Alfred Neyssensa, mousse à 13 ans et bientôt armateur



Né le 9 janvier 1843 à Nantes, Alfred est élève de l’Ecole Supérieure Professionnelle Communale, présent au tableau d’honneur tout au long du 1er trimestre de l’année scolaire 1854 -1855 en morale religieuse. L’école de Nantes, créée en 1834, est destinée à former un personnel d'encadrement 
« qualifié » pour des entreprises industrielles et commerciales. L’école ferme en 1870.






L’écrivain Jules Vernes, dans Souvenirs d’enfance et de jeunesse, écrit, vers 1890 : « à voir passer tant de navires le besoin de naviguer me dévorait ».

Nantes, en ce milieu du 19ème siècle est un grand port où parviennent les bateaux du monde entier. Nulle « vocation » chez Alfred lorsqu’il s’embarque mousse mais un ensemble de choix effectués en famille, inscrit sur les registres maritimes le 12 aout 1856, à seulement 13 ans.




Registre Maritime - Alfred Neyssensa




L’Archevêque-Affre

Alfred embarque, à Nantes, à bord du trois-mâts l’Archevêque-Affre le 14 août 1856 pour Calcutta, en Inde, par vent d’ouest, « sous une belle brise à la marée, la fraicheur est d’ouest sud- ouest ». Le capitaine Jean-Auguste Saupin, 27 ans, 1 m 68, rémunéré 200 francs par mois, a déjà consulté la carte française indiquant les différents embarcadères du port de Calcutta.



A la même période, Pierre, le frère d’Alfred, parcourt l’océan Indien entre la Réunion et l’Ile Maurice.






La vie Nantaise ce 14 août au soir : Mademoiselle Aline Duval, du Théâtre du Palais Royal, joue dans Monsieur Ravel.








Nantes, à côté des biscuiteries et des conserveries, les établissement Serpette, créés en 1844, vont bientôt armer de nombreux navires destinés à l’importation d’huile de palme d’Afrique. La Compagnie Générale des Omnibus, en 1857, s’installe au 28, rue des Olivettes avec 78 chevaux et 21 voitures.





Le navire porte le nom de l’archevêque de Paris, Denys Affre, tué lors des émeutes de 1848, alors qu'il tentait d'apaiser les insurgés rue du Faubourg-Saint-Antoine.

Construit en 1849, à Chantenay, pour le long-court, il porte 218 tonneaux et appartient au négociant Hyppolite Peltier, 32 rue Voltaire. L’Archevêque-Affre mesure, approximativement, une trentaine de mètres, pour une largeur d’environ 7 mètres. Le capitaine verse 8 mois d’avance aux 12 hommes d’équipage : 915 francs pour les 2 officiers, 240 francs pour l’officier de marine, 195 francs pour l’officier non marinier, 825 francs pour les 5 matelots, 180 francs pour les 2 novices et 45 francs pour Alfred, le mousse. 

L’équipage s’engage à suivre le navire dans toutes les destinations légales jusqu'à son retour en France. 

Les membres d’équipage se nomment : Adolphe Pallon, 40 ans, 2ème capitaine, de Brest, Louis Mahé, 38 ans, maître d’équipe, de Saint Joachim, Jean Leclinche, 39 ans, cuisinier, de Pontivy, débarqué à Calcutta le 8 avril 1857, Guillaume Legoff, 28 ans, de Donges, matelot, un feuillet manquant ne permet pas de connaitre les autres membres d'équipage.

Le trois-mâts sera délaissé sur l’île Maurice quelques années plus tard.

Le navire est commandé par le capitaine Saupin, rôle 665 sur la fiche maritime. Le trois-mâts sort du port de Paimboeuf et dérive sur la rade de Saint-Nazaire, à destination de Cardiff et Calcutta peut-on lire dans l’Union Bretonne du 21 août 1856. 

L’Archevêque- Affre est mis en mer le 23 août et arrive à Cardiff le 1er septembre. Le 3 septembre le navire est à Cardiff pour charger du charbon.

L'activité maritime est le reflet de l'activité générale. Ses chiffres atteignent des chiffres impressionnants. La décadence de la marine à voile s'accentue, on assiste peu à peu au prodigieux développement de la marine à vapeur. Les compagnies de navigation, déjà constituées, augmentent leurs flottes et multiplient leurs lignes. De par le monde se créent de nouvelles stations de charbonnage dont l'Angleterre est le grand pourvoyeur. Le navire quitte le port de Cardiff le 16 septembre.

Malheureusement le navire est de retour au port le 23 septembre après la perte de ses voiles, ancres et chaînes. « Un fort coup de vent en manche de Bristol a failli briser le navire sur la côte »
Par chance, Alfred pour son 1er voyage, est en bonne santé. Le 24 septembre le navire est en relâche forcée. Le navire fera voile au premier beau temps. Le trois-mâts quitte à nouveau Cardiff le 6 octobre. Le 17 novembre, par latitude 6 degrés sud et longitude 24 degrés ouest, l’Archevêque-Affre est rencontré par le navire Mary Harrison arrivé dans les Dunes.

Après un voyage de plus de cinq mois, L’Archevêque Affre accoste le 23 mars sur les quais de Calcutta puis, est mis en charge le 16 avril 1857, après avoir été accompagné par un navire indien, de l’entrée de l’estuaire jusqu’à Calcutta, et, pour le retour, de Calcutta à l’ile de Sagor, sur près de 200 kilomètres en remontant le fleuve Hooghly, affluent du mythique Gange. Le 19 avril 1857, le navire est en charge sur les quais.


Le Gange est l’une des sept rivières sacrées de l’Inde. Il prend sa source dans l’Himalaya et se jette dans le golfe du Bengale formant un important delta.

A Calcutta il change de nom pour s’appeler Hooghly et devient une rivière dangereuse dont les fonds changent en permanence.

La navigabilité de l’Hooghly est favorable à l'implantation de comptoirs coloniaux par les Portugais, à Hooghly-Bandel, puis les Britanniques à Calcutta, les Français à Chandernagor et les Hollandais à Chinsura. Le passage du trois-mâts à Chandernagor n’est pas impossible entre mars et avril mais aucune mention dans l’Union Bretonne.

Le « 20 avril les trois mats est mis en mer de Sagor pour les iles Maurice et la Réunion ».

Port de Calcutta

Calcutta

Calcutta


Trois-mâts dans le port de Calcutta

Aucune information n’est disponible quant à la cargaison que transporte l’Archevêque-Affre. Peut-être transporte-t-il du riz, de l’huile de ricin, des caisses de saindoux ou de rhum, ou peut-être des cigares de Manille, de l’indigo ou des cordages, du blé …. Des fruits comme le tamarin ou des graines d’anis, des caisses de piment, curcuma ou muscade ….

Calcutta est le plus ancien port fluvial d’Inde, construit par la Compagnie Britannique des Indes orientales. Après l'abolition de l'esclavage en 1833, un demi-million d'Indiens quittent leur pays pour l’ile Maurice, la Guyane, les Caraïbes pour travailler dans les plantations de canne à sucre.

En parcourant la littérature du début du 19ème siècle, on se rapproche très certainement des sensations qu’Alfred pu ressentir en découvrant pour la première fois le delta du Gange, le fleuve Hooghly, puis Calcutta.

La vie de Madame Henriette Winslow, nous conte son arrivée en vue de l’ile de Sagar, en 1819. 

« L’ile de Sangor (Sagar) fut la première qui se présenta à mes yeux : elle est fort basse et unie, couverte d’une jungle ou épaisse forêt d’arbre peu élevés qui semblent plantés dans la mer. En remontant le fleuve Hooghly, dans la direction de Calcutta, l’aspect que présentent les deux rives est très uniforme, le pays est plat, peu varié cependant il a quelque chose d’agréable je dirai même d’enchanteur pour ceux qui pendant près de quatre mois n’ont vu autre chose que le ciel et l’eau, surtout s’ils abordent pour la première fois dans le climat des tropiques. C’est la terre du soleil. L’éclat et la transparence de l’atmosphère, le luxe et la fraîcheur de la végétation, le caractère tout nouveau des arbres et des plantes et des fleurs, les huttes de terre ou de bambous des natifs dispersés sur les bords de la rivière, ou réunit sous l’ombre des palmiers, les temples de pierre qui élèvent leurs dômes blancs au milieu du vert feuillage du cocotier et du bananier.


Le spectateur se trouve transporté comme dans un nouveau monde et quand il se voit entouré de ces grossiers canots affilés à chaque bout remplis de sauvages à demi-nus qui l’étourdissent par leur langage étrange et leurs bruyantes clameurs lorsqu’ils s’efforcent d’atteindre le navire. En 1819, au-delà de Diamond-Harbor, où stationnent tous les grands vaisseaux qui ne peuvent monter plus haut, le paysage est très pittoresque, près de Garden Beach, on voit d’un côté, les  vastes jardins botaniques de la Compagnie des Indes, sur l’autre rive sont situés de splendides maisons de campagne, et en face, à quelques milles, se présente Calcutta, la cité des Palais, dominée par son immense fort de mille canons, la magnifique maison du gouvernement avec une large esplanade entre elle et le fort, et une forêt de navires dans le port. Tous ces objets ont une grandeur et une beauté inexprimables ».



Il est fort à parier que quelques membres d’équipage aient conté à Alfred ce qui se passait sur l’ile de Sagor depuis des siècles, pour l’effrayer bien sûr, et, inspirés par l’ouvrage de Mc McCarthy, en 1821, dans Choix de Voyage dans les quatre parties du monde depuis 1806, 

« Nous quittâmes notre vaisseau et entrâmes dans l’embarcation d’un pilote. Rien de plus mélancolique que l’embouchure de l’Hooghly. A l’ouest de redoutable brisants s’étendent aussi loin que l’œil peut atteindre, et l’on est entouré de requins et de crocodiles. Mais c’est à l’est que se présente le plus horrible, l’ile basse et noire de Sagar. L’aspect seul de la sombre jungle qui la couvre imprime la terreur. Vous croyez que c’est un simple nid de serpents, un repaire de tigres ; c’est bien pire, c’est d’année en année le théâtre de nombreux sacrifices de victimes humaines. Toute la vigilance du gouvernement britannique ne suffit pas pour les prévenir ».

Ou peut-être inspirés par la Gazette des Journaux du 5 juillet 1833, dans Mœurs du Gange, où l’on raconte que « les habitants de l’ile lié par le vœu d’un pèlerinage sur un point de leur côté où ils jetaient un de leurs nouveau nés à la mer pour y être dévoré par les requins dans l’espérance d’obtenir un très grand nombre d’autres enfants. Une loi du gouvernement du Bengale, en 1802, abolit avec beaucoup de ménagement cette coutume ».

Alfred quitte les rivages indiens et la révolte cipaye (soldat indien servant dans l’armée britannique). Débutée en 1857, ce soulèvement populaire contre la Compagnie Anglaise des Indes Orientales, peut être considéré comme la première guerre d'indépendance indienne. La révolte commence par une mutinerie des cipayes de l'armée de la Compagnie Anglaise des Indes Orientales le 10 mai 1857 dans la ville de Meerut, laquelle entraîna un soulèvement populaire dans le Nord et le centre de l'Inde. Les principaux combats eurent lieu dans les États actuels de l'Uta Pradesh, du Bihar, dans le Nord du Madhya Pradesh et dans la région de Delhi. La rébellion menaça grandement le pouvoir de la Compagnie dans la région et ne fut écrasée qu'avec la chute de Gwalior le 20 juin 1858.

L’Archevêque-Affre arrive le 3 juin 1857 à Port-Louis puis passe en rade sur l’ile Maurice. Le 18 juin, on apprend que la cargaison de riz de l’Archevêque-Affre est toujours invendue. A moins que cela ne soit la conséquence du surplus des ventes des navires précédemment parvenus à Port-Louis, l’Immaculée Conception, le Travancore et l’Union qui ont déjà vendu leurs cargaisons de riz. 

Le 23 juin, l’Archevêque-Affre prend quelques passagers pour la Réunion - Saint Denis : Mademoiselle Marie Ernestine Bessel, Madame veuve Emile Pascau, Mademoiselle Perrine Ancelot et Mademoiselle Julienne Fialdesse.

Le 24 juin, parti le matin de Port-Louis, Alfred aperçoit en fin d’après-midi, la rade de Saint- Paul sur l’ile de la Réunion. Le navire est chargé de lest. « Courant juin, pour la France, deux navires seulement se sont mis en charge à Saint-Paul de la Réunion, l’Archevêque-Affre et l’Amélia, ces navires ont dès à présent une bonne partie de leur chargement assurée à 100 francs et 5 centimes ».
Le 9 septembre 1857 « trois navires seulement se sont expédiés avec des sucres nouveaux. Ils ont tous trois étés dirigés sur Nantes » et leurs chargements se sont composés comme suit :

Archevêque-Affre 308 kilos, Alphonse, 598 kilos et Guesseline, 312 kilos.

Le rôle de bord mentionne la présence à bord du trois-mâts de « douceurs coloniales » à destination de Nantes.

Le 18 septembre, par beau temps et jolie brise, Alfred, le capitaine J. A. Saupin, et l’équipage arrivent en vue du port de Nantes et seront bientôt enregistrés sous le numéro 1003. Alfred aura passé 15 mois et 5 jours en mer.

Quelques nouvelles d’Inde : « A Delhi, les Anglais quittent la ville, l’épidémie de choléra progressant, trois régiments s’insurgent à Dinapore, la révolte de Kolapore est étouffée. En Inde Française, le pays jouit de la plus profonde tranquillité, l’organisation des milices se fait d’une manière régulière à Pondichéry ».

Alfred attend le retour de Pierre, en mer des Caraïbes, pour le 18 février 1858. Pierre reprend la mer le 31 mars, puis c’est un nouveau départ pour Alfred, le 25 avril 1858, à destination de Bombay, en Inde, en réalité Calcutta.




Le Jouteur

C’est un trois-mâts construit récemment qui va emmener Alfred, 15 ans, vers d’autres horizons …. Le Jouteur, 670 tonneaux, donc beaucoup plus long que l’Archevêque-Affre, est construit en 1853 construit à Nantes, appartenant à la compagnie Gabriel Lauriol et, faisant partie d’une flotte de navires réputée d’excellente facture.

« La réussite de Gabriel Lauriol provient pour une large part du négoce, de la traite, du commerce du sucre, et de la spéculation (achat et revente de navires avec bénéfice). Si ses débuts comme armateur et négociant coïncident avec la fin de la traite, le répertoire de T.-J.-F. Denis, courtier de navires à Nantes, fait mention de relations fréquentes avec le milieu négrier. En effet, après 1830, une nouvelle forme de commerce commence à s’établir à Nantes : La traite indirecte. Il s’agit pour les armateurs d’envoyer des marchandises sur la côte ou dans un pays étranger sans impliquer directement leurs navires dans la traite. Navires qui sont par la suite vendus, par exemple à Madère, pour cause d’innavigabilité, phénomène spécialement nantais. Ainsi, l’un des navires de Gabriel Lauriol, Le Vagabond, est inscrit au répertoire des expéditions négrières françaises à la traite illégale en 1830. Dans les observations, il est noté que ce bâtiment de 150 tonneaux, placé sous les ordres du capitaine Damoiselle, appareille de Nantes le 5 octobre 1830 pour Tampico au Brésil. Or, il est vendu le 24 novembre 1830 à Madère, six semaines seulement après son départ. L’auteur des observations s’interroge donc sur la réalité d’une destination déclarée si « fantaisiste ».

Néanmoins, le sucre reste l’activité la plus importante de la compagnie, ce qui explique le tonnage des navires (en 1860 il arme 3 373 tonneaux), et la destination des expéditions : Bourbon, Batavia, la Côte Coromandel aux Indes… ».

Extrait Archives départementales Loire Atlantique dans Portrait d’un armateur et négociant.

Ville de Nantes

La fiche d’inscription maritime d’Alfred peut être complétée par la fiche matricule du navire le Jouteur qui mentionne l’armement à Saint-Nazaire et le rôle 68 à destination de Bombay affrété par Lauriol le 25 avril 1858.

Le navire doit faire escale par Cardiff avant de traverser l’Atlantique.

L’Union Bretonne indique que 15 765 sacs de sucre en provenance du Jouteur et de la Réunion, provenant d’une « vente ancienne s’applique à la raffinerie », le 2 avril 1857.
Pour ce nouveau voyage vers l’Inde, le capitaine Chauvelon est à la barre. Le Jouteur monte en rade de Saint-Nazaire le 5 mai. Les ventes de sucre du précédent voyage continuent sur le marché Nantais, « 729 sacs Réunion commun du Jouteur, l’article reste en bonne demande, mais avec un peu de baisse dans les prix, et les quantités se sont écoulées cette huitaine, aux cours arrêtés par notre chambre syndicale ».




L’Union Bretonne du 30 octobre mentionne l’arrivée du Jouteur, le 13 septembre 1858, à Port-Louis, île Maurice, en provenance de Cardiff. Alfred a quitté sa famille depuis près de 6 mois.

Le 24 septembre le Jouteur est toujours en rade de Port-Louis. Le 2 décembre le trois-mâts quitte enfin l’ile Maurice pour Calcutta.

Le 9 janvier 1859, le Jouteur est en vue de la côte Indienne et arrive bientôt à Sagar, passe à proximité du temple de Kali, et parvient le 12 janvier à Calcutta, soit 2 mois après son départ de l’ile Maurice. Du 19 au 20 janvier, le trois-mâts charge à son bord, 12 000 sacs de riz, prêt à partir pour la Réunion. Le 8 février le capitaine Chauvelon descend la rivière vers l’île de Sagar. Le 10 février le navire quitte la côte Indienne.

Calcutta
Le 26 avril, la dépêche télégraphique « Malle de l’Inde » nous apprend que le navire est arrivé à l’île Maurice. En raison de l’épidémie de choléra, débutée le 17 mars 1859, importée d’Afrique, le navire n’accostera pas à la Réunion. Il repart pour Moulmein, en Birmanie, le 19 mai, pays ouvert aux bateaux de commerce Français depuis le 17 août 1859.

De son côté, Pierre, son frère, embarque le 25 janvier 1859 à bord du trois-mâts le Jean Victor, à destination de l’île Maurice. Pierre est débarqué à Saint-Nazaire le 18 mars 1859. Embarqué à nouveau, matelot, le 18 novembre 1859 sur le trois-mâts l’Orion, à destination de l’ile Maurice. Le 9 décembre 1859, l’Orion, quitte l’île Maurice à destination de Belle-Isle. Le navire est à quai le 3 mars 1860, au port de Saint Nazaire. Alfred et Pierre ne purent se rencontrer à Port-Louis.

On ne trouve pas mention de la cargaison du Jouteur dans la presse régionale, au départ de Port-Louis, et au retour sur l’île le 9 octobre. Il repart le 12 octobre pour Toulon, un délai très court pour décharger et charger une nouvelle cargaison.

On peut penser que le capitaine Chauvelon a chargé une cargaison de « riz Moulmein » pour l’ile Maurice, à prix réduit, une récolte abondante ayant été annoncée dès novembre 1858 ou peut-être de bois de teck, mais cela est peu probable à la vue de la concurrence des bois indiens. Peut-être le capitaine a-t-il prospecté de nouveaux clients ou fournisseurs. Entre son départ de Port-Louis et son retour de Birmanie, cinq mois auront passé……

Le riz Moulmein dans le Manuel du négociant pour la connaissance des marchandises - 1854. « Le riz Moulmein a l’apparence de l’orge mondé. Grain plein, arrondi, d’un blanc mat, tirant sur le jaunâtre, un peu brisé ».

Port de Moulmein

Le navire est de retour à Port-Louis le 9 octobre, venant de Moulmein pour Toulon. Le 12 octobre le capitaine Chauvelon part pour Toulon.

L’affréteur du Jouteur : Gabriel Lauriol, dont on sait, grâce à la littérature locale, qu’il arme, dès 1830, un navire négrier, n’a probablement pas armé le Jouteur pour transporter des coolies, embarqués à Calcutta à destination de l’île Maurice, « l’une des îles à sucre ». C’est cependant le trajet précisément emprunté par un autre trois-mâts, le Vauban dont nous allons découvrir les « étranges » transports….

Le Jouteur précède ou suit à quelques semaines d’intervalles, le Vauban, capitaine Hardy, qui participe activement au transfert d’une main d’œuvre indienne à bon marché, en tout cas entre 1856 et 1857. Mais suivons le Vauban durant l’année 1859.

L’Union Bretonne nous indique qu’au mois de janvier 1859, le capitaine Hardy est de retour de la Réunion, avec à son bord, des balles de sucre, de café, des cornes de buffle, dont 422 balles de sucre, pour Gabriel Lauriol et Compagnie, l’affréteur du Jouteur, et une grande partie pour l’affréteur du Vauban, Alexandre Viot. Alexandre Viot destinataire, en 1849, d’une lettre écrite de négociants de Pointe à Pitre qui font allusion à la livraison de « travailleurs » venus d’Afrique. Le capitaine accusé de « traite des noirs » sera acquitté par la cour d’Aix en 1856 qui indique que le fait reste peu fréquent.

En février, « le sac aux lettres du navire le Vauban, capitaine Hardy, allant à la Réunion, touchant à Maurice, sera levé demain, 26 courants, à dix heures ».

Le Vauban est mis en mer le 10 mars au départ de Nantes, arrive à la Réunion le 10 juin, et vend l’ensemble de ses mules. L’épidémie de choléra se termine, apportée quelques semaines auparavant par le navire à aube et à vapeur, le « Mascareignes » et son transport « d’engagés »

Le 13 juillet le navire quitte l’ile de la Réunion pour Calcutta. Le 11 août, le navire parvient à Pondichéry en provenance de Karikal et va relever pour Calcutta où il doit charger pour la Réunion. Le 9 octobre 1859, le navire accoste à Port-Louis, en même temps que le Jouteur.

La thèse de Monsieur Ramsamy-Nadarassin - l’Université de La Réunion, « Les travailleurs indiens sous contrat à la Réunion », entre 1848 et 1948, nous éclaire sur les conditions de transfert des indiens vers les iles à sucre Françaises.



Détournant le monopole de la société d’immigration de Karikal, le capitaine Hardy, en 1856, propose de transporter à bord de son trois-mâts, à destination de la Réunion, des bœufs accompagnés de deux bouviers signant chacun un contrat de travail de 5 ans, en 1857 se sera un transport de chevaux et leurs palefreniers ; comme on peut s’en douter, de nombreux indiens descendaient à quai à Saint-Denis, mais peu d’animaux …… 

C’est ainsi que nombre d’artifices perdurèrent après la fin de l’esclavage, en 1848, dans l’unique but de détourner l’émigration indiennes aux profits de quelques capitaines et planteurs. Au grès des réglementations, entre 1849 et 1860, la société d’émigration de Pondichéry recruta 46129 indiens pour la Réunion, originaires pour la plupart du Bihar, au nord-est de l’inde ; l’afflux des « Calcuttas », comme on les nomme sur l’ile, aidera sensiblement à l’accroissement des surfaces cultivées. En 1859, Calcutta, fut le point de départ d’un grand nombre de travailleurs venant de la région du Bihar, l’un des foyers de la révolte des Cipayes.

Outre l’apport de main d’œuvre indienne, les chefs de clan Africains, peu éloignés de la Réunion, effectuent de régulières razzias au sein des villages de l'intérieur contraignant nombre d’Africains à l’esclavage. Les plus résistants conduits enchaînés vers les trois-mâts à destination des iles sont vendus aux armateurs Réunionnais, la traite après la traite continue sur les exploitations de canne à sucre des colonies Française …….

Cependant, à compter du 15 mars 1859, la Réunion ne peut plus recruter de travailleurs libres d’Afrique, des Comores et de Madagascar.

Le Voyage d’Alfred : plusieurs informations sont absentes ou erronées. Le navire est censé accoster à Bombay, or, il est à quai à Calcutta en janvier 1859. Le nom du capitaine n’apparaît pas sur la fiche du navire, mais cela n’est pas exceptionnel, par contre ce qui est plus intriguant, au regard de la fiche maritime d’Alfred, c’est le peu de mois pris en compte pour sa carrière de mousse, il est noté 8 mois et 11 jours de mer, or, Alfred s’est absenté de France, plus de 20 mois, les périodes à quai n’ont-elles pas été prises en compte ?

Moulmein est une destination qui n’est mentionnée que 3 fois en 1860 dans la l’Union Bretonne, donc une destination inhabituelle à l’époque. Seuls quelques navires transportent des bois de construction vers la France….

Quelques années plus tard : nous sommes en 1882, les autorités de la Guadeloupe rejettent une proposition de l’armateur Nantais Gabriel Lauriol consistant « à se réserver le transport pendant une durée de 4 ans des émigrants recrutés à Pondichéry » dans le but de diminuer la cherté de l’affrètement pour les colonies.

Quais de Toulon

Le 5 janvier 1860, le trois-mâts, le Jouteur, avec à son bord, Alfred, « porté novice » pendant le voyage - folio 838 – 3340, accoste sur les quais de Toulon. Le navire a-t-il transporté des engagés indiens pour l’ile Maurice au départ de Calcutta ? Délicat de l’affirmer.

Alfred rejoint, entre janvier et février, Pierre et Marie, ses parents, ses frères et sœurs, Hippolyte, Louise, Marie, et Rose-Marie.

Le rôle de bord pour ce voyage n’existe pas car le navire a été désarmé à Toulon.

Voici ce que mentionne, en 1868, le rôle de bord du navire l’Auffredy, à destination de Saigon, dont le propriétaire n’est autre que Gabriel Lauriol « l’équipage s’engage à effectuer les voyages et transports d’émigrants ou coolies, sans augmentation de salaires ni débarquements en cours de voyage ».  L’esclavage est aboli, l’engagisme le remplace ……… L’Auffredy effectue un nouveau voyage en 1869 avec des conditions d’engagement identiques.



La Mairie de Nantes vote le 9 février 1860, l’exposition nationale de 1861.


La Sarah

Le 3 mars la Sarah « après avoir donné en Loire, entre dans le bassin », le capitaine Rochet en provenance de Cayenne et Haïti, est à la consignation de Monsieur Demange, armateur.





Alfred ne peut assister au mariage de sa sœur, Rose-Marie et Adolphe l’Hermie, chapelier, le 17 avril 1860.

Leur fille Marguerite Françoise l’Hermies se marie le 25 aout 1885 avec Tatius Renier - ci-dessous.




Alfred, le 1er avril 1860, embarque à bord de La Sarah, capitaine Rochet, pour un voyage au long-cours à destination de Cayenne en Guyane. La Sarah est un trois-mâts construit en 1846, d’un port de 321 tonneaux. Il appartient au négociant Théodore Hardouin, habitant Nantes. En 14 années le nombre de destinations du navire est impressionnant : dès 1846 le navire part pour les iles Bourbon, Maurice et Réunion, Calcutta, la Guadeloupe, Montevideo, la Martinique, Trinidad sur l’ile de Cuba, et Cayenne. Le nom la Sarah a-t-il un lien avec Sarah Hardouin, la fille du négociant, épouse de Gabriel Lauriol décédée le 30 avril 1870 ?

Théophile Rochet, 31 ans, est capitaine, originaire de Paimboeuf. 

Louis Rochet, 32 ans, frère de Théophile, est né à Paimboeuf, second capitaine. Jean Cochet, maître d’équipe, 33 ans, né à Triganon, Charles Letourneau, 30 ans originaire de Paimboeuf, maître de chargement, « doit pour frais de prison et d’arrestation et de remplacement la somme de 55 francs ». Joseph Leconte, 32 ans, matelot, « doit pour frais de remplacement, 7 francs 50 centimes », Julien Marie Thomas, 44 ans, né à Pouliguen, matelot, « hôpital à Cayenne le 22 mai, sorti le 8 juin, a reçu à Cayenne la somme de 6 francs », Julien Mahé, 47 ans, né à Saint-André des eaux, matelot, Auguste Victor Legris, 33 ans, né à Paimboeuf, matelot, François Rivaud, 48 ans, matelot, Auguste xxx, né à Port au Prince, en Haïti, âgé de 17 ans, novice, et Alfred Neyssensa, 17 ans, novice, Clément Baras, 19 ans, originaire de Paimboeuf, novice, Théodore Pierre Musset, né à Saint-Père en Retz, 14 ans, mousse, et Pierre Louis Guillière, 21 ans, cuisinier, né à Saint Père en Retz.

Inscription Marititme


Rôle de bord - décompte de l'équipage de la Sarah


Rôle de bord - nombre de marins à bord de la Sarah


Rôle de bord - avances faîtes à l'équipage de la Sarah


Trois passagers sont embarqués à Saint-Nazaire, Jules-Alexandre Oui, pharmacien de 3ème classe, né à Rochefort, débarqué à Cayenne le 8 mai, muni d’une feuille de route délivrée à Brest par le commissaire aux revues, Pierron, garde du génie de 2ème classe, muni d’une feuille de route délivrée par l’intendant militaire, et Hyppolite Feningre, 45 ans, originaire de Nevers, pharmacien auxiliaire de 3ème classe, muni d’une feuille de route délivrée à Paris par le Directeur Général.

Découvrons quelques informations sur ces trois passagers

Jules-Alexandre Oui, est cité dans le bulletin officiel de la Guyane Française, pour sa démission par décret du 19 avril 1863 du grade de pharmacien de 3ème classe à la fin de son temps de service, puis pour son transport le 5 juin 1863 par la voie des paquebots Français de Saint-Nazaire et enfin dans le « répertoire des travaux des médecins et des pharmaciens de la Marine Française » en 1874, pour sa synthèse de pharmacie et de chimie réalisée à Montpellier en 1864.

La table décennale du bulletin officiel de la Guyane Française, entre 1857 et 1866, cite Monsieur Nicolas Pierron, garde du Génie, en 1860, « destiné à la Guyane, nommé commandant en second de Saint-Laurent, pour son passage du grade de 2ème classe au grade de 1ère classe de soin grade », puis en 1865 pour sa nomination au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur, pour ses 16 ans de service effectif et 13 ans de campagnes.

Quant à Hyppolite Feningre, par décision 385, après à sa démission, au terme de son temps passé en qualité de pharmacien auxiliaire de 3ème classe de la marine, il est autorisé à « prendre passage pour la France sur la frégate à batteries La Cérès ».

Hyppolite Feningre dans son ouvrage « Guyane française. De la transportation et des établissements pénitenciers » édité en 1864, décrit son arrivée en rade de Cayenne. C’est en compagnie d’Alfred Neyssensa, qu’Hyppolite découvre pour la première fois, le 8 mai 1860, à bord du trois-mâts la Sarah, 

« un admirable rideau de palétuviers, qui plongent dans la mer l’extrémité de leurs longues racines, borne de tous cotés l’horizon, et forme l’entrée de la rade, à droite, sur le second plan, se dresse la montagne Tigre, et au fond s’élève en amphithéâtre la ville de Cayenne. L’aspect d’une végétation vigoureuse et luxuriante, repose agréablement la vue du navigateur fatigué par une longue traversée, et ce panorama verdoyant qui s’offre aux premiers regards dans toute sa fraîcheur, prévient tout d’abord en faveur de la nature du climat. On peut supposer que derrière ces palétuviers vont se dérouler de riantes et fertiles vallées ; mais la nature ne recouvre ce sol rougeâtre et sablonneux d’une brillante parure que pour mieux en cacher l’infécondité relative. A la marée haute, le port de Cayenne n’a qu’une profondeur de quatre ou cinq mètres ; aussi les navires de guerre ou de commerce ne jaugeant pas moins de cinq cents tonneaux, mouillent très au large, et presque tous doivent jeter l’ancre aux îles du Salut. Le fond est très vaseux, et les terribles raz-de-marée, qui règnent dans cette partie de l’Océan, remuent constamment et charrient vers le rivage une boue fétide, dont les émanations délétères sont une des principales causes de l’insalubrité de la Guyane Française, principalement dans les terrains bas qui avoisinent la mer, et sur lesquels nous sommes établis.

Débarcadère de Cayenne

Lorsque l’on découvre la ville, on distingue, tout d’abord, l’hôpital de la marine, le fort, et le débarcadère. L’aspect de ces trois constructions, indices de la civilisation européenne, leur architecture massive et monotone, loin d’égayer l’âme, l’attristent, et semblent faire honte à cette magnifique végétation, qui apparaît dans toute sa sauvage splendeur.

La rue principale est sombre, sale et mal pavée. De chaque côté, des cases en bois s'échelonnent sur une pente escarpée, et l'on arrive à la ville moderne à travers un dédale de maisons qui n'ont pas même le mérite d'être pittoresques : ici l'aspect change, les habitations sont en bois et construites presque avec élégance, les rues sont droites, mais tristes, silencieuses, et sans aucun arbre contre les rayons du soleil. La ville de Cayenne manque complètement d'eau potable, bien qu'elle ait à proximité, une fontaine fraîche, saine et abondante. On doit regretter que l'édilité ne fasse aucun sacrifice pour transformer en petits canaux d'eau courante cette source, qui procurerait à la ville une fraîcheur salutaire, et d'autant plus indispensable qu'il est impossible, comme nous venons de le dire, de se garantir des rayons d'un soleil torride reflétés par une terre rougeâtre et pulvérulente ».

La conclusion de l’ouvrage est sans appel et extrêmement critique sur la façon dont la France administre la colonie Guyanaise…. Et ses « transportés ».

Transportés au repos

Rade de Cayenne vu de la Sarah


Internement des transportées

L’ensemble de ces éléments composent le rôle de bord de la Sarah en 1860.

« Le sac aux lettres du trois-mâts Sarah, capitaine Rochet allant à Cayenne et Haïti, sera levé vendredi 3 avril courant à 10 heures du matin, courtier, Van Heddechem-Goupilleau ».

Alfred à l’aube du 8 mai découvre les îles du Salut, l’ile du Diable et son hôpital, puis l’île Saint-Joseph, et son cimetière.





Les voiles de la Sarah sont orientées vers Cayenne ; Alfred observe, du pont, le dur labeur des « transportés », déchargeant le trois-mâts. Les forçats du bagne de Cayenne, victimes de châtiments inhumains, de la malaria, et de mauvais traitements quotidiens, furent 17000 transportés entre 1854 et 1867, 7000 survivront. L’espérance de vie d’un détenu ne dépasse pas les 5 années. Ils travaillent à la réfection des routes, à l’assainissement des marais ou à l’entretien des installations portuaires, dans les fonderies, aux forges …

Le 8 mai, le navire accoste au quai de Cayenne et va relever pour les Gonaïves en Haïti. Les pluies torrentielles retardent les chargements et les déchargements des navires.

En réalité les bagnards sont destinés à la colonisation du territoire. En effet, pour toute peine inférieure à 8 ans les bagnards sont assignés à résidence pour le temps équivalent à la peine, au-delà de 8 ans, le forçat ne peut retourner en métropole, on lui octroi quelques lopins de terre. Ainsi, les transportés assurent le peuplement de la Guyane. C’est après la fermeture du bagne de Rochefort que le bagne de Guyane est créé en 1852, alimenté par la suite par la fermeture de ceux de Brest et Toulon.


Lors du passage du trois-mâts la Sarah, au large de l’ile du Diable, Louis Charles Delescluze, journaliste français et membre important de la Commune de Paris est en cours de détention politique. En avril 1850, il est condamné à trois ans de prison, s'enfuit en Angleterre et continue son travail de journaliste. Rentré clandestinement à Paris en 1853, il est arrêté puis condamné à quatre ans de prison et dix ans d'interdiction de séjour. Il est détenu, entre autres, à Cayenne. Arrivé en Guyane le 16 octobre 1858 il est amené sur l'île du Diable, séjour des détenus politiques. Il quitte la Guyane en novembre 1860.






Bagnards aux cuisines

Bagnards au déchargement de la Sarah

 Bagnards à l'entretien des voies de chemin de fer

Bagnards de Cayenne sur la place

En 1895, la détention d'Alfred Dreyfus 
sur l’île du Diable.


Acajou
Campêche
Le 9 juin, le trois-mâts quitte Cayenne et son climat humide puis « touche » la Guadeloupe à Pointe à Pitre plus exactement. Le 27 juin, la Sarah parvient aux Gonaïves, le navire est en charge les 5 et 6 juillet d’acajou et de campêche pour le Havre.

L’acajou est un arbre lourdement exploité aux 18ème et 19ème siècle pour l'exportation de son bois particulièrement en Europe pour la réalisation de meubles de qualité - Wikipédia.
Le campêche est un petit arbre tropical destiné à produire de la teinture pour tissu, laine soie ou coton. On extrait du cœur de bois l’hématite devenant rouge vif par exposition à l’air libre – Wikipédia - stockage et pesage de Campêche.

Le port de Gonaïves réceptionnait de nombreux produits agricoles provenant de la plaine de l’Artibonite comme le café, la canne à sucre, le riz, le coton, et le bois de gaïac.

Stockage de Campêche

Le bois de campêche, si cela n’est pas stipulé par écrit dans une clause particulière, peut-être livré non scié.

Le 18 juillet le navire est toujours à quai.


Moulin à canne à sucre

Triage du café

Port d’Haïti

Rue de Port au Prince


Le trois-mâts parvient à Saint-Nazaire, le 11 aout 1860 et décharge des sacs de café, des ballotins de café, des cuirs secs et des greniers de campêche. Alfred rejoint sa famille.

Le navire la Sarah continue son trajet et accoste au Havre le 16 septembre afin de décharger de l’acajou et des greniers de campêche, puis, prendre en charge pour Nantes, « deux malles d’effets à usage, trois sacs d’effets à usage, trente mille briques, une dame Jeanne de rhum, et soixante-quinze mille cinq cent briques » - Union Bretonne du 11 octobre 1860.

Le 11 octobre 1860, il est indiqué dans l’Union Bretonne, que le Sarah, capitaine Rochet, venu des Gonaïves et du Havre, est à la consignation de Mr Demange, armateur, Van-Heddeghem Goupileau, courtier, pour des marchandises prises aux Gonaïves et au Havre.

Sont à vendre, au porteur, 8 sacs de café, 1 ballotin de café, 92 cuirs secs et 1 grenier de campêche des Gonaïves.

Alfred, de septembre à décembre 1860, est de nouveau rue Cassini en famille et peut enfin échanger avec son frère, Pierre, de retour de l’île Maurice depuis le mois de mars. Pierre va rejoindre le port de Lorient le 23 septembre, lieutenant à bord de la gabare militaire, le Cormoran, à destination du Sénégal et de la Guyane.


Le Borromée

Un équipage pas très recommandable :

Le 29 janvier 1861, Alfred rejoint le port de Nantes et son nouveau trois-mâts, le Borromée, pour un voyage à destination de Pointe à Pitre en Guadeloupe.


Pointe à Pitre en Guadeloupe

Le navire est construit à Nantes en 1852, d’un port de 246 tonneaux, son propriétaire se nomme Charles Martin Liancour, 3 rue  d’équipe, Charles Viaud, matelot, Jean Ripeau, matelot, Prosper Carau, cuisinier, qui « doit pour frais d’arrestation, la somme de 3 francs », Auguste Guyot, cuisinier, Alfred a perçu à Porto-Cabello la somme de 75 centimes, Louis Papon, novice, Jean Emeriau, mousse, Clément Moyon, matelot, « doit pour frais d’arrestation, frais de prison, la somme de 13 francs, 3 journées à bord », Adolphe Savar, matelot, « doit pour 1 journée d’ouvrier, doit pour frais d’arrestation et journée à bord, la somme de 24 francs 50 centimes », Alexandre Tulleau, matelot, « doit pour frais d’arrestation, 8 journées d’ouvriers, la somme de 13 francs », Joseph Le Breton, muletier, à « perçu la somme de 6 francs, pour frais de présence et de remplacement ».

Le 1er février, le Borromée, capitaine Charles Duval, 40 ans, originaire de Nantes, « dérive en rade de Paimboeuf par temps calme et la présence d’un brouillard très épais toute la journée. Le Borromée passe au large de Belle-Isle le 23 février à 2 heures. Le temps est au grand vent de nord-ouest et à la pluie ». Le 2 mai 1861 le navire parvient à Pointe à Pitre après 3 mois de voyage en Atlantique Nord. Le chargement est composé de « diverses marchandises ». Treize hommes d’équipages sont à bord. 

Le 6 mai le navire quitte la Guadeloupe pour Porto-Cabello chargé de lest.

Peut-être s’agit-il des marchandises les plus communément exportées comme, les viandes grillées, le beurre salé, le saindoux, le poisson mariné à l’huile, l’avoine, le pain et  les biscuits de mer, les pommes de terre, les légumes et fruits secs, le sucre raffiné, l’huile d’olive, els tourteaux de graines oléagineuse, les ardoises, le zinc laminé, les savons ordinaires, les chandelles, les vins de la Gironde, la bière, des ouvrages en peau de cuir, de l’orfèvrerie d’argent, mercerie, ou les pièces de lingerie et d’habillement.

A l’inverse les marchandises importées de Guadeloupe vers la France, étaient, les peaux brutes et fraîches, les écailles de tortue, le sucre brut et raffiné, le cacao, le café, le bois de teinture, le coton en laine et l’eau de vie de mélasse.

Le trois-mâts parvient à la Guaira le 10 mai puis quitte le port le 11 pour Porto-Cabello. Il parvient le 12 mai à Porto-Cabello. Le navire commence son chargement de coton et reprend le large le 13 juin 1861 pour Nantes.

Le Borromée entre en Loire le 20 juillet en provenance de Porto-Cabello. Le 24 juillet, Alfred arrive à quai à Nantes après avoir passé 5 mois et 26 jours en mer.

Nous allons suivre les ventes du Borromée grâce à la presse de l’époque.

Le 3 août, environ 12 000 kilos de bois sont sortis du marché par le Borromée, en vue des cours. Le 13 aout, 263 sacs de café « Porto-Rico » sont vendus pour « le dehors ». Le 17 aout, 348 sacs de café Porto-Cabello, non gragés, et 700 sacs gragés sont sortis du marché à des conditions demeurées secrètes. Le 22 août, une vente publique de café et cacao Porto-Cabello, à l’entrepôt, par le Borromée, portant sur 158 sacs de café et 3 sacs de cacao, « le tout plus ou moins avarié ».

Le 13 septembre, 2985 cuirs Porto-Cabello sont vendus à prix secrets. Le lendemain, ceux sont 1985 cuirs sortent du marché à prix secrets. Ceux sont les dernières ventes du chargement du Borromée.

Alfred n’a pas attendu la fin des ventes du Borromée et quitte Nantes le 10 septembre 1861 pour l’ile de la Réunion. Alfred est âgé de 18 ans et, est devenu matelot sur le Borromée - folio 4703 - n° 2616.





Le Soundary




Septembre 1861 : Alfred est sur le pont du Soundary, le même navire que Pierre pris le 3 mai 1856


Construit en 1855 par le chantier Guibert, jaugeant 485 tonneaux, le trois-mâts appartient à la Compagnie Lecourt et assure la ligne régulière Paris-Nantes-Ile Maurice et la Réunion. Alfred quitte les côtes françaises, les ventes de sucre rapporté par le Soundary, de son précédent voyage à la Réunion sont en cours …. 

Le capitaine Jules Valentin, 37 ans, originaire de Nantes, est à la barre, et met le Soundary en rade et quitte Saint-Nazaire le 18 septembre 1861 pour être mis en mer.

Les 18 hommes d’équipage sont : 

Louis Aubin, second, Léon Enaux, maître d’équipage, Julien Evin, maître de chargement, Thomas Lacroix, cuisinier, Jean Marie Chaumais, muletier, Etienne Rochette, voilier, Jean Baptiste Raimbaud, matelot, Fenelon Pajeot, matelot, Joseph Choupeault, matelot, François Augiseau, matelot, Christiansen Andreas, matelot, Henri Le Gouic, matelot, Jean Conan, novice, Gustave Rezeau, novice, Alfred Neyssensa, novice, Victor Faisnel, novice, Toussaint Derennes, mousse, Honoré Robart, mousse, Vallery, originaire de la Réunion, domestique du capitaine, 22 ans, François Guiho, matelot, en provenance de la Salomée du Havre, embarqué à la Réunion, le 23 janvier 1862, 

« le commissaire de l’inscription maritime à Saint-Louis de la Réunion certifie et déclare que Monsieur Jean François Guiho, récemment embarqué à Saint-Denis sur le trois-mâts la Soundary, n’a manqué ce navire, à son départ, pour Saint-Pierre, que par sa faute et propre faute, s’étant attardé par ivresse et fainéantise et que, s’il est tombé malade en faisant route pour rejoindre le dit navire à Saint-Pierre, ce n’est probablement, que par suite de son intempérance et de ses fatigues, et qu’en tout cas, cette maladie n’a été la conséquence de son absence illégale à bord, en foi de quoi j’ai décidé que …… mention masquée ».

Quelques passagers sont embarqués à Saint-Nazaire, Emile Guiton, commis, qui sera débarqué en octobre 1861 à Saint-Denis de la Réunion, Ehrhardt Hoflender, meunier, embarqué le 9 février 1862 à la Réunion, débarqué le 23 avril le 1862 à Saint-Nazaire.

Le 11 janvier 1862 le Soundary accoste à Saint-Denis de la Réunion puis quitte Saint Paul de la Réunion le 5 février 1862. Le 5 mars, Saint-Denis, « les pluies n’ayant pas étés continuelles, on a pu fabriquer les sucres avec moins de variétés que pendant les mois précédents ». Le Soundary transporte pour Nantes, 610 608 de denrées.

Pour Nantes, 55 navires auront exportés 28158 tonnes de sucre de la récolte de 1861-1862. « La fève de café cessera bientôt de faire partie des denrées d’exportation de la colonie, si la culture va en diminuant chaque année. Il arrivera même que la production ne suffira plus à la consommation locale et que l’on sera obligé d’acheter fort cher les cafés de l’Inde et de Java. Il faut espérer que les propriétaires qui en récoltent encore, ne sacrifieront pas ces derniers vestiges de la prospérité de l’ancien temps, à la canne qui envahit tous les terrains par l’espoir, souvent déçu d’un produit plus avantageux ».

Le Soundary exporte pour Nantes 50 kilos de café au prix de 100 à 110 francs les 50 kilos.

Le 23 avril le trois-mâts entre dans le bassin de Saint-Nazaire. Alfred aura passé 7 mois et 15 jours en mer. Le navire est désarmé à Saint-Nazaire le 24 avril.

Le 26 avril 1862, le trois-mâts est à la consignation de Messieurs Lecour et Cie, armateurs, Denis, courtier. 4722 balles et 1 ballotin de sucre, 63 balles d’orseille et 1 caisse de vanille pour les armateurs. 630 balles de sucre pour Haentjens, 2400 balles de sucre pour Vincent, et 386 pour Floris et Heuriaux et Cie, au porteur, 550 et 200 balles de sucre, 94 balles de sucre pour Gaveaux jeune et fils, 103 pour Lafargue fils, et 10 ballotins de sucre pour Simon et Moussion. 63 balles d’orseille font partie du chargement.

L'orseille est une substance colorante de couleur violette extraite de certains lichens, Pendant plusieurs siècles, de la récolte des lichens à la teinturerie ou l'azurage (de la laine surtout), l'industrie de l'orseille représenta une activité économique localement florissante, jusque vers la fin du 19ème siècle – Wikipédia.

Le 15 mai, « 10 ballotins de café Réunion, fève ronde, sont vendus à 157,50 francs les 50 kilos ». Le lendemain, « 200 sacs de sucre dito dito sont vendus à 38 francs 50 sur échantillon pour la raffinerie locale ». Le 31 mai, « 169 sacs commun sont vendus à 38 francs 50, le 7 juin, 217 sacs de sucre Réunion à 46 francs 25 sont vendus sur échantillon », le 7 juin, « 630 sacs de basse nuance de sucre sont vendus sur échantillon, et 217 sacs pour l’épicerie à 46 francs 25 sur échantillon ». Le 21 juin, on peut lire dans l’Union Bretonne, « la situation de notre marché pour les sucres ne s’améliore pas, et les ventes opérées pendant ces derniers huit jours ne dénotent pas de valeur dans les cours. Par contre les arrivages ont encore eu quelque importance, on note 1600 sacs de gros grains de sucre sont vendus à 51 francs sur échantillon ».

Le Soundary aura ainsi écoulé l’ensemble de sa cargaison en 2 mois.


Le Soundary

C’est à bord du Soundary, qu’Alfred embarque à nouveau le 14 mai 1862 à destination de la Réunion. 

Le navire est armé à Nantes le 14 mai sous le numéro 461. 

Le 23 mai au matin le navire est en rade de Saint-Nazaire et mis en mer le 25 mai par le capitaine Valentin. Le navire embarque des mules à son bord, Jean Marie Chaumais en assure la garde tout au long du voyage jusqu’à leur vente sur l’ile.

Les 19 hommes d’équipage sont, Louis Aubin, second, François Choby, maitre d’équipage, Thomas Lacroix, cuisinier, Jean Marie Chaumais, muletier, Louis Picault, maitre de déchargement, Jean Marie Vabois, novice, Vallery, 22 ans, domestique, né à la Réunion, Charles Haninet, mousse, Louis Villeneuve, novice, débarqué à Port-Louis, Honoré Hobard, mousse, Mathurin Boabivara, matelot de 3ème classe, Charles Gaborit, matelot, Mathurin Cailloce, matelot, Guillaume Dagorn, matelot, François Guilleux, matelot, François Souvaguet, matelot, Gustave Rezaud, novice, François Chevallier, matelot, Jean Baptiste Bloyet, novice, embarqué à Port Louis, le 19 aout 1862, provenant de l’Harmonie de Nantes, laissé à l’hôpital de Port Louis, pour maladie vénérienne, le 15 septembre 1862.

Sont montés à bord, en sus de l’équipage, Jean-Baptiste Thevenel, horticulteur, débarqué à Port Louis le 9 aout 1862, et Alfred Garguet, marin, lieutenant à bord du Ville de Dieppe, « embarqué à Port-Louis le 25 septembre 1862, rapatrié comme officier, aux frais de l’armement de « la Ville de Dieppe », au Havre, navire naufragé à Calcutta. Cet homme provient de la Célinie de Nantes, sur lequel il avait été embarqué le 23 juillet 1861. Signé par le consul de France à Calcutta pour effectuer son rapatriement ». Le marin est débarqué à Nantes le 13 décembre 1862.

Le 8 août le navire accoste à Port-Louis sur l’île Maurice, « chargé de troupeau de vaches ». Le 9 septembre les trois mats sont toujours à quai sur l’île Maurice et « charge pour Nantes, partie pour compte et cherche du fret pour se compléter à 70 francs ». Le 6 octobre Alfred quitte enfin le quai de Port-Louis chargé de sucre, pour Belle-Ile en mer pour ordre. Les quelques superbes photos de Port-Louis nous transmettent l’atmosphère de la rade à la fin du 19ème siècle.


Port-Louis

En arrivant à Port-Louis, « le capitaine a remis à son arrivée, trois plis, dont il était porteur, un pli pour une croix de chevalier de la légion d’honneur, un pli pour le gouverneur de la Réunion, un troisième pour le commissaire d’inscription ».


De la Réunion, le 8 novembre 1862, on apprend que « le Soundary va décharger à Nantes 1010 sacs de sucre gros grain à 52 francs 50, même si les affaires se traînent sans activité ». Alfred parvient à Saint-Nazaire le 13 décembre après 6 mois et 24 jours en mer. Le navire est à peine à quai que son nouveau départ est annoncé pour le 5 janvier 1963. Les ventes du Soundary à Nantes, avec le 13 décembre, « ont été placés pour la chaudière, le chargement à introduire par le Soundary et se composant de 7993 sacs de sucre Maurice, au prix de 52 francs 75, sur échantillon, quittance chez l’acheteur ».

Le reste de la cargaison se compose de : « 333 morceaux de bois d’ébène, de balle de sucre, de caisse d’objets divers, d’une caisse d’objets de curiosité, et une caisse d’histoire naturelle ».

Le Soundary doit repartir à destination de l’île de la Réunion début janvier 1863. Alfred est inscrit sur le rôle d’équipage. Pourtant Alfred ne sera pas du voyage, en effet, « cet embarquement est annulé suite à la maladie de ce marin qui a rendu ses avances ».



Sa décision de ne plus prendre la mer intervient en effet courant 1863. Est-ce à cause des dangers rencontrés tout au long de ces 6 années passées qu’Alfred met un terme à sa carrière de matelot ?
Alfred, 20 ans, quitte Nantes pour Lorient le 13 mai 1863, pour rejoindre la 2ème compagnie de dépôt, 2ème section, numéro 898, de l’artillerie de Marine du Second Empire. 

Envoyé en congé temporaire sans solde le 1er avril 1864 en attendant sa radiation. C’est bien le 30 mai 1863 qu’Alfred décide de renoncer à la navigation.
Le 17 novembre 1869 les navires ne franchirent plus le Cap de Bonne Espérance pour rejoindre l’océan Indien mais empruntèrent dorénavant le canal de Suez.

Le Soundary, quelques années après ……

« Après une chute du baromètre le 15 février 1872, Le Soundary subit quelques avaries, le 16, le cyclone était dans toute sa force, épargnant l’ile Saint Denis, mais maltraitant Saint-Paul, Saint-Gilles et Saint-Leu. Les cirques de l’intérieur sont saccagés, combien de navires qui avaient fui allaient revenir ? ».


Nantes milieu du 19ème siècle

Napoléon III
Prospérité et progrès social marquent les premières années du règne de Napoléon III : Les luttes politiques s’estompent, le climat social s’améliore et les progrès techniques s’accélèrent. Les finances publiques sont florissantes, les villes changent : A Nantes, comme ailleurs, selon l’influence parisienne d’Haussmann, on détruit des quartiers insalubres, on perce de nouvelles rues, on créé des places splendides et on construit des monuments publics…Le service d’eau est installé, les rues sont pavées et éclairées au gaz, les grands magasins apparaissent. L’hygiène et le confort progressent, bien que les écarts se creusent entre la bourgeoisie aisée et les classes laborieuses.  
      
. Tandis que la construction navale tend à décliner, d’autres activités liées à l’arrivée du rail facilitant les échanges émergent, telles la métallurgie et l’industrie agro-alimentaire. Les fabriques de textiles et les raffineries de sucre prospèrent mais commencent à être concurrencées par des entreprises de la région parisienne ou du Nord. Pourtant la ville est bien décidée à tenir son rang.










La majeure partie des références citées dans cet article, pour les années 1854 à 1864, sont extraites des archives numérisées des Archives Départementales de la Loire.


Alfred, après 1864 :

Frère de Pierre, Alfred nait le 9 janvier 1843 et se marie le 7 juillet 1869 à Nantes avec Marie Jeanne Monnier, rentière, fille de feux Julien Monnier, négociant, et Justine Guillemet. Alfred âgé de 26 ans est marchand de fournitures pour navires. Un contrat est signé chez le notaire Nantais, Clavier, le 28 juin 1869. Les témoins du mariage sont Adolphe L’hermie, chapelier, 36 ans, Alfred Giovanetty, architecte, 39 ans, Antoine Moles, propriétaire, 65 ans, Adolphe Champenois, potier d’étain, (fabricant d’ustensile de cuisine), 34 ans.


De l’union nait le 1e aout 1870, Marie qui décède en 1872. Alfred est qualifié tour à tour de marchand puis de négociant. En 1870, le couple habite Quai de la Fosse. Le grand père de Marie, Pierre est entrepreneur de menuiserie.

Alfred Neyssensa reçoit, en 1870, transporté par Le Jacques Paul, venu de Bordeaux, capitaine Dupont - Paquebot de l’Ouest et du Midi, 10 pains de brai. Le brai liquide et chaud remplit les coutures ou les joints entre les bordages d'un bâtiment, pour empêcher les eaux de séjourner ou de pénétrer dans l'intérieur, et préserver l'étoupe de la pourriture. On braie les soutes à pain (biscuit) en étendant du brai chaud sur les planches minces en sapin qui recouvrent le vaigrage du bâtiment, dans l'intérieur des soutes destinées à recevoir le biscuit en galette.

1871 - Le 26 juin 1871, du port d’armement de Nantes, l’armateur Neyssensas Alfred, affrète le navire l’Aufred, bateau marchand à voile, sous commandement du capitaine Derbis. L’armateur Neyssensa travaille pour le compte de l’entreprise de savonnerie Serpette et Cie - 1844 - 1886, négociante en oléagineux Africains. Vers 1870 le commerce des oléagineux Africains devient l’essentiel du commerce avec l’Afrique. L’Aufred transporte, à destination du Dahomey, et des colonies Anglaises de Gambie et de Sierra Leone, des alcools, des vins du Médoc, de la bière Nantaise, mais aussi des salaisons, viande de bœufs, de porcs, et lards. En retour le navire transporte des huiles  de palme, d’arachides et des graines grasses en provenance du Dahomey et de Sierra Leone.


L’Aufred et le cours du fret de Nantes

Le prix du loyer d’un navire est appelé « fret ». Neyssensa Alfred est l’affréteur, le chargeur locatif du navire, et verse le fret au fréteur, Serpette et Cie.

1875 - Alfred Neyssensa crée une nouvelle société d’armement de navires le 31 décembre 1874, 53 quai de la Fosse à Nantes. Le 11 janvier 1875, le tribunal de commerce de Nantes inscrit le dépôt de l’acte de société, folio 31, case 6 par Grégoire. La société  en nom collectif à pour but l’armement de navires et le fret, entre Alfred Neyssensa, négociant et armateur, demeurant à Nantes quai de la Fosse, 53, et Joseph Eugène Colson, propriétaire demeurant également à Nantes, 10 rue du Calvaire. La société est créée pour une durée de 5 ans. La raison sociale est : « A. Neyssensa et E. Colson ». Le capital social est de 139067 francs. La signature sociale appartient à chacun des associés, à l’exception cependant des actes d’affrètements, de ventes ou d’achats de navires, que Monsieur Neyssensa pourra seul valider d’ici 5 ans. Le greffier se nomme Oudin.

1876 - Dinant et Naux, Neyssensa, Lefebvre, Grandmaison, T. Dubigeon et fils ont gain de cause dans un litige les opposant au Comptoir d’escompte de Paris.

1876 – L’Union Bretonne mentionne dans sa revue quotidienne la faillite d’Alfred Neyssensa, armateur, 17 rue Voltaire par jugement du 26 avril 1876.

Par extrait de jugement de séparation de biens, le 14 juin 1876, la dame Joséphine Marie Clémentine Pajot, est déclarée séparée de biens avec le sieur Alfred Neyssensa, armateur, demeurant 19 rues Voltaire.

1877 - L’armateur Neyssensa A. et fils possède les trois navires suivants :

Le brick Argus (1875-1887) cote 3P544 aux Ad de Nantes. « L’Argus, brick neuf, faisant suite à l’Adelaïde, est en charge au quai de Nantes et partira le 10 février. Pour fret et passage, s’adresser à Monsieur Aubert, l’affréteur, ou à Grenet, courtier maritime, 54 quai de la Fosse ». L’Argus effectue une ligne régulière mensuelle entre Nantes et La Réunion - Saint Denis et Saint Paul, l’Argus, capitaine Bachelot est à quai le 14 juin à Saint Denis de la Réunion.

Comme il est indiqué lors de la constitution de la société d’armement Neyssensa et Colson, seul Alfred possède la signature pour l’affrètement.

Le litige entre le courtier Grenet et l’armateur Neyssensa en 1876 porte essentiellement sur la notion d’acquisition du fret du navire l’Argus, et la possession du même navire. L’Argus en 1875 est armé « soi-disant » par Alfred Neyssensa, sous commandement du capitaine Bachelot - in Jurisprudence commerciale et maritime de Nantes.
L’Union Bretonne de janvier indique, que l’affréteur est un nommé Aubert.

Le brick Édith - 400 tonneaux que l’on retrouve le 25 juin 1875 en provenance de Rio de Janeiro, en provenance d’Irlande en septembre 1876 transportant « un grenier de morue verte et vingt et une barriques d’huiles». L’Edith est à Nantes le 3 aout 1878, direct pour la raffinerie, transporte en provenance de la Martinique, 328 balles, 325 quarts et 100 sacs de sucre.

Le trois mâts Sirius - 264 tonneaux. Le mercredi 6 septembre 1876, à la bourse de Nantes, le trois mats Le Sirius est vendu aux enchères publiques : mise à prix 20000 francs. « Ancré à Marseille, construit en 1861, a reçu de grandes réparations, et a été caréné fin 1875, prix de départ, 27000 francs ». L’Argus accoste au port de Saint Nazaire en provenance de Liverpool en aout 1876.

En 1871 Le Sirius, capitaine Garré, arrive à Saint Nazaire avec un chargement de 381 bqs 60 qts de sucre brut, 150 qts 100 sacs sucre d’usine, 97 fûts 20 dames jeanne tafia, 223 peaux salées, 1 gr campêche.

1877 - Alfred Neyssensa fils possède une part de la finance de la charge de courtier maritime de F.A. Grenet.

1884 - Formation de la Société en commandite A. Neyssensa et Cie (ganterie, cravates, nouveautés et bonneterie), 5 rue Y. d'Orléans, pour une durée de 5 années - Capital de 6400 francs. Alfred est commerçant sur les listes électorales de 1897-1893.

1910 : Le Matin – édition de Paris du 4 février

« Sur mandat de M. Drioux, juge d’instruction, M. Poncet commissaire aux délégations judiciaires a arrêté hier dans un hotel de la rue Helder, le nommé Alfred Neyssensa de Lainé, agé de 67 ans, accusé d’avoir vendu avant l’époque fixée des titres qui lui avaient été confiés en rémérés. Il a dèjà subi plusieurs condamnations pour les mêmes faits ».

1911 - On apprend dans la revue La   Presse du 23 février

Détournement de titres

« On a beaucoup parlé, il y a deux ans, d’importants détournements de titres, commis au préjudice de M. Desmazures, administrateur de la Société « le Nickel de la Nouvelle Calédonie » Étaient poursuivis dans cette affaire, un banquier, Eugène Daudet et un certain Alfred Neyssensa, se faisant appeler baron, puis vicomte de Lainé. Après plaidoirie de Maitre Glinel, pour Monsieur Desmazures, partie civile, et de Maitre Couradin, pour M. Neyssensas, le pseudo-vicomte, dont le casier judiciaire était déjà bien garni, a été condamné à six mois de prison et cent francs d'amende.

Quant à Daudet, la même peine a été prononcée contre lui par défaut. Tous deux, sont en outre condamnés solidairement à la restitution de 125.661 francs et à 8.000 francs de dommages et intérêts ». De Laine est issu du nom de jeune fille de sa mère.

1915 : Le Matin - du 15 avril

« Le 30 juin 1914, la chambre correctionnelle condamnait par défaut, M. De Neyssensa, se faisant appeler baron de Laisné, à 18 mois de prison et à 1000 francs d’amende. Le 3 février dernier, la chambre prononçait l’acquittement. Le jugement est renvoyé au 5 mai prochain devant la chambre des appels correctionnels ……. ».

Alliances avec les industriels Nantais

Pierre et son frère, Alfred côtoyèrent, de par leurs métiers et leurs alliances, ces industriels qui façonnèrent l’essor de Nantes au XIXe siècle.

Alfred affrète des navires pour la famille Serpette, fabricant de savonnettes.


Pierre, allié à la famille Lotz : Etienne Lotz, né en 1818, fonde en 1837 une entreprise de mécanique. Il invente la locomotive terrestre à trois roues. En 1849 il est le premier dans l’Ouest, à fabriquer des locomotives et devient le principal fabriquant de machines à vapeur agricoles. Ces locomotives trouveront une application régulière dans plusieurs villes dont Bergerac. Très vite il abandonne la chaudière verticale pour une chaudière horizontale. En 1865 Etienne Lotz réalise une voiture de tourisme à vapeur.

Louis Lotz, 84 ans, est cité dans l’acte de mariage de Pierre et d’Adèle Lotz.

Himmène Lotz, capitaine de navire, est l’oncle maternel par alliance d’Adèle Neyssensa, fille de Pierre et d’Adèle Lotz, née en 1870.


Les procès d’Alfred Neyssensa

Les quatre décisions de justice rendues par le tribunal de commerce de Nantes, après la faillite d’Alfred Neyssensa, relatives à des questions juridiques données, vont faire « jurisprudence » et illustrent comment les relations entre armateurs et copropriétaires ont été jugées entre 1876 et 1877.

« L'armateur qui stipule avec le capitaine la durée et les conditions de son commandement, agit dans les limites de son mandat et oblige les propriétaires du navire.

Mais l'armateur n'a pas qualité, à moins d'un mandat spécial et précis, pour renoncer à réclamer la licitation du navire.

En conséquence, si l'armateur, copropriétaire d’une part dans le navire a stipulé, avec le capitaine, copropriétaire d'une autre part, que la licitation ne pourrait être demandée avant un certain temps, il n'a point pu engager les autres copropriétaires du navire. Ceux-ci restent sont en droit de demander la licitation, et le capitaine n'a qu'une action en dommages intérêts contre l'armateur ».

Nantes - vue générale


1er procès

17 Juin 1876, le tribunal de Commerce de Nantes, situé Palais de la Bourse, se réunit pour avaliser la licitation - vente aux enchères - du navire l’Edith.

L’un des 10 copropriétaires du navire, Barjolle, propriétaire d’une part dépassant la moitié, assigne Coicaud, le capitaine Avrard, détenant 333 millième de l’Edith, et Alfred Neyssensa, en vue de la licitation (vente aux enchères) du navire, après la mise en faillite de l’armateur Alfred Neyssensas.

Les faits :

Alfred, quelques mois auparavant, achète verbalement à Barjolle sa part de 906 millièmes dans le navire. La mutation à son nom sur l'acte de francisation ne devait se faire qu'après paiement intégral.

Dans ce même temps, Alfred cède au capitaine Avrard, avec le consentement de Barjolle, une part d'intérêts de 333 millièmes. Barjolle reste en conséquence propriétaire pour 573 millièmes.

Par ces motifs :

Après la déclaration de faillite de l’armateur Neyssensa, la vente du navire aux enchères est acceptée par 8 des copropriétaires sauf  Dubas veuve et les enfants Boju. Le capitaine Avrard n’est d’accord avec la licitation qu’à condition, convenue avec Alfred, qu’il reste capitaine de l’Edith pendant 5 années, et que la licitation ne se déroule qu’à l’issue des 5 ans.

Les copropriétaires présents s’entendent sur la licitation avec une clause mentionnant le maintien du commandement du navire au capitaine Avrard, jusqu’au 6 juillet 1879 en soulignant qu’ils n’ont pas à subir l’entente entre Avrard et Neyssensas sur la non licitation avant les 5 années à venir, qu’Avrard connaissait la témérité et l'illusion de la proposition de Neyssensa.

2ème procès

9 septembre 1876, le tribunal de Nantes juge la licitation du navire Sirius.

Président : M. Delaunay de Saint-Denis. Plaidant : pour  Poesson, Mr Pichelin, pour Barjolle, Mr Reneaume, pour le syndic Neyssensa, Mr Giraudeau.

Le capitaine au long-cours Poesson assigne Barjolle, Rozier et le syndic Neyssensa.

Les faits :

Barjolle et Rozier ont vendu à l’armateur Neyssensa le navire Sirius peu de temps auparavant sa faillite. N'ayant pas été payés, ils sont restés portés à l'acte de francisation comme propriétaires du navire. Le tribunal ordonne la vente aux enchères du navire.

Verbalement le 16 octobre 1875, Madame veuve Poesson achète à l’armateur Neyssensa une portion du navire.

Le 26 octobre 1875, Neyssensa a délivré au capitaine Poesson une autorisation ainsi conçue :

« Je soussigné, autorise le capitaine Poesson, commandant mon navire Sirius à faire différentes pacotilles pour son compte personnel, sans toutefois nuire au chargement de son navire et à l'opération commerciale »

Le 8 novembre 1875, une nouvelle convention verbale a lieu entre Neyssensa fils et le capitaine Poesson, fils de Me veuve Poesson. Neyssensa confie alors au capitaine Poesson le commandement du navire ; que par dérogation à l'article 218 du Code de Commerce, la licitation du navire ne pourrait avoir lieu, ni le commandement retiré au capitaine Poesson avant quatre années à compter de ce jour, à moins de force majeure ou de malversation légalement constatée.

Palais de la Bourse


La demande du capitaine Poesson :

Le capitaine Poesson souhaite que le futur acquéreur exécute l'engagement pris par Neyssensa fils, et sous-entendu, Barjolle et Rozier, de conserver, pendant quatre années, le commandement au capitaine Poesson, soit, en cas de refus, à payer au demandeur la somme de six mille francs, à titre de dommages et intérêts.

Barjolle et Rozier répondent aux conclusions de Poesson qu'ils sont seulement propriétaires apparents du Sirius.

Attendu que le syndic Neyssensa fils déclare s'en rapporter à justice sur la demande du capitaine Poesson, au sujet de son commandement, que sur la question de la pacotille, il conclut à ce qu'il soit dit et jugé que le fret de ces 4 tonneaux de pacotille devra être déduit du compte à payer au capitaine.

Par ces motifs :

Sur la question du commandement du navire :

Le tribunal donne droit à Poesson sur les conditions auxquelles Neyssensa lui confiait le commandement du Sirius que Neyssensa obligeait ainsi tous les propriétaires cointéressés dans le navire, aussi bien Barjolle et Rozier, propriétaires apparents, que les autres.

Le tribunal donne son accord sur le paiement en cas de non-respect de la conservation de son commandement, ou à défaut au paiement d'une indemnité de 6000 francs, somme qui, d'après les avantages qui lui étaient assurés, et le temps pendant lequel il devait encore en jouir, ne paraît pas exagérée.

Sur la question de la licitation du navire :

La promesse de non-licitation du Sirius pendant un temps déterminé, n'a pas été et ne pouvait être faite par Neyssensa en qualité d'armateur, que c'était une convention exclusivement personnelle de Neyssensa à Poesson, que cette convention n'est donc pas opposable aux autres intéressés dans le navire, qui conservent leur droit d'en demander la licitation, mais que Poesson, ainsi dépossédé de son intérêt, a le droit de se retourner contre Neyssensa fils, et de lui demander une indemnité pour l'inexécution de son engagement d’un montant de 1000 francs.

Sur la question de la pacotille :

Attendu que Poesson produit une autorisation de son armateur Neyssensa de faire des pacotilles pour son compte personnel ; que rien n'autorise à croire, de la part du capitaine Poesson, que cette pièce ait été fabriquée après coup, grâce à la complaisance de Neyssensa pour les besoins du procès, qu'il appartiendrait au syndic d'établir qu'elle n'est pas sincère, et qu'aucune foi ne lui est due, mais qu'il n'en fournit aucune preuve.

Par ces motifs :

« Dit et juge que Barjolle et Rozier et le syndic Neyssensa fils sont tenus d'assurer au capitaine Poesson, malgré la vente du Sirius la conservation de son commandement de ce navire jusqu'au 8 novembre 1879, et, à défaut de ce faire, condamne Barjolle à payer à Poesson une indemnité de 6000 francs ».

« Condamne le syndic de la faillite Neyssensa fils, en sa qualité d'armateur du Sirius à garantir, libérer et indemniser Barjolle du montant de ladite condamnation ».

« Dit et juge que Poesson a droit à une indemnité de 1000 francs pour le tort que lui cause, comme intéressé, la licitation prématurée du Sirius, et dit qu'il sera admis comme créancier chirographaire au passif de la faillite Neyssensa fils pour le montant de cette somme ». (Chirographaire : créance qui n’est garantie par aucun privilège tel qu’hypothèque ou caution).

Condamne le syndic Neyssensa fils aux dépens.

3ème procès :

Janvier 1877 - Tribunal de commerce de Nantes

Les faits :

Alfred Broband père, intéressé pour une part dans la finance de la charge de courtier maritime Grenet, a cédé sa part à Alfred Neyssensa fils, peu de temps après Neyssensa fils rétrocéde à un tiers une fraction de cette part, et qu'il se trouve aujourd'hui intéressé pour centièmes dans l'exploitation de la charge de Grenet. Il était de notoriété publique à Nantes, que, dès « janvier 1875, Grenet a admis Neyssensa chez lui comme son collaborateur, pour l'expédition des affaires de la charge, que cette collaboration n'a cessé que le jour même de la déclaration de faillite de Neyssensa ».

Broband a donc tort de dire, comme il l'a fait à l'audience du 2l décembre, qu'il était rentré dans la charge de Grenet, comme intéressé, quelque temps avant la faillite de Neyssensa et que, non-seulement cette reprise de possession n'est constatée par aucun document quelconque, mais, qu'au contraire, l'existence avouée, aux mains de Broband, de billets à lui donnés en règlement par Neyssensa, démontre à suffire que l'articulation de Broband est inexacte.

Par ces motifs :

« Dit et juge qu'en fait, Neyssensa fils a été l’associé de Grenet et fondé dans sa charge pour 27 centièmes ».

« Dit et juge que cette association , qu'elle soit licite ou non , a cessé au jour de la déclaration de faillite de Neyssensa fils, et que le syndic de la faillite a le devoir de poursuivre la liquidation de la communauté d'intérêts existant entre lui et Grenet ».

« Dit et juge que Broband, qui a cédé ses droits à Neyssensa ne peut à aucun titre critiquer la demande du syndic, et le déboute de ses fins et conclusions ».

« Condamne Grenet à fournir au syndic Neyssensa le compte des profits de l'opération ».

« Dit et juge que Grenet reprendra, au prix de 43200 francs, valeur arbitrée et fixée par le Tribunal, les 27 centièmes pour lesquels Neyssensa est fondé dans la finance et condamne Grenet à payer au syndic de la faillite ladite somme de 43200 francs, avec intérêts de droit à partir du 26 avril 1876 ».

La jurisprudence est ainsi définie pour les deux procès à venir.

« Le fournisseur d'un navire qui a une action pour le paiement de ses fournitures contre le créancier gagiste inscrit comme propriétaire à l'acte de francisation, ne peut être considéré comme ayant voulu nover sa créance par changement d’auteur en produisant, pour la même dette, à la faillite de l'armateur. (Nover : renouveler une obligation).

Le créancier n'est pas non plus censé abandonner son action contre les propriétaires du navire et se contenter de l'armateur pour débiteur personnel, quand il a fait traite avec celui-ci pour le montant de ses fournitures, et quand il a produit à sa faillite en se réservant de poursuivre les propriétaires.

Le débiteur de prix de fournitures faites pour un navire ne peut opposer à l'action du fournisseur la prescription de l'article 433 du Code de Commerce, lorsque la dette est constatée par des billets souscrits soit par l'armateur soit par  le capitaine ».

4ème procès

21 avril 1877, le tribunal est réuni pour étudier la demande en dédommagements de la société Irasque et Cie, fournisseurs de navires au Havre,  envers Barjolle et Rozier, armateurs à Nantes, pour paiement de la somme de 7543 francs.

Dans le même temps, Barjolle et Rozier appellent devant ce tribunal, le Syndic de la faillite Neyssensa fils, pour répondre à la demande de Irasque.

Les faits :

Attendu qu’Irasque a fourni au navire Sirius, capitaine Poesson, lors de son réarmement au Havre, en novembre et décembre 1875, pour une valeur de 7543 francs, d'objets nécessaires à l'équipement et au ravitaillement du navire.

Que ces fournitures sont constatées par deux billets du capitaine Poesson, restés impayés, deux billets de l'armateur, Neyssensa fils, également restés impayés, et une facture supplémentaire approuvée par le capitaine Poesson, et non payée à son échéance, plus les frais de retour sur billets impayés, le tout s’élevant à la somme de 7543.

Attendu qu'à l'époque où ces fournitures ont été faites par Irasque au navire Sirius, Barjolle et Rozier étaient inscrits sur l'acte de francisation dudit navire, comme seuls et uniques propriétaires.

Qu'en conséquence Irasque s'adressent aujourd'hui à Bàrjolle et Rozier pour leur demander paiement de ces fournitures dont ils prétendent qu'ils sont responsables aux termes de l'article 216 du code de commerce.

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il est de jurisprudence constante et indiscutable que les personnes inscrites en qualité de propriétaires d'un navire sur l'acte de francisation, à quelque titre et pour quelque motif que ce soit, sont, au respect des tiers, responsables des dettes de l'armement.

Attendu dès lors que Barjolle et Rozier, étant inscrits sur l'acte de francisation du navire Sirius sont responsables envers Irasque  du montant des fournitures par eux faites audit navire.

Que cela est juste, au surplus, puisqu'ils ont profité de ces fournitures pour la conservation et l'amélioration de leur gage.

Que les fournitures en question ont incontestablement été faites, soit au capitaine Poêsson, qui engage incontestablement les propriétaires (article 216 du code de Commerce), soit l'armateur Neyssensa fils, mandataire légal des propriétaires, et qui par ce fait, les engage à plus forte liaison encore que le capitaine.

Sur le second moyen :

Attendu que la novation ne se présumé pas (article 173 du code civil) et que l’on ne peut raisonnablement soutenir que Irasque  aient voulu faire novation, par substitution de débiteur, en remplaçant Barjolle et Rozier, débiteurs solvables, par Neyssensa fils débiteur en faillite.

Que leur production à la faillite de Neyssensa fils s'explique par cette circonstance, que c’était l'armateur du navire, représentait à leurs yeux tous les propriétaires et était devenu par le fait du mandat légal qu'il tenait des propriétaires du navire, leur débiteur personnel, puisqu'il avait traité à ce titre avec eux Irasque mais sans que pour cela ils renonçassent à poursuivre personnellement les propriétaires à défaut de paiement intégral par l’armateur leur mandataire ;

Par ces motifs :

Condamne Barjolle et Rozier à payer à Irasque la somme de 7543 francs avec intérêts de droit.

Les condamne aux dépens ;

5ème procès

3 mars 1877, le président Mr Rivron, le plaidant, Mr Maîsonneuve, pour Gendron, Mr Daniel Lacombe, pour Legal Chevreuil et frère.

Gendron, fabricant de biscuits à Couëron appelle devant le Tribunal  de Nantes, Légal Chevreuil et frère, négociants à Nantes, pour  condamnation à payer la somme de 418 francs 75 centimes.

Les faits

Gendron a fourni au navire l’Argus, en février et novembre 1875, des biscuits et farines pour une valeur totale de 1046 francs et 88 centimes.

 Legal Chevreuil et frère figurent à cette époque sur l’acte de francisation dudit navire comme propriétaires à hauteur de 40/100.

Neyssensa, copropriétaire et armateur de l’Argus est tombé en faillite sans avoir soldé à Gendron le montant des fournitures que celui-ci avait faites au navire l’Argus.

Gendron se retourne donc vers les divers copropriétaires du navire pour réclamer à chacun d'eux sa part proportionnelle dans le montant des fournitures par lui faites.

Attendu que tous les copropriétaires d'un navire sont responsables, dans la proportion de leur intérêt, des fournitures faites au navire pour son entretien, ses provisions et en général les besoins de sa navigation, quand bien même ils ne seraient ainsi portés sur l'acte de francisation que pour assurer la validité d'un nantissement, cette distinction n'ayant aucune valeur légale au regard des tiers.

Attendu que, tout en reconnaissant la vérité de ces principes, Legal Chevreuil et frère s'opposent à la demande de Gendron, en s'appuyant sur les deux moyens suivants :

Gendron, en faisant les fournitures précitées, n’a voulu faire foi qu'à Neyssensa, pour preuve que c'est sur lui seul qu'il a traité pour la totalité de ses fournitures et qu'après sa faillite il s'est fait admettre pour la totalité de cette traite restée impayée par Neyssensa.

Les dispositions légales pour atteindre le navire aux termes des articles 191 et 192  du Code de Commerce n'ont pas été remplies par le fournisseur Gendron, et Neyssensa, soi-disant armateur du navire Argus n'aurait aucun titre pour engager les copropriétaires inscrits sur l'acte de francisation.

Sur le premier point :

Attendu que l'on comprend aisément que sans nuire à ses droits, Gendron ait fait traite sur Neyssensa, puisque celui-ci avait été chargé au moins tacitement par tous les copropriétaires du navire l’Argus dont ceux-ci lui avaient concédé et formellement reconnu le titre d'armateur, de gérer l'opération, d'en acquitter les dettes et d'en encaisser les créances.

Qu'il est tout naturel, en conséquence, que Gendron, n'ayant pas été payé par Neyssensa, se soit adressé aux copropriétaires pour le compte desquels Neyssensa aurait dû payer.

Attendu que si Gendron s'est fait admettre, par un jugement du Tribunal en date du 5 août 1876 au passif de la faillite Neyssensa, pour la totalité, de ses créances, ce jugement lui donne acte des réserves expresses qu'il fait de
tous ses droits contre les copropriétaires du navire.

Que cette admission ne saurait lui être valablement opposée aujourd'hui pour dégager la responsabilité des copropriétaires.

Sur le deuxième moyen

Attendu que Gendron n'invoque nullement les bénéfices des articles 191 et 192 dont les prescriptions n’ont effectivement pas été suivies dans le temps, mais qui n'ont absolument rien à voir dans l’espèce, qu'il ne se prétend point créancier privilégié et qu'il se borne à titre de créancier personnel à réclamer de chacun des copropriétaires du navire la part qui lui incombe dans le paiement de sa créance.

Attendu que les fournitures faites au navire l’Argus par Gendron ne sont pas contestées.

Que ces fournitures ont bien été employées pour les besoins du navire après avoir été demandées partie par le capitaine, partie par l'armateur Neyssensa chargé de représenter tous les copropriétaires du navire, avec l'assentiment de tous sans exception.

Que, par suite, le fournisseur Gendron n’ayant pas été payé du montant de ses fournitures, chacun des propriétaires inscrits sur l'acte de francisation de l’Argus doit compter d'une somme représentant sa part afférente à son intérêt dans ledit navire.

Par ces motifs :

Condamne Legal Chevreuil et frère à payer à Gendron la somme de 418 francs et 75 centimes, pour les 40/100 du montant des fournitures de biscuits et farines faites au navire l’Argus en février et novembre 1875.

Les condamne aux dépens.


Notes sur les intervenants

Barjolle Félix, commissionnaire en marchandise, ou Etienne,  capitaine au long cours, membre de la loge « Mars et les Arts » de Nantes de 1862 à 1871.

Boju, dans la seconde moitié du XIXème siècle, est le principal chantier naval des îles de Rezé, situé hameau de North House appelé localement «Norkiouse», près de Nantes. L’entreprise fabrique des bricks et des trois-mâts.

Coicaud Charles Henri, fils ainé, marchand de bois et armateur.

Delaunay de Saint Denis Auguste, président du tribunal de commerce de Nantes.

Irasque Elie, capitaine au long cours, né le 13 avril 1809 à la Rivière Salée en Martinique, installé au Havre comme négociant et armateur sous la raison sociale Irasque et Compagnie, membre de la loge « L’Olivier Ecossais » à l’Orient du Havre, Grand Orient de France, de 1858 à 1867.

Legal Stanilas, armateur, Alexandre, négociant, et Frédéric, chaudronnier.

Legal-Chevreuil et frères, négociant et armateur à Nantes.

Grenet Pierre Charles, fils ainé, armateur.

Rozier, armateur


6ème procès

Pseudo ventes à réméré

Au cours de l’année 1907, Mr Blazy, dans le but de se procurer des fonds remit, le 25 octobre et le 4 novembre, à Mr Meyseussa, un total de 200 actions de priorité de la raffinerie de pétrole Lille et Bonnières. 
En échange il reçut d’abord 32500 francs, puis 34000 francs. Mr Meyseussa ayant aliéné les titres le jour même de leur livraison, la neuvième chambre tant un premier temps acquitte Meyseussa et condamne Mr Chapiro, acquéreur des titres, à 4 mois de prison. 

Sur appel correctionnel, Meyseussa est finalement condamné à 13 mois de prison et Chapiro à 8 mois de prison, et tous deux à payer chacun 25 francs d’amende.




Informations diverses - généalogie Nantaise


1871 - Jurisprudence et Jugement du tribunal maritime de Nantes - volume 13

Salagnac assigne Neyssensas, le 13 septembre 1871, pour non livraison de 1500 kilos de vieux cordages.

1876 - Faillite - Neyssensa père (Pierre), entreprise de menuiserie, 2 rue Cassini - Jugement du 29 avril 1876, la même année que son fils Alfred.

1879 - Liste des adresses de la ville de Nantes : Neyssensa, Alfred, 19 rue Voltaire, Neyssensa Pierre, 10 rue Urvoy-Saint Bédan, Neyssensa Pierre, capitaine de navires, 4 rue Copernic.

1879 : Pierre Neyssensa, capitaine au long cours, 4 rue Copernic, sur les registres du recensement de Nantes.

1884 – Le 27 octobre, dissolution de la Société des demoiselles Neyssensa et Gicqueaux.

1885 : Liste électorale de Nantes : Neyssensa Pierre - Capitaine au long-cours.

Place de la Petite Hollande

1893 - 1897 et 1926 Listes électorales, Maurice, fils de Pierre, capitaine au long cours est chaudronnier sur cuivre, 3 place de la Petite Hollande. En 1895 les Ateliers et Chantiers de Bretagne (ACB) font leur apparition, avec trois cales de lancement et des ateliers de chaudronnerie spécialisés dans la fabrication des torpilleurs et des bateaux à destination des colonies. En 1900, la construction Navale emploie 35% de la main d'œuvre à Nantes. Entre 1890 et 1914, les chantiers sont au cœur des luttes ouvrières. Maurice se marie à Gentilly, le 7 avril 1923, à l’âge de 47 ans, avec Elisa Froisy.








1895 - Union vélocipédique de France – Nantes. Séance du 25 novembre. 1ère épreuve organisée par M. Breteille, chef-consul à Boulon-les-Nantes, sur la route de Nantes à Pornic :
Radigois 3h17m et Neyssensa 3h58m.


Entrée Petite Hollande
1897 : Mariage de Gaston, fils de Pierre et Adèle, le 19 octobre à Coueron - Loire Atlantique.
Pierre, son père, à l’asile Saint Joseph, donne son accord oral, Adèle Lotz, sa mère, est domiciliée chez son fils Maurice, Place de la Petite Hollande. Témoin, un membre de la famille Lotz, Georges Felix François, né le 26/02/1851 à Nantes, titulaire de la Légion d’honneur et qualifié d’officier d’administration, âgé de 46 ans, oncle de Gaston.

1910 - Journal militaire - Neycenssas Louis – Cavalier au 3ème régiment de dragons - Loire Inférieure. Liste Sous secrétariat des Postes et télégraphes.

1912 - Le Réveil Postal, organe et propriété de La Poste, Télégraphe et Téléphone le 4 aout mentionne sur la section de Nantes « Renouvellement du bureau : Membres de la Commission d’études : Neycenssas, facteur au Pallet ».

Gallica : http://gallica.bnf.fr/ : Archives commerciales de la France - Créations et dissolutions de sociétés.

1914 -1918 - Dans « Les navires des ports de la Bretagne provinciale coulés par faits de guerre » volume 1, un Neyssensa est cité.

Trois-mâts goélette

Le trois- mâts goélette « Eugène Gaston » appartenant au capitaine et armateur, Jean Louis Le Port, de l’Ile d’Arz, pour 666/1000, Eugène Rio, pour 333/1000, et Neyssensa pour 1/1000, est coulé par le sous-marin allemand U-70, lieutenant de vaisseau Otto Wunsche, le 18 décembre 1916.

Le chalutier, d’un tonnage de 184, est construit en 1875, pour l’armateur Julien Laniel, par Alleau et Albert dans les chantiers de Chantenay à Nantes.

Récit du capitaine Le Port à son retour à terre :
« Le 18 décembre 1916 à 7h40 notre brick fait route vers Swansea à vitesse très faible, avec 7 hommes d’équipage, moi-même, 5 matelots et 1 mousse.

A 15 milles du Four, par beau temps clair, mer calme, très faible brise ouest, nous apercevons un sous-marin, sur bâbord avant, faisant route à 18 ou 20 nœuds et arborant le pavillon de guerre allemand.
Il vient se ranger le long du bord et ordre est donné à la voix, en anglais et allemand : « Venez à bord avec votre embarcation ».
Nous nous rendons à bord du sous-marin, et sommes interrogés, en bon français, par un officier qui nous dit plaisamment : « C’est malheureux que nous sommes en guerre …. Vous n’avez donc aucun bateau de guerre en France et en Angleterre ? Nous n’en voyons jamais et faisons ce que nous voulons ….. Avez-vous de quoi manger et un compas ? ». Je lui réponds : « Nous avons cela à bord ».

Un officier et 2 marins allemands accompagnés par deux hommes du brick retournent à bord du voilier. Les Allemands prennent les vivres, un compas de route, la voile de l’embarcation qu’ils me remettent, et gardent, pour eux, la carte, le journal de bord et le pavillon. Ils me demandent s’il y a de l’argent à bord, je leur réponds « non ».

Puis ils placent deux bombes sur notre voilier, une à l’avant et l’autre à l’arrière, puis le sous-marin tire deux coups de canon. Le brick coule aussitôt à 8h00 du matin.

Le sous-marin se dirige alors vers un vapeur qui fait route au nord, à 3 milles environ, « un cochon d’Anglais » dit l’officier du submersible.

Il en fait le tour puis reste stoppé deux heures et demie à proximité. Le vapeur semble ensuite s’enfoncer dans la mer. Il s’agit du vapeur anglais Flimston, 575 tonnes, allant de Buenos Aires à Londres, avec une cargaison de maïs. Le capitaine et son chef mécanicien sont gardés prisonniers à bord du sous-marin.

Le sous-marin fait ensuite route, à 11 h00 du matin, sur la goélette Hirondelle, qu’il coule.

Nous sommes récupérés à 8 milles, dans le nord du Four, par le torpilleur Glaive, puis transférés sur le torpilleur 275 qui nous débarquent à Brest à 17h20.

Le sous-marin mesure entre 50 et 60 mètres de longueur, blockhaus de 3 ou 4 mètres de haut, surmonté d’une passerelle, grande glace en haut de la passerelle, avec peut-être un projecteur, deux renflements à bâbord et tribord, à 8 mètres de l’étambot, paraissant être des tubes lances torpilles, peinture irisée, claire, récente, et une ceinture en bois de 75 cm de large le long de la flottaison.

J’ai vu 6 officiers, dont le commandant, 30 ans environ, d’aspect vigoureux, (Otto Wunsche, né en 1884,recevra la Croix « Pour le mérite » le 20 décembre 1917, et aura coulé un peu plus de 50 navires, entre autres, le trois-mâts « Bougainville » le 22 mars 1916. Il décède à Kiel le 29 mars 1919) ainsi que 18 hommes d’équipage, tous semblants forts jeunes et forts. Vêtements de cuir pour les officiers et même tenue que les marins français pour les autres. Les rubans des bonnets portaient diverses inscriptions. L’un des marins avait un bonnet avec un ruban portant le nom Hindenburg.

Voici le dessin que je peux faire du sous-marin.







Hippolyte Léon Neyssensa, mousse à 15 ans


Hippolyte Léon Neyssensa nait à Nantes le 3 mars 1847, au numéro 2 rue Cassini à Nantes, de Pierre Neyssensa, menuisier, 35 ans, et Marie Louise Prudence D’Laine, 32 ans. Les témoins se nomment Pierre, 27 ans, Pierre Sorin, tailleur, 53 ans, demeurant rue du Marais.



Signatures de Pierre et Pierre Neyssensa


Rue Cassini

Aucune information n’existe à ce jour concernant la scolarité d’Hippolyte.

Le 4 avril 1862, Hippolyte est inscrit sur le registre maritime de Nantes, en qualité de mousse, à l’âge de 15 ans.

Il embarque à Saint-Nazaire, le 9 août 1862, à bord du trois-mâts la Souvenance pour un voyage de 7 mois et 1 jour à destination de la Réunion - numéro 184. Sa rémunération s’élève à 20 francs avec une avance de 60 francs pour deux mois. Le navire, capitaine Croix, arrivant de la Havane, est à quai en juillet 1860 dans le port de Nantes. Le navire décharge des barriques et des caisses « Antilles ».





Le navire la Souvenance porte 797 tonneaux, construit à Nantes en 1858. Il appartient à Gabriel Lauriol et compagnie, habitant 2 rue Racine à Nantes, à quelques dizaines de mètres de l’habitation d’Hippolyte.

Depuis 1858, on retrouve sur le registre matricule du navire, les capitaines Espitallier pour l’ile Maurice en 1858, Chauvelon en 1860 pour la Réunion, Brunetteau en 1870 pour Karikal, capitaines qui ont l’habitude de travailler avec Gabriel Lauriol, armateur, dont nous avons déjà parlé dans les articles concernant les carrières de mousse de Pierre et Alfred Neyssensa.

Hippolyte fait partie des 26 hommes d’équipages, 3 officiers, 1 officier-marinier, 2 officiers non marinier, 14 matelots, 4 novices, 2 mousses.




Le capitaine se nomme Joseph Eugène Chauvelon, 35 ans, originaire de Rézé, Loire Atlantique, et dépose à bord du trois-mâts un livre de punitions. Le capitaine Chauvelon est cité dans « le Journal de Saint-Nazaire » en novembre 1859, pour avoir fait l’une des traversées les plus courtes de l’époque, entre la Havane et Saint-Nazaire, en 31 jours. La fièvre jaune sévit dans la colonie et fait des ravages parmi les équipages des navires. La Souvenance perd d’ailleurs son second-capitaine le 27 septembre 1859, à la Havane, Louis Chauvelon, 27 ans, originaire de Rezé, frère du capitaine.




Les autres membres d’équipages :

Auguste Godeau, 2ème capitaine, Auguste Lapérine, lieutenant, Marie Pierre Crétière, maitre d’équipage, François Eugène Bouillet, matelot au chargement, le cuisinier Pierre Marie Danian qui permute avec le cuisinier François Guyot, du navire le Pierre, avec l’accord du capitaine, le 14 décembre 1862 à Saint-Pierre de la Réunion, les matelots Dominique Hardouin, François Bénigué, Auguste Garnier, Hervé Coudonl, Alexandre Richard, Pierre Poumerel, Zacharie Boju, Nicolas Bayeul, Pierre Ringeard, Pierre Conan, François Pautremat, François Rio, Julien Morel qui quitte le navire, renvoyé par le remorqueur, blessé et malade au moment où le navire prenait la mer, François Graffard, Julien Romain, François Chédaneau, Jacques Desmas, Joseph Evain, les mousses Hyppolite Neyssensa et Marie Hyppolite Radal, maître au cabotage en 1883, qui obtint une médaille d'argent de 1ère classe pour le sauvetage d'un enfant à la Rochelle le 1er septembre 1883. In Journal Officiel de la République Française - 1884.

Le rôle de bord mentionne la présence de diverses marchandises, l’absence de passagers, et la présence de cinq plis destinés au gouverneur de l’ile de la Réunion, Rodolphe Augustin Darricau.

Le 10 août 1862 le trois-mâts Souvenance est « allé en rade, puis, mis en mer pour la Réunion le 11 août par vent de nord-est et petite brise ».

Le « 31 août le Souvenance, courant au Sud-Est, et vu par 6 degrés 20 de latitude et 24 degrés 33 de longitude par le navire Bacchante arrivé à Londres ».

Le 2 septembre, le journal l’Union Bretonne nous révèle que le chargement du trois-mâts se compose de « 50 mules, 2 chevaux, et 1 vache ».

Port-Louis, île Maurice

Le 17 octobre 1862, le trois-mâts arrive à Port-Louis, île Maurice et repart le 19 pour la Réunion. Le 5 novembre, la Souvenance est en charge à Saint-Pierre de la Réunion. « Le chargement se compose essentiellement de sucre dito dito à 80 francs. En décembre 24 navires ont pu effectuer leurs chargements de sucre et café sur les différentes rades de l’île de la Réunion dont 980 025 par la Souvenance ».



Port-Louis, île Maurice

A Nantes en début d’année « les acheteurs attendent la livraison par la Souvenance, Louise et Tamatave,1325 mille kilogrammes de sucre « Réunion », lesquels seront réglés à la livraison, sur la base de 48 francs la bonne 4ème ».

Toujours dans l’Union Bretonne du 5 février 1863, « Cafés : les chargements de cette fève ont été forts importants, ainsi qu’on en jugera par le chapitre exportations. Parmi ces quantités, il y a une bonne partie chargée à fret ; les autres résultent d’achats faits dans les prix de 95 à 105 francs les 50 kilos, suivant qualité. Il a été exporté pour Nantes, par la Souvenance, 15 150 kilos de fève de café ».

Le 21 février 1863, les ventes de sucre continuent sur le marché virtuel bien avant l’arrivée des navires dans le port de Nantes. Ainsi, « 7700 sacs sucre Réunion, à livrer par Robur, Félix, Léonie et Louise. 8000 sacs dito dito, à livrer par Osiris et Souvenance à 49 francs la bonne 4ème ».

« En cette période les sucres seuls donnent lieu à des achats assez suivis de la part de nos raffineurs ; mais c’est au prix de nouveaux sacrifices imposés aux détenteurs. 375 sacs Réunion par Souvenance à 51,50 francs sur échantillon, pour l’épicerie » sont vendus sur le marché Nantais.

Le 8 mars 1863, par vent d’ouest-nord-ouest et une forte brise, le trois-mâts entre en rade de Saint-Nazaire en provenance de la Réunion. Entre les 10 et 11 mars la Souvenance et au « chargement » ou plutôt au déchargement, dans le port de Nantes, « à la consignation de Monsieur Gabriel Lauriol, armateur, A.M. Maillard, courtier. Gabriel Lauriol pour 10 balles de café, Viot, 582 ballotins de café, Lecour et Cie, 600 peaux de bœufs, Noel Vincent, 4000 balles de sucre, De la Brosse jeune, 534 balles de sucre, V.J.J. Boutin, 800 balles de sucre, au porteur, 519 balles de sucre, 200 ballotins de sucre et pour Choppy, 12 ballotins de sucre ».

L’Union Bretonne le 17 avril concernant les ventes le solde de la Souvenance, « 428 caisses Havane à 54 francs le sac. Les affaires auxquelles nous avons fait allusion, dans notre précédent bulletin, sont pleinement confirmées. Voici le résumé de celles avouées jusqu'ici ; nous disons « jusqu'ici » parce qu’on affirme qu’il y en d’autres qu’on ne dit pas ». La Souvenance est désarmée à Saint-Nazaire le 10 mars 1863 sous le numéro 42.

De l’importance du vin à bord de la Souvenance

Par le rôle de bord de la Souvenance nous découvrons que le capitaine Chauvelon a convoqué une commission le 26 novembre 1862, 4 mois après le départ de Saint-Nazaire, composée du lieutenant du port de Saint-Pierre de la Réunion, choisi par le chef du service de la marine, du capitaine Caillet du Gustave, choisi par le capitaine de la Souvenance et Bercegeay maître d’équipage de l’Emma, choisi par l’équipage de la Souvenance. Il s’agit, par « la commission, d’analyser aujourd'hui le vin fourni à l’équipage de la Souvenance, au sujet duquel plainte a été portée à l’administration. A une heure de l’après-midi, la commission doit déguster le liquide et exprimer son avis. Deux espèces de vin sont présentées à la commission. A l’unanimité, la première espèce de vin goûtée, et qui a été repoussée par l’équipage, ne devait pas continuer à être mis en consommation vu son extrême faiblesse, que la deuxième qualité dite « vin de Retoux », et que l’équipage n’avait pas encore entamée, était passable, et parfaitement susceptible d’être mis en consommation pour l’équipage sans qu’il soit fondé dans la plainte qu’il viendrait à faire le cas échéant ».

Le « vin de retoux », est-ce le vin du domaine de Retou en Gironde situé sur la commune de Lamarque ?

Hippolyte renonce à la navigation le 9 mai 1863 mais ……





Est-ce pour échapper à la conscription qu’Hippolyte décide de s’embarquer, à nouveau, à bord du Lucie, avec son frère, le capitaine Pierre Neyssensa, le 10 septembre 1866 ? 

La fiche d’inscription mentionne qu’Hippolyte, à l’occasion de ce deuxième voyage, est novice, âgé de 19 ans.




Sur le registre des conscrits, Hippolyte est noté « marin classé et dispensé » ce qui prête à réflexion. En effet dans « Recrutement : tirage au sort et révision » Emile-Victor-Charles de Boyer de Sainte-Suzanne, en 1860, cite les conditions pour être marin : il faut avoir au moins 18 ans, avoir fait, soit 18 mois de campagne, soit deux campagnes au long cours, soit deux années de petite pêche. Hippolyte 19 ans, n’a fait que 7 mois de campagne et un seul voyage au long cours. En tout cas Hippolyte, afin de justifier de son droit à dispense, du présenter un certificat de l’inscription maritime délivré par l’Officier d’administration du quartier de Nantes.

Retraçons brièvement les voyages du Lucie – voir dans pour plus de détails l’article concernant le capitaine Neyssensa où l’on retrouve les différentes destinations jusqu'au terrible ouragan qui emporte le trois-mâts le 12 mars 1868 dans la rade de Saint-Paul de la Réunion.

De nouvelles informations concernant le trois-mâts le Lucie sont numérisées aux archives de Nantes et notamment le rôle de bord du navire.

Les dates d’arrivées et départs dans les ports sont mentionnées sur le rôle.

Tout d’abord, le capitaine Pierre Neyssensa dépose à bord « un livre de punitions en blanc » le 10 octobre 1866, et « trois fusils et quarante cartouches », peut-être en prévision d’actes de pirateries au large du golfe de Siam, ou, pour éviter quelques rébellions de coolies à bord ?

 En 1863, dans « l’engagisme Chinois, révoltes contre un nouvel esclavagisme », le commandant en chef du cabinet du Gouverneur de Saigon informe qu’un troisième contingent de 86 Annamites, condamnés pour crimes politiques ou piraterie à des peines de 5 à 6 ans, acceptent la déportation pour 10 ans à la Réunion sous certaines conditions.

Le gouverneur de Saigon en 1863 et 1867-1868 - Pierre-Paul de La Grandière

Hippolyte, en septembre 1866, monte à bord d’un superbe trois-mâts de 30 mètres de longueur et 8 mètres de largeur, coque mixte en bois de chêne ou orme, doublée intérieur en cuivre, sorti tout juste des chantiers navals Guibert et Blondel de Chantenay pour l’armateur Briand. On note que les chantiers Guibert se spécialisent dans la fabrication de navires en fer à la même époque.

C’est donc le premier voyage du trois-mâts et, de Pierre Neyssensa en qualité de capitaine. Le père d’Hippolyte, Pierre Neyssensa, menuisier, est l’un des co-propriétaires du navire flambant neuf.

Un trois-mâts barque est un navire à voile équipé de trois-mâts, avec un mât de misaine (à l'avant), un grand mât (au centre), tous gréés en voiles carrées. Sur le mât d'artimon (à l'arrière), sont grées une brigantine (grand-voile trapézoïdale) et un flèche (masculin) en cul (voile également trapézoïdale). Source : Wikipédia.

A quelques détails près voici un trois-mâts barque identique à la Lucie.





Le 14 décembre 1866 le navire quitte Saint-Nazaire à destination de la Réunion avec 13 hommes à bord et transportant « diverses marchandises ». En réalité le contenu du fret n’est jamais connu au départ de Nantes.





Le capitaine est porteur d’un paquet cacheté à l’adresse de Monsieur le Gouverneur de l’île de la Réunion, Marie Jules Dupré.





Le trois-mâts parvient à Saint-Denis de la Réunion le 9 avril 1867. Le 11 mai le navire repart pour Saint-Paul où il arrive le lendemain chargé de lest.


Le trois-mâts repart le 15 mai 1867 pour Saint-Leu - île de la Réunion - chargé de sucre.  

De retour le 26 juin à Saint-Denis pour un nouveau départ le 6 juin pour l’Australie. 

Le 23 juillet 1867 parvient à Port-Adélaïde chargé de sucre. Le 2 août le navire quitte Port-Adélaïde pour Sidney toujours chargé de sucre. 

Le 19 aout Hippolyte est sur le quai de Sydney qu’il quitte pour Saigon le 9 septembre 1867.




Le voyage du Lucie dans l’océan Indien, entre 1866 et 1868, coïncide avec l’expédition Française qui remonta le Mékong, et, retracée brièvement les lignes suivantes.


1867 - Saigon et l’énigmatique Mékong




Entre 1866 et 1868, une expédition dirigée par l’officier de marine, capitaine de vaisseau, Ernest Doudard de Lagrée, originaire de Saint-Vincent de Mercuze en Isère, afin d'évaluer la navigabilité du Mékong dans le but de relier la région du delta et le port de Saigon aux richesses du sud de la Chine et du haut-Siam, aujourd'hui la Thaïlande, pour le compte des autorités coloniales françaises de la Cochinchine.

Dévalant les pentes de l’Himalaya, le Mékong parcourt près 4000 kilomètres avant de se jeter en mer de Chine, 150 kilomètres au sud-ouest de Saigon. Le 13 janvier 1863, Doudart de Lagrée arrive en rade de Saigon. Initié aux coutumes et arts locaux, passionné d'archéologie, d’épigraphie, il étudie les monuments édifiés à l'époque de la splendeur d'Angkor.

Comme quelques-uns de ses camarades de Saïgon, Doudart de Lagrée perçoit rapidement le potentiel que le Mékong peut offrir aux colonisateurs français. A l’époque, le 5 juin 1866, jour du départ de l’équipe française, les Saïgonnais considèrent cette mission lourde en sacrifices humains, les explorateurs étant voués à une mort certaine.

Le groupe est composé d’interprètes français et cambodgien, de quatre matelots, de deux matelots Philippins, sept miliciens. Doudart de Lagrée emporte vingt-cinq mille francs en lingots d'or, piastres et monnaies siamoises, cent cinquante caisses d'approvisionnements et de bagages, d'un poids moyen de trente kilos chacune.

S'éloignant du Mékong, Doudart de Lagrée, affaibli par la maladie, atteint le 19 janvier 1868, la ville de Tong-Tchouen située à plus de 2000 mètres ; Doudart de Lagrée décède le 12 mars, Tong-Tchouen, à l’âge de 45 ans. La mission est à deux jours de marche du Yang-Tsé-Kiang.

L'épuisement de l’équipe est général. Si la mission n’apprend rien sur les sources du Mékong, elle permet l'établissement du protectorat Français au Laos, la naissance du Tonkin français après la découverte du Fleuve Rouge, la mission aura traversé le Laos, le Siam, le Yunnan et la Birmanie, parfois en pleine guerres tribales, pour atteindre Shanghai en juin 1868.




Photographie d’Émile Gsell à Angkor en 1866 : de gauche à droite : Le capitaine Doudart de Lagrée -1823-1868 - ; Louis de Carné - 1844-1870 - attaché à l'ambassade de France ; Clovis Thorel -1833-1911- et Lucien Joubert -1832-1893- tous deux médecins de la marine, observateurs de la géographie, de l'ethnologie et de la botanique lors de l'expédition ; Lieutenant Louis Delaporte - 1842-1925 - artiste, le lieutenant Francis Garnier - 1839-1873 - commandant en second de l'expédition.

Louis de Carné, seul civil de la mission, nous raconte le périple à travers la jungle Laotienne entre octobre et décembre 1867, au moment même où le navire Lucie est à quai à Saigon.

« L’expédition continue à pied. Pieds nus, en proie aux pluies torrentielles, les hommes souffrent de la fièvre. Le 7 octobre 1867, la mission quitte le Mékong et se dirige vers l’ouest. Elle atteint Sze Mao, région alors totalement inconnue du sud-est de la Chine. L’expédition se trouve alors dans un état de délabrement total auquel vient s’ajouter le choléra et la neige à deux mille mètres d’altitude. Le 25 décembre, l’expédition arrive, épuisée, au Yunnan, puis à Toug Tchouen, sur un affluent du Yang-Tsé-Kiang. Quoique malade, Francis Garnier explore la région de Taly Fu ».

Louis de Carné décède à 27 ans de fièvres contractées en Chine.

Le navire le Lucie est chargé de « charbon et divers ». Il arrive à Saigon le 26 novembre 1867.




Le trois-mâts repart le 18 décembre, cette fois chargé de riz et peut-être accompagné de coolies …..




Le 1er février est à quai à Saint-Denis, pour décharger du riz puis repart le 5 février pour Saint-Leu pour décharger du riz. Le navire est à quai à Saint-Leu le 8 février, port qu’il quitte le 13 février.


Saint-Leu

Le trois-mâts est à quai à Saint-Benoit le 16 février 1868, avec le restant de riz, puis se dirige vers Saint-Pierre le 22 février 1868 chargé de diverses marchandises, le 26 février le navire est en vue du port de Saint-Benoit. Le 7 mars, le trois-mâts, avec à bord, 13 hommes d’équipages quitte Saint-Benoit pour le port de Saint-Paul.


Saint-Benoit
Ce sera son dernier voyage avant de disparaître corps et biens en baie de Saint-Paul, surpris par un terrible ouragan, le 12 mars 1868.




Quels étaient les marins à bord disparus ce jour-là ?

Pierre Neyssensa, capitaine, âgé de 28 ans, selon « le quartier de Nantes se trouvait à terre pour ses affaires le jour où le navire a déradé » le jour du naufrage. En marge, Pierre pour raison de santé est débarqué à Port-Adélaïde le 2 août 1867 et ré-embarqué le 19 août, remplacé par le capitaine en second, Philippe Auguste Cros, 31 ans, né à la Bastide dans le Tarn le 17 mars 1837 ; lors de son hospitalisation, « prend le commandement du navire d’Adélaïde à Sydney »

Le capitaine en second « est admis à l’hôpital militaire le 5 février, et sorti de l’hôpital militaire le 11 mars 1868, arrivé à Saint-Paul le 17 du même mois pour rejoindre son bâtiment qui se trouvait en déradage. Débarqué et reparti pour Saint-Denis le 7 avril 1868. Non soldé. A reçu en différents fois la somme de 1350 francs et 85 centimes en acomptes ». Le capitaine Cros échappe à la disparition du Lucie à quelques jours près ….

Le maître d’équipage, Vincent Marie Magré, né le 13 juillet 1816 à Ambon dans le Morbihan, âgé de 52 ans, « débarqué à Saint-Pierre de la Réunion le 1er février 1868 ; en outre est « redevable de la somme de 67 francs au capitaine » ; il échappe à la disparition du Lucie.



Le cuisinier, Pierre Gustave Mossu, né le 28 octobre 1833 à Indre en Loire Inférieure, 35 ans, « présent à bord le 12 mars 1868, jour où le navire à déradé ».

Le mousse, Georges Laurent, né le 13 juillet 1853, à l’ile d’Yeu, en Vendée, âgé de 15 ans, présent à bord le 12 mars 1868, jour où le navire à déradé ».


Le matelot, François Marie Lehuédé, né le 31 mai 1835 à Batz en Loire Inférieure, 33 ans, « embarqué à Saint-Nazaire le 11 octobre 1866 aux conditions du rôle, a reçu trois mois d’avances nets soit 145,50 francs, doit au capitaine la somme de 67 francs. Présent à bord le 12 mars 1868, jour où le navire à déradé ».

Le matelot Auguste Le Bouvier, né à Pleurtuit, en Ile et Vilaine, le 13 février 1836, 32 ans, « embarqué à Sydney le 1er aout 1867, débarqué de gré à gré le dernier jour de février 1868 à Saint-Pierre » ; douze jours avant le déradage du Lucie.

Le matelot Jean Touraine, né le 31 mars 1840 à Pleudihen, Cotes d’Armor, âgé de 28 ans, « embarqué à Sydney le 1er aout 1867, débarqué de gré à gré le 7 mars 1868 » ; soit 5 jours avant le déradage du Lucie.

Le capitaine en second, Joseph Marie Edgard Dioré, né le 15 juin 1836 à Sainte-Suzanne sur l’ile de la Réunion, 32 ans, « embarqué ce jour à dix francs par jour, à Saint-Denis de la Réunion le 4 février 1868, présent à bord le 12 mars 1868, jour où le navire à déradé ».

Le matelot Badio-Salé né à Saint-Pierre de la Réunion le 3 mars 1840, âgé de 28 ans, embarqué à Saint-Pierre le dernier jour de février 1868, présent à bord le 12 mars 1868, jour où le navire à déradé ».

Le matelot Louis Abel, né le 18 février 1850, âgé 18 ans, à Saint-Pierre de la Réunion, embarqué à Saint-Pierre de la Réunion le dernier jour de février 1868, « présent à bord le 12 mars 1868, jour où le navire à déradé ».



Les familles de ces deux matelots non informés ne demandèrent jamais le solde auquel ils pouvaient prétendre.

Découvert dans le Journal officiel de la République française. Lois et décrets du 29 novembre 1898. « Etat des dépôts effectués à la caisse des gens de mer pendant l’année 1868 et tombant sous l’application de l’article 22 de la loi du 29 mars 1897 par suite de non-réclamation dans le délai de 30 ans ».

Le matelot Marie Joseph Lorrec, né le 27 mai 1846 à Auray dans le Morbihan, âgé de 22 ans, « débarqué non soldé le 31 août 1867, le capitaine a déposé au consulat de France la somme de 500 francs pour son rapatriement, cet homme ayant été déclaré incapable de faire son service par le chirurgien de la goélette Calédonie. Signé le Consul de France ».

Le matelot Victor Macé, né le 27 juin 1836 à Batz en Loire Inférieure, âgé de 32 ans, « passé Maître d’équipage le 1er mars 1868 à Saint-Pierre de la Réunion à raison de 8 francs par mois. Doit au capitaine la somme de 58 francs, présent à bord le 12 mars 1868, jour où le navire à déradé ».

Le matelot, Henri Léon Bioré, né le 26 septembre 1845 à Pouliquen en Loire Inférieure, âgé de 23 ans, « doit au capitaine la somme de 75 francs, présent à bord le 12 mars 1868, jour où le navire à déradé ».

Le matelot Pierre Marie Abel Le Mituard né le 20 avril 1838 âgé de 30 ans, à Damgan dans le Morbihan, « doit au capitaine pour avance faite le jour au cours du voyage, 51 francs, débarqué de gré à gré, non soldé, à Saint-Pierre de la Réunion, le 7 mars 1868 », cinq jours avant le naufrage du Lucie.

Le matelot Vincent Louis Marie Boileau, né le 5 juin 1847 à Auray dans le Morbihan, âgé de 21 ans, « doit au capitaine la somme de 113 francs, présent à bord le 12 mars 1868, jour où le navire à déradé ».

Le novice Paul Marie Geloux, né le 4 février 1849 à Nantes, âgé de 19 ans, « débarqué et payé à Sydney, le 30 aout 1867, une somme restant aux mains du capitaine, passé sur la goélette de guerre Calédonie, signé par le Consul de France ».

Le novice Hippolyte Neyssensa, né le 1er mars 1847 à Nantes et âgé de 21 ans, « doit au capitaine la somme de 107 francs, présent à bord le 12 mars 1868, jour où le navire à déradé ».

Le matelot François Robert, né le 9 mars 1845, à Saint-Benoit de la Réunion, âgé de 23 ans, « embarqué à Saint-Pierre de la Réunion le dernier jour de février 1868, présent à bord le 12 mars 1868, jour où le navire à déradé ».

Le matelot Pierre Conan, né le 23 février 1843 à Auray dans le Morbihan, âgé de 25 ans, « embarqué à Saint-Pierre de la Réunion le 7 mars 1868, présent à bord le 12 mars 1868, jour où le navire à déradé ».

Validation de la soumission du rôle du Lucie par l’armateur et le capitaine Neyssensa

Les conditions générales de l’engagement sur le Lucie
 « Gages entiers en rivière. L’équipage s’engage à conduire le navire dans toutes ses opérations commerciales. Renonce à la conduite. L’armement fournira à l’équipage une ration équivalent à celle de l’état. L’équipage s’engage à faire le transport des émigrants ou coolies est, sans augmentation des salaires si débarquement en cours de voyage ».

Hippolyte a-t-il côtoyé des coolies Vietnamien à bord du Lucie ? Même si le contrat d’engagement le spécifie, il n’est pas sûr que le navire ait transporté des engagés. Nous découvrirons pourquoi dans l’article consacré à « l’engagisme pratiqué par le capitaine Neyssensa à bord du Lucie ».

De retour de la Réunion et seul rescapé, le capitaine valide le présent rôle pour le désarmement du Lucie, en juin 1868.


Rôle pour le désarmement du Lucie

Le commissaire de l’inscription maritime à Saint-Nazaire, en juin 1868 s’adressant au commissaire de l’inscription maritime de Nantes :

« Le trois-mâts Lucie de Nantes, capitaine Neyssensa, est déradé de Saint-Paul (Réunion) le 12 mars 1868, lors de l’ouragan qui a eu lieu à cette époque et n’a pas reparu depuis : avis de Saint-Paul du 7 avril 1868. Il est donc présumable que ce navire est perdu corps et biens.
Dans cette situation, j’ai l’honneur de prier Monsieur le Commissaire de l’Inscription Maritime à Nantes, de vouloir bien porter le fait ci-dessus, à la connaissance des familles des marins ci-après désignés, qui se trouvaient à bord lors du déradage :


1er Neyssensa Pierre, capitaine au long cours inscrit à Nantes sous le numéro 372, capitaine de la Lucie.

2ème Mossu Pierre Gustave, matelot de 2ème classe, inscrit à Nantes sous le numéro 367, cuisinier.

3ème Neyssensa Hippolyte Léon, novice inscrit à Nantes sous le numéro 1278, novice.

4ème Dioré Joseph Marie Edgard, maître au cabotage, inscrit à Nantes sous le numéro 367, 2ème capitaine.

J’ai également l’honneur de prier Monsieur le Commissaire de l'Inscription Maritime à Nantes, de vouloir bien informer Monsieur Briand, armateur de la Lucie, de la disparition de ce navire, en lui annonçant que je vais faire procéder au désarmement administratif afin d’arrêter les salaires et la navigation des hommes présents à bord le 12 mars 1868, et à vouloir bien m’indiquer à qui je devrai m’adresser à Saint-Nazaire pour avoir les feuillets de désarmements nécessaires et verser les montants de l’arrêté du rôle. Saint-Nazaire le 19 juin 1868 ».

Le 28 juillet 1868, selon le Commissaire de l’Inscription Maritime à Saint-Nazaire, « on serait porté à croire, selon le rôle figurant à l’article de ce capitaine, qu’il se trouvait à bord le 12 mars 1868, jour où le navire a déradé à Saint-Paul (Réunion) mais il n’en serait rien si l’avis que m’a donné le courtier de la Lucie, que le Sieur Neyssensa est en ce moment à Nantes est exact. Merci de bien vouloir m’indiquer si le capitaine Neyssensa est effectivement à Nantes ? ».

Réponse du Commissaire de l’Inscription Maritime à Nantes : « j’ai l’honneur de vous informer que le capitaine Neyssensa Pierre est à Nantes, et que, s’il a échappé au malheur de perdre, c’est uniquement parce qu’au moment du coup de vent qui a fait dérader son navire la Lucie, il se trouvait à terre, à Saint-Paul, pour les affaires de son armateur. Nantes le 31 juillet 1868 ».

La version, concernant l’absence du capitaine, extraite des minutes du greffe du tribunal de paix du canton de Saint-Paul, est sensiblement différente, en effet, le greffier indique :
« Le Sieur Pierre Neyssensa, capitaine du navire la Lucie, lequel nous a dit que son navire stationnait sur la rade de Saint-Paul, qu’il a été dans l’obligation d’abandonner le jeudi 12 mars 1868, neuf heures trente minutes du matin, par suite de l’ordre forcé émanant de la direction du port et de la menace du cyclone qui a éclaté le même jour ».

Le gouverneur de l'île Maurice indique dans un courrier adressé aux armateurs Nantais en 1830 « Les capitaines toujours retenus à terre pour les affaires de leurs navires, en laissent la conduite à des officiers qui manquent d'expérience et de prudence. Les armateurs éviteraient des pertes s'ils faisaient obligation aux capitaines de ne jamais découcher de leurs navires surtout pendant l'hivernage à Bourbon ».

Les derniers feuillets et jusqu'au 13ème final, concerne le matelot Joseph Lorrec, et émanent du Ministère de la Marine et des Colonies, direction de la comptabilité générale, et extraits venant du Consulat de France à Londres et Consulat de France à Sydney pour l’année 1868.

Neyssensa Hippolyte décède à l’âge de 21 ans. Aucune mention en marginale n'apparaît sur son acte de naissance, ni jugement après disparition.

Le lieu du naufrage, l’embarcadère de Saint-Paul et quelques photos du navire la Lucie, c’est ainsi que le capitaine Pierre Neyssensa nomme son navire dans son rapport du 31 mars 1868 établi à Saint-Paul de la Réunion.


Embarcadère de Saint-Paul


Les restes de la Lucie

Lieu du naufrage en baie de Saint-Paul de la Réunion

Les restes de la Lucie




Fiche d’inscription maritime d’Hippolyte




Quelques nouvelles de La Lucie sur le Constitutionnel en septembre 1868




Le terrible naufrage de La Souvenance en 1871


Huit ans auparavant, Hippolyte Neyssensa était à bord



La Souvenance armé par Lauriol, est expédié le 16 mai 1870 de à Saint-Nazaire sur lest pour Cardiff le 19 mai. « L’équipage s’engage à suivre le navire dans toutes ses opérations commerciales légales. Conditions passées à Pondichéry, l’équipage s’engage à faire le voyage d’émigrants de Pondichéry à la Martinique moyennant une augmentation de salaires ».

Les défaites françaises de 1870

Napoléon III

Le Second Empire et le régime bonapartiste de Napoléon III s'étale de 1852 à 1870, entre la Deuxième et la Troisième République. Les forces françaises sont engagées à plusieurs reprises durant cette période avec des fortunes diverses.

L'expédition française au Mexique tourne au fiasco militaire et diplomatique à cause de la guérilla, de la fin de la guerre de Sécession et des prémices d'une guerre contre la puissance montante de l'Europe qu'est la Prusse d'Otto Von Bismarck. L'échec de l'expédition discrédite le régime de Napoléon III et c'est finalement la guerre franco-prussienne de 1870, mal préparée par la France, qui sonne le glas du Second Empire.

Otto Von Bismarck
Le 11 juin, le capitaine Bruneteau et son équipage quittent Cardiff avec un chargement de charbons déposé à la Réunion le 14 septembre 1870. Le 7 septembre le navire se rend sur lest à Pondichéry où il mouille le 15 octobre. Le 28 décembre 1870 il est affrété, au nom du gouvernement français, pour transporter des coolies pour la Martinique touchant à Karikal. Le 19 mars 1871, le navire quitte Pondichéry pour Karikal avec à son bord, 225 passagers dont le médecin et l’infirmier interprète, originaire de Pondichéry, Sinnasamy. Le capitaine établit la liste des émigrants : 147 hommes de 16 à 36 ans, 63 femmes de 14 à 30 ans, 1 garçon de 11 à 15 ans, 13 enfants de 1 à 10 ans et 1 enfant d’1 an. Le 19 mars le navire parvient à Karikal avec 24 hommes d’équipages et embarque 153 émigrants supplémentaires puis repart le lendemain pour la Martinique avec à bord 378 émigrants.

Le navire relâche à Port-Maurice le 23 avril 1871 pour « faire de l’eau » puis est mis en quarantaine sans déposer ses papiers au Consulat.

Le 17 mai 1871, le pire des naufrages qu’est connu la cote Africaine se déroule en plein nuit. Le trois-mâts La Souvenance fait naufrage au Cap des Aiguilles.




Le journal « L’Avenir d’Arcachon » nous raconte « l’épouvantable naufrage du navire français qui s’englouti près de Cap-Town, ayant à son bord 700 coolies chinois. Pas un seul de ces malheureux, ni aucun homme de l’équipage du bâtiment n’a échappé au sort commun. Tous ont péri.

île Maurice

« Le désastre ne vient d’être connu, il y a encore bien peu de temps que par les nombreuses épaves et les corps mutilés des malheureux chinois que le flot a rejetés sur la côte. Le navire avait fait étape à l’île Maurice. Le consul de France à Cap-Town, Monsieur Hugo, parcours le rivage pendant 23 jours en découvrant, à flot, des couvertures ayant appartenu à des coolies et des ballots de laine. Sur un rocher près de là, était venu s’échouer le flanc du navire presque tout entier, un assemblage de pièces de bois long de 30 pieds environ. Une autre partie du navire flottait plus loin à l’ouest. L’arrière du navire se trouvait un peu plus au large sur une petite ile, ile entourait de brisants et de courants violents. 
C’est là que la Souvenance est venue se briser avec force terrible contre les rochers. Les trois mâts du navire ont étés retrouvés. Deux d’entre eux étaient brisés et portaient encore leurs voiles, le grand mât était intact. A la poupe du bâtiment tenaient encore les ancres et les chaines du navire.

Selon les indices on peu supposer que la Souvenance a fait naufrage vers le 15 ou le 17 mai 1871. En même temps qu’une multitude d’épaves, une quantité énorme de cadavres de coolies arrivaient également à la côte. 
Vers la fin de mai, le nombre de corps des malheureux coolies s’élevaient à 200. Tout fait supposer que le naufrage a du avoir lieu la nuit car la plus grande partie des cadavres étaient nus. Chose horrible à dire ; ils étaient tous aussi aux trois quarts dévorés par les requins. Seuls les quatorze cadavres blancs qui ont été retrouvés n’ont pas été touchés. A Queen-Point, Monsieur Hugo a repêché une caisse de médicaments ayant appartenu au docteur du bord. Bientôt on retrouvait encore une caisse de biscuits. Sur l’un des côtés de cette caisse on lisait « Thébaut et fils, biscuit à l’équipage, Nantes, 148 kilos ». Plus loin apparaissait une partie de la carène du navire : la quille.

Monsieur Hugo dit à ce sujet ; « c’est la quille qui a d’abord touché sur les rochers. L’empreinte de la pointe des rocs et la manière dont elle est brisée en font foi. Quant aux causes du naufrage pas un survivant n’a réchappé pour venir les raconter. Elles resteront toujours à l’état de mystère.

En apprenant ce terrible désastre, la consternation la plus grande a régné pendant plusieurs jours au Cap., où jamais évènements de mer plus atroce n’avait été signalé ».

Dans l’Union Bretonne du 13 juillet 1871, parait le courrier écrit par la seule maison Française du Cap, De Possel-Deydier, négociant au Cap de Bonne Espérance, « j’ai cru devoir prendre la liberté de vous écrire pour vous informer de la perte de votre navire Souvenance, capitaine Bruneteau. Une forte tempête du nord-est régnait sur la côte, lorsque votre navire s’est perdu. Cette tempête a forcé beaucoup de navires à rentrer en avaries. Un capitaine Norvégien m’a rapporté un coffre appartenant, sans doute, à un matelot, ainsi que le brevet du capitaine, qu’il avait recueilli en mer. J’ai remis le tout au consulat. La maison de Messieurs Barry et neveux, établie à Bredasdorps, a pris en charge des débris et a fait une vente qui, d’après ce que le chef de maison m’a rapporté ne couvrira pas les frais qu’elle a faits ».

Le musée des naufrages à Bredasdorp conserve un extrait du rapport du consul Hugo « Nous avons trouvé dans l’épave le corps d’un homme qui était couvert de poils telle une vache ». Quelques jours plus tard le consul rectifie son écrit et indique ; « il s’agissait en fait d’un ourang-outan ». Le naufrage eut un retentissement national et international comme l’indique les articles du Journal Lyonnais du 15 juillet 1871, de l’Univers du 13 juillet 1871, et du Petit Journal de Paris.




Et enfin les journaux Australiens :

« The Sydney Morning Herald » du 31 aout 1871, qui donne une toute autre lecture du naufrage, accusant les autorités Françaises d’avoir enfreint la convention entre Britannique et Français. La convention d’émigration ayant expirée, le gouverneur de Pondichéry donne cependant son accord pour un départ de la Souvenance pour la Martinique malgré le refus du gouvernement de Madras. D'autres périodiques Australiens relayent la rumeur en septembre 1871.

« The Goulburn Herald and Chronicle » et le « Telegraphic Intelligence de Melbourne » du 6 septembre 1871, mais « Loss of a ship and 450 coolies. We regret to learn by special telegram that the Souvenance, which sailed from Pondicherry some months ago with 450 coolies on board, from the Antilles, foundered off the Cape of Good Hope, at the end of May, and that all on board were lost. The term of the convention between the French and English governments regarding coolie emigration having expired before the departure of the Souvenance, an application was made by M. Bontemps, the Governor of Pondicherry, for an extension, but the Madras governement are understood to have refused their assent to the proposal. Whereupon M. Bontemps made a private reference to Lord Napier, and it is alleged obtained his Lordship's sanction to the evasion of the convention. If these rumours are correct, the secretary of state for India will have to call upon his Excellency for an explanation of the evasion which has virtually resulted in the loss of nearly 500 lives. - Madras ».

En quarante ans d’immigration indienne aux colonies françaises, il n’y eu que deux naufrages,  celui de la Souvenance et celui du Sans-Souci qui coula en 1851, avec à son bord, 187 passagers à destination de la Réunion, le capitaine ayant placé d’importantes quantités d’eau sur le pont déséquilibrant le navire.

Les navigateurs connaissent la dangerosité au large du  Cap, entre le 15 mai et la fin du mois d’août, les hivers australs et leurs vents d’ouest rendent pratiquement impossible la navigation.

La guerre franco-allemande en Europe retarde le départ de la Souvenance qui aurait dû avoir lieu avant le 15 mars ; le gouverneur français ne souhaitant pas payer de frais énormes dus au report du voyage, autorise, avec l’accord de l’administration de Pondichéry, le gouvernement de Madras et le consul britannique, un départ de Pondichéry après le 15 mars. Le trois-mâts quitte Karikal, situé dans le sud de l’Inde, seulement le 19 mars 1871.

La condition des coolies dans les colonies

Les agents recruteurs en Inde masquaient bien évidement la réalité aux coolies ; la difficulté des travaux qui les attendaient et les relations délicates avec les habitants, les grands propriétaires et les anciens esclaves. Les recruteurs étaient payés, au moment de l’embarquement, deux roupies pour un homme, six pour un couple, la moitié pour les enfants de 10 à 16 ans. Le navire parvient à Pondichéry le 15 octobre 1870 et on peut se demander la raison pour laquelle il ne repart que le 19 mars 1871. En réalité, les immigrants restaient près de trois mois au dépôt de la colonie dans l’attente d’atteindre les quotas demandés par les propriétaires des plantations sans compter les négociations entre le capitaine du navire, le ministère des colonies et l’autorité anglaise. Le transport par « coolie-ship » s’effectue dans des navires aménagés sommairement pour le transport des coolies. Le voyage dure entre 3 mois et 4 mois en fonction de la météorologie. La compagnie générale maritime va profiter largement de ces transports …. L’armateur, Gabriel Lauriol, comme les autres armateurs, même si la quantité est en général présente, n’offre aux migrants qu’une nourriture qualitativement très pauvre, repas à base de curry, brisures de viandes, produits frais absents, 4 litres et demi litres d’eau par personne. Malgré les difficultés rencontrées le taux de mortalité reste faible lors des transports, il n’en est pas de même sur les plantations.

A l’arrivée sur les îles, c’est l’attraction assurée pour les locaux et parfois le début des injures raciales …. Par groupe, les coolies rejoignent les engagistes. Conscient des sévices et brimades subis par les nouveaux arrivants aux Antilles, le gouvernement britannique impose un arrêt de la migration en 1888. L’administration Française va cautionner pendant des décennies, la violence, la brutalité sur les exploitations, protégeant même les propriétaires meurtriers. L’esclavage ne fut pas aboli en 1848….

Le procès


La tragédie de la Souvenance ne se termine qu’en 1873 lorsque Gabriel Lauriol obtient gain de cause quant aux montants des salaires à payer aux héritiers des marins décédés.  L’administration de la marine demandait à Gabriel Lauriol d’arrêter le cours des salaires au 15 mars 1871, jour où le navire a pris la mer pour la dernière fois. Gabriel Lauriol souhaite quant à lui, que les salaires soient arrêtés le jour de l’affrêtement des coolies, le 28 décembre 1870. La loi maritime, en effet, indique, que si les marins perdent le droit à salaires en cas de naufrage, l’armateur perd de son côté son fret.



Remerciements à Christian et Yann pour leurs aides précieuses


Rercherches sur Généanet par C Soyer

http://gw1.geneanet.org/familysoyer?lang=fr&m=N&v=NEYSSENSA

Rercherches sur Généanet par Y Chevalier

http://gw5.geneanet.org/yarc?lang=fr&m=NG&n=neyssensa&t=N



Emplacements inhumations famille Neyssensas au cimetière de la Miséricorde de  NANTES


Pierre Neyssensa, menuisier, dcd en 1891 et enterré en DD 9.9 (tombe en photo)

Gaston Neyssensa dcd en 1903 à Coueron  à été transféré en 1910 dans la tombe de son grand père DD9.9

Pierre Neyssensac (avec un C) dcd en 1901  et enterré dans une tombe "Famille Lotz"  SS.3.8  (sans autres indications)

son épouse Adèle Claire née Lotz dcd 13/01/1922 à 73 ans est enterrée  avec lui en SS.3.8. La grande famille Lotz a plusieurs caveaux dans cette zone.
Et enfin Rose Marie Neyssensa dcd 14/07/1906 en UU2.25





Réf : Monsieur J.L. Bontè - octobre 2020



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